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Covid-19: deux ans de virus plus tard…

20 mars 2022, 19:00

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Covid-19: deux ans de virus plus tard…

Il y a deux ans, pratiquement jour pour jour. Le pays passait en «lockdown national». Nous venions de vivre nos derniers jours normaux sans le savoir. Depuis, la vie extérieure est masquée, les rassemblements limités, les lieux de culte et jardins d’enfants fermés. Depuis, Maurice a connu deux «lockdowns», les habitudes ont changé et on attend toujours de s’adapter à la «new normal» instable. Retour sur deux ans de pandémie…

L’histoire n’avait pas bien commencé. Le 18 mars, le Premier ministre vient annoncer, à la télé, que trois premiers cas de Covid-19 ont été détectés à Maurice alors que quelques minutes plus tôt, le ministre de la Santé annonçait que tout allait bien. Dans la foulée, le chef du gouvernement annonçait la fermeture des frontières dès le lendemain. De là, les choses ont avancé très vite. Le lendemain, quatre nouveaux cas et une nouvelle annonce. Lockdown national à partir du 20 mars. Seuls les services essentiels opèrent alors.

Nous sommes alors en mode survie. Comme les stations-services sont parmi les rares endroits à opérer, les files d’attente pour acheter du gaz ne diminuent pas. Pendant ce temps, si la population est alimentée en gaz ménager, la question de savoir quoi mettre au four devient de plus en plus pressante, vu que les commerces sont fermés. Ce n’est que le 1er avril qu’ils vont rouvrir, avec un système d’ordre alphabétique et des consignes strictes pour les achats.

Les évolutions

Alors que la première vague déferle, les questions fusent. Comme le pays est confiné et les sorties strictement interdites, le nombre de cas est loin de ce que l’on entend aujourd’hui, mais inquiètent quand même. Les conférences de presse du National Communication Committee battent des records d’audience. Lorsque 41 cas sont annoncés le 19 avril, c’est l’onde de choc. Va-t-on s’en sortir ? Lors des rares sorties au supermarché, les précautions sont doublées : les masques sont changés religieusement chaque quatre heures, des litres de gel hydroalcooliques sont utilisés et la distanciation physique est scrupuleusement respectée. Les rouleaux de papier toilette se vendent comme des petits pains.

Puis, très vite, lueur d’espoir. Le confinement a porté ses fruits, Maurice n’enregistre plus de cas locaux à partir du 28 avril. Mais cette victoire est entachée par le décès de 10 personnes qui ont perdu la bataille contre la maladie. Selon le protocole de l’OMS de l’époque, il faut attendre 28 jours sans cas positif pour être Covid-free. Ainsi, le 29 mai, le Premier ministre annonce la fin du confinement pour le lendemain. Mais le vrai retour à la normale, avec accès aux places et ouverture totale des commerces et lieux de cultes, se fait progressivement.

Puis, les cas recensés sont importés et au mois d’octobre, quelques rares cas locaux sont détectés, mais vite ‘maîtrisés’. Comme le discours se veut rassurant et que de toute façon, nous avons ‘vaincu’ le virus, les habitudes changent. Les médias étrangers citent Maurice en exemple, et certains le font même sans contrepartie financière. Les masques sont utilisés un peu plus longtemps, lavés et réutilisés. La distanciation physique diminue et malgré les restrictions, les rassemblements deviennent de plus en plus importants. Ainsi, lorsque de nouveaux cas locaux sont détectés à l’entreprise Surat, puis chez une famille à Forest-Side, le pays passe de nouveau en confinement, le 9 mars 2021.

Les «trasman»

Mais ce n’est pas le même confinement. Il n’y a plus de facteur inconnu, on sait à quoi s’attendre. Quelques jours après le lockdown, 600 000 Work Access Permits (WAP) circulent au sein de la population. Les services essentiels, moins essentiels, et même ceux qui n’en ont pas fait la demande en ont reçu. Les supermarchés sont de nouveau accessibles par ordre alphabétique, mais avec moins de longues queues. Les commerces de proximité, contrairement à l’année précédente, sont moins rigoureux sur le système mis en place, ce qui alimente moins le marché noir que l’année précédente. De plus, avec le système de «zone rouge», seules certaines régions sont mises sous cloche alors qu’ailleurs, c’est business as usual.

En 2020, pendant le confinement total, certaines denrées, comme l’alcool et la cigarette, sont rares dans les supermarchés. Comme la farine, il y a un quota à respecter par personne. Comme l’accès aux supermarchés est limité à une personne par famille et que les détenteurs du WAP sont très rares, il faut trouver des astuces pour s’approvisionner. Les livreurs de cigarettes pousseront comme des champignons sur les réseaux sociaux. Si le prix de vente à la livraison ne dépasse pas celui du commerce, les frais de livraison atteignent parfois Rs 700. Et il n’est pas rare que ces livreurs de cigarettes, officiels ou pas, proposent aussi des lisou ek karot. Par ailleurs, certains prennent le risque de sortir sans WAP, en priant tous les cieux de ne pas croiser les policiers, pour aller dans une tabagie nichée au fin fond d’un village pour acheter quelques paquets et bouteilles, quitte à payer plus cher, le propriétaire étant lui-même un traser. On cache les précieux colis sous des légumes achetés en route auprès des planteurs, au cas où les hommes en bleus surgiraient…

En 2021, la situation n’est pas la même. Pendant le confinement, la vie se déroule presque normalement. Il n’y a pas de rationnement, la circulation est quasiment libre avec ou sans WAP et la fin du confinement n’est pas accueillie avec la même joie…

Les tendances

Pendant trois mois, il est impossible pour une large partie de la population de quitter sa demeure en 2020. La fréquentation des réseaux sociaux augmente et à travaux eux, des challenges à la chaîne et des tendances se répandent comme des traînées de farine. Une des tendances mémorables est la fabrication de son propre pain car comme tous les aliments de base, la mie se fait rare. Entre ceux qui n’abandonnent pas, ceux qui laissent tomber après avoir fait «enn dipinn ki kapav touy dimounn» et ceux qui non seulement ont réussi mais préparent même des pains spéciaux aux grains, aux céréales ou au sourdough, les pages Facebook sont remplies d’œuvres farineuses en tous genres.

Mais la pain-mania est vite chassé par le Dalgona Coffee challenge et ce, bien avant que le Dalgona ne soit popularisé par Squid Games. Le breuvage, un mélange de lait, café et d’eau chaude doit être préparé jusqu’à obtenir un liquide crémeux. Le pays est divisé entre ceux qui réussissent du premier coup et les autres. En 2021, pas de trends, vu que les occupations sont nombreuses et que le Work from Home s’est démocratisé.

2022 et plus

Mars 2022. Pas de confinement à l’horizon, malgré les cas recensés chaque jour. Pourquoi alors avoir tout fermé en 2020 avec seule une poignée de patients positifs ? La raison est la même partout dans le monde. Aujourd’hui, nous avons non seulement plus d’informations sur le virus, mais la campagne de vaccination, qui a aidé à réduire la pression sur les hôpitaux et les décès, fonctionne. Cependant, un minimum de gestes barrières reste de mise.

Alors que plusieurs privilégient le retour à la normale, que les masques tombent un spectre plane : le confinement massif en Chine. Le scénario se répètera-t-il ? Pas si sûr, disent les experts. La Chine, contrairement à d’autres pays, avait misé sur une politique de zéro cas et le virus n’a pas grandement circulé. Mais le vaccin utilisé s’est révélé moins efficace que ceux utilisés ailleurs. Cependant, même si l’assouplissement des restrictions s’enchaîne, il n’est pas prévu que le Covid soit considéré comme endémique de sitôt, car son impact sur plusieurs secteurs se fait toujours sentir.

L’école et les calculs pas savants

En deux ans, des changements majeurs sont survenus dans les différents secteurs du pays.

Fermeture des écoles, changement de calendrier et classes en ligne, la vie de nombreux élèves a été chamboulée. Il a fallu s’accrocher pour ne pas tout laisser tomber. «C’est vrai que cela n’a pas été facile depuis 2020. Surtout que beaucoup d’entre nous avons perdu plus d’une année de scolarité. Alor ki dabitid nou fini lekol à 18 an, mo ena 19 an ek mo touzour en grade 12. Je quitterai l’école qu’à l’âge de 20 ans. Moralement, on prend un coup. Nous songeons à ne pas aller à l’université pour ne pas perdre plus d’année», explique une élève d’un collège de la capitale.

Pour Munsoo Kurrimbaccus, représentant de l’Union of Private Secondary Education Employees, il y a eu un gros impact sur la scolarité et l’avenir des élèves est incertain. «Boukou zelev laz in monté ek zot in pil anplas.»

Puis il y a eu un changement dans l’engagement même des enfants. Les élèves, dans l’ensemble, explique le membre de l’UPSEE, ont perdu l’intérêt dans les études, ils ne veulent plus aller à l’école et le comportement a aussi changé. «Nous n’allons pas le cacher, il y a eu des drop-outs. Nou pa pou anbet nou mem... Mais il y a aussi un fort taux d’absentéisme, il y a des élèves qui viennent juste quand ils le veulent, deux trois fois par semaine alors que d’autres sont malades. Il est donc difficile de dire si ce sont des abandons définitifs ou temporaires dans certains cas.» Sans parler du niveau scolaire qui a baissé.

Puis, il y a eu l’émergence de l’enseignement en ligne qui a été, toujours selon Munsoo Kurrimbaccus, bénéfique à 50 % des élèves, alors que d’autres n’y ont pas eu droit, faute d’accès à un ordinateur, à l’internet, alors que nombreux sont ceux qui ne s’y intéressaient même pas. «L’enseignement peut toujours être cham- boulé à nouveau à l’avenir, il faut que le ministère de tutelle propose une formation et un encadrement des cours en ligne pour améliorer notre système éducatif.»

Le tourisme à terre

Le tourisme a été pendant des années, le secteur qui rapportait le plus d’argent à l’économie mauricienne. Mais avec l’aéroport qui est resté pendant un long moment un cimetière de souvenirs, plusieurs personnes ont été impactées par la fermeture des frontières, les confinements et les mesures sanitaires. Les hôtels, mais aussi les guests houses. Nombreux sont ceux qui ont tout simplement perdu leur emploi, qui ont dû se reconvertir, en artisan, en pâtissier. Si les choses reprennent tout doucement, le retour aux beaux jours n’est pas pour demain, affirment les opérateurs du tourisme.

Scandales

S’il y a bien un virus qui s’est répandu en même temps que le Covid, c’est celui que l’on appelle scandale. Les accusations fusent toujours d’ailleurs quant aux cachotteries concernenant le nombre de contaminations et de morts. Puis, il y en a ceux qui en ont profité, financièrement, en se cachant derrière l’Emergency Procurement. Pack & Blister, respirateurs artificiels pas opérationnels, Molnupiravir, pour ne citer que ceux-là, alors que des millions de roupies sont concernées.

Cette épidémie-là, elle, n’est semble-t-il pas prêt de disparaître chez nous.

Petites entreprises, grandes difficultés

La pente est difficile à remonter pour les petites et moyennes entreprises ou encore ceux qui travaillent à leur propre compte. Kevin Gutty, patron d’Archimage Production, qui est dans le secteur de l’évènementiel, en témoigne. «Je faisais notamment des photos et vidéos de mariages, concerts et autres fonctions privées et du jour au lendemain, tout s’est arrêté et la compagnie n’était plus rentable alors que je gagnais bien ma vie avant le Covid.»

Il avait d’ailleurs massivement investi dans de nouveaux locaux en 2019 pour son business, avec studio intégré mais en 2020, il a dû revoir ses plans. «Ziska ler nou pa finn resi rékiper nou investisman, nou finn fermé temporerman ek put on hold.» Avec le travail qui reprend lentement depuis peu, il arrive juste à couvrir les dettes. «La plupart de mes clients étaient des expatriés donc c’est difficile, vraiment très compliqué.» Certains de ses 19 employés sont au chômage technique et d’autres sont partis de leur propre gré, aspirant à un avenir meilleur.

Aujourd’hui, Kevin Gutty galère toujours. «Certes, il y a eu l’aide financière du gouvernement, mais elle n’a pas été suffisante et pour s’en sortir, il faut pouvoir se réinventer.» Car explique notre interlocuteur, avec les personnes qui ont perdu leur travail dans le secteur du tourisme, notamment, nombreux sont ceux qui se sont reconvertis en photographes et vidéographes, la compétition est donc encore plus féroce dans le domaine.

Des héros aux oubliettes

Ils sont en première ligne depuis le début. Alors que de nombreux Mauriciens ont passé le premier et le deuxième confinement bien au chaud chez eux, ils ont affronté le virus dès le premier jour. Aujourd’hui, en regardant en arrière, certains frontliners ont du mal à croire qu’ils sont toujours vivants. «Mo ankor rapel kan ti anonsé inn gagn premyé cas Moris, mo ti off sa zour-la ek mo ti extra ploré paski mo ti koné mo pou impakté direkteman parski mo pou bisin travay ar pasian. Mo ti fek vinn maman mo dexiem zanfan ki ti ena 5 mwa lerla. Ek apre sa, pandan plis ki un an, monn passe pli bokou letan dan travay ou dan karantenn ki kot mwa. Mo pann trouv mo bébé grandi», soutient Vimla (prénom d’emprunt), infirmière. Cependant, elle affirme être contente d’avoir et de toujours faire partie de ceux qui aident les malades. Même si avec le temps, les applaudissements, les messages d’encouragement et de soutien se sont transformés en mépris et reproches. «Dimounn inn fini bliyé dan ki sirkonstans nounn travay ek nou ankor pe travay. Toulézour nou gagn kozé kouyon lor réseaux sociaux, dan bann Ward, dan casualty tousala, ar dimounn. Ou koné kieté sa pandan deux ans, l’hiver, l’été tou bizin mett enn gro konbinézon lor nou pandan 12 heures dafilé parfwa, avec sipa komié pasian pou swagné ? Bliyé manzé, bliyé fami, bliyé zis tou !» lâche un autre infirmier. «Nous avons perdu des collègues au front aussi, il ne faut pas l’oublier. Et des membres de nos familles aussi. Nous avons souffert et souffrons toujours…»

Goût amer pour la restauration

Deepak Doolooa, Managing Director de Kesar Indian Restaurant, à Centre-de-Flacq, a lui aussi été ‘avalé’ par le Covid. Son chiffre d’affaires a chuté drastiquement en deux ans. Avec la reprise, la clientèle revient mais rien n’est plus comme avant, le coût de la vie en hausse n’aidant guère. «Marz profi mem pa parey.»

Ce dernier confie que la vaccination a en quelque sorte également compliqué le travail car plusieurs n’ont pas encore fait leur dose de rappel. «Tousala ena enn repercussion.» Pour lui, il n’est pas envisageable de baisser les prix au risque de devoir mettre la clé sous le paillasson…

Patient zéro

Ils font partie des premiers à être contaminés et avouent que deux ans après, les choses ont bien changé. Les proches du patient zéro (NdlR, ils n’ont pas souhaité que l’on rappelle leur nom) se souviennent de cette période cauchemardesque, où ils étaient considérés comme des bêtes de foire. «Les souvenirs sont toujours vivaces. Nous avons perdu un proche et avons dû affronter le regard et le mépris de nombreux Mauriciens pendant longtemps. On dirait que c’était de notre faute.»

Même sentiment du côté d’une autre famille, dont les membres comptaient parmi les premiers contaminés. «C’est toujours difficile. Ziska ler ena dimounn ankor riyriyé dire nou ki noumem inn amenn sa dan landrwa.» D’aucuns les traitaient comme des pestiférés. «Ena kan ti pe trouv nou dan laboutik ti pe fer demi tour tou.»

Le porte-monnaie très malade

Depuis le premier confinement en 2020, les prix des aliments ont commencé à prendre l’ascenseur et depuis, ils ne savent plus à quel étage s’arrêter. «Tou zafer inn monté, kass mem népli ena pou serre sintir, ki serre sintir pé kozé ?» Ruptures de stock, dépréciation de la roupie, l’augmentation du prix du fret et des matières premières, depuis le début de la pandémie, les choses ne s’arrangent pas. Et avec l’invasion russe en Ukraine, on va souffrir davantage.

«Au debu nou ti pansé li pou tanporer mé nou trouvé ki de plus en plus bann lezot facter pe azouté et fer ki konsomater pé afekté terib ek enan bokou arnak osi», fait valoir Jayen Chellum, secrétaire général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice. Les choses n’iront pas en s’arrangeant selon lui, car Maurice dépend trop des importations.