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Pénurie de devises | Emprunter pour prêter: cercle vicieux de la dette ?

24 mars 2022, 21:07

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Pénurie de devises | Emprunter pour prêter: cercle vicieux de la dette ?

La baisse des arrivées de touristes, principaux pourvoyeurs de devises étrangères dans le pays – de Rs 63 milliards en 2019 à Rs 15 milliards en 2021 – et, en parallèle, nos mêmes habitudes d’importation, devaient tôt ou tard provoquer un manque de devises. C’est ce qui se passe actuellement. Mais la Banque centrale conserve son optimisme proverbial..

Il y a certes une reprise du tourisme, mais on ne sait pas s’il retournera au niveau préCovid. Même cette timide reprise n’apportera pas ses fruits tout de suite, les agences de réservation comme booking.com ou hotel.com ne payant les hôtels qu’après trois mois, nous dit-on. Il y a donc un problème grave de pénurie de devises qui, nous rappelle l’économiste Pierre Dinan, existait déjà avant le Covid. «Ce problème structurel de déséquilibre dans notre balance de paiements a été aggravé par la pandémie.»

Le premier effet s’est fait sentir au niveau des importateurs, qui se plaignent de ne pouvoir trouver des devises auprès de leur banque. En fait, les petites banques subissent cette pénurie depuis plusieurs mois alors que c’est le cas depuis un mois pour les grandes banques. Résultat : ces institutions financières demandent à certains de leurs clients de repasser ou d’annuler. Tout le monde n’est pas servi. Mais comment choisir quel client aura la priorité sur les autres ?

Contrôle des changes exercé à la place de la BoM

«Nous faisons exactement ce que faisait la Banque de Maurice (BoM) avant la libéralisation des changes en 1994», nous dit un cambiste d’une banque commerciale. «C’est à nous de décider si tel ou tel transfert peut être fait. Par exemple, nous accorderons la priorité aux importations de produits alimentaires au détriment d’un transfert pour l’achat d’une villa à l’étranger.» Noble pratique, mais cela se fait-il dans toutes les banques ?

Pour un importateur, qui a préféré garder l’anonymat, les banques, du moins sa banque, ne procèdent pas ainsi. «Moi, par exemple, ma banquière ne me demande pas ce que j’importe. J’ai une bonne et longue relation avec elle et elle me procure toujours les devises et promptement. En tout cas, je ne pense pas que les banques commerciales penseront aux besoins de la population, comme le faisait la BoM quand le contrôle des changes existait. Ce qui les intéresse, c’est le business.» C’est-à-dire faire plaisir à leurs gros et bons clients.

Mais en choisissant leurs clients pour allouer leurs devises limitées, les banques n’en profitent-elles pas pour imposer un taux de change plus élevé au meilleur offrant ? Réponse de notre interlocuteur, qui est un ancien banquier lui-même : «Bien sûr qu’elles le font, d’autant que les taux affichés sont dorénavant à titre indicatif. Mais moi, je ne me laisse pas faire, alors que les autres, même si on leur impose des taux supérieurs, doivent soit chercher ailleurs, soit accepter ; sinon ils risquent de ne pas avoir de devises du tout et ainsi voir leur business affecté.» C’est un peu donc la foire d’empoigne, en l’absence de directives claires de la BoM à ce sujet. Ce qui expliquerait, selon notre importateur, la bonne santé des banques, même dans ces temps difficiles.

Cependant, la BoM intervient de temps en temps pour vendre des dollars ou des euros sur le marché. Mais ces ventes ne suffisent plus visiblement. C’est l’occasion de poser la question : mais d’où viennent les devises que la BoM met sur le marché ?

«King Sugar» supplanté par «King Tourist»

Auparavant, quand la plus grande partie de nos devises provenait de l’exportation du sucre par le Mauritius Sugar Syndicate (MSS), celles-ci étaient créditées sur un compte à la BoM. Cette dernière payait le MSS l’équivalent en roupies et vendait les livres sterling, les francs ou encore les dollars aux banques commerciales quand ces dernières n’en avaient pas assez. Bien sûr, elles n’en avaient jamais assez, puisque les devises qu’elles recevaient, notamment de l’exportation du textile et surtout du tourisme, ne se situaient pas au niveau actuel.

Aujourd’hui, le tourisme rapporte le plus de devises ; et le sucre, rien que Rs 5 milliards. Or, depuis 2008, nous explique Devesh Dukhira, le Chief Executive Officer du MSS, celui-ci vend ses devises au mieux offrant et la plupart du temps aux banques commerciales. «Cela, dans le but de maximiser nos revenus.» Donc, la BoM souffre d’un manque conséquent de devises de Rs 5 milliards par an. Mais alors, d’où tire-t-elle les devises qu’elle met sur le marché ?

Argent emprunté que l’on prête et «float funds»

Selon un économiste, cela ne peut provenir que des emprunts contractés par le gouvernement auprès de l’Inde, de la Chine, du Japon ou de l’Agence française de développement. Le Japon nous a prêté Rs 11,5 milliards en février 2021 pour un vague projet de sécurité maritime. Vu que l’on ne sait pas comment ces milliards ont été ou seront dépensés, «on est en droit de conclure que ces devises pourraient servir, en attendant, à financer nos importations», nous dit l’économiste. Ce serait ce genre de fonds que la BoM, banquier du Trésor, vend de temps en temps aux banques commerciales.

Et les roupies équivalentes? Justement, on ne sait pas si elles sont utilisées pour financer des projets locaux et payer des contracteurs. Si c’est pour financer la sécurité maritime, comme l’a dit l’ambassadeur japonais pour les Rs 11,4 milliards, on n’aurait pas pu toucher à ces devises qui doivent être réservées à l’importation d’équipements ou de navires. Quant à la majeure partie des devises de l’Inde et de la Chine, elles servent à payer directement les contracteurs et autres Indiens ou Chinois. Même les dons.

Il y a bien sûr les autres «investissements» dont parle beaucoup le gouvernement. Pour le Global Business, Rs 8,4 milliards durant les neuf premiers mois de 2021 et Rs 14 milliards en 2020, contre une moyenne de Rs 19 milliards au cours des six précédentes années. Cet argent ne nous appartient pas et repart vers d’autres pays. Certaines banques commerciales utiliseraient ces float funds, comme on dit dans le jargon bancaire. Bien qu’il soit dangereux de le faire car au cas d’un retrait brusque, ces banques devraient alors trouver des devises pour rembourser les clients. Le gouvernement, lui, semble inclure ces float funds en calculant nos réserves en devises étrangères. Mais l’argent se trouve chez les banques commerciales, pas à la BoM.

La BoM vend-elle donc aux banques commerciales les devises empruntées de l’étranger ? Il n’existe pas de rapport, ni de la BoM, ni de Statistics Mauritius, ni d’ailleurs, qui indique cela. Emprunter pour prêter : n’est-ce pas ce que l’on appelle le cercle vicieux de la dette ?