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Univers carcéral: les barons, la prison et leurs pions
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Univers carcéral: les barons, la prison et leurs pions
Roger de Boucherville, 91 ans, est décédé mercredi. Il était non seulement connu comme le doyen des prisons mais également comme le «parrain» ou encore «baron», notamment pour son comportement et des ‘privilèges’ auxquels il avait droit derrière les barreaux. Les caïds sont-ils tous traités comme des pachas ?
Roger France Pardailhon de Boucherville, condamné à perpétuité pour le meurtre du chauffeur de taxi Sooriadev Jodhun, 28 ans, poignardé et enterré au Morne, avait longuement patienté dans le couloir de la mort avant que la peine de mort ne soit suspendue. Il a ainsi passé 25 ans derrière les barreaux après avoir eu recours au «Privy Council» et savouré sa libération à l’âge de 80 ans. Il a poussé son dernier soupir à 91 ans, mercredi. Cet homme avait beaucoup fait parler de lui en prison, notamment pour son comportement pas très exemplaire mais aussi parce qu’à diverses reprises, il avait été intercepté avec des objets nonautorisés, dont des stupéfiants, des téléphones portables, des cutters ou encore du parfum. Selon ceux qui se souviennent de lui, il avait plusieurs complices au sein de la prison.
Mais qu’en est-il des caïds actuellement incarcérés ? Prenant l’exemple de Peroomal Veeren, l’un des prisonniers les plus connus de l’île, qui purge une peine de prison de 34 ans pour trafic de drogue, les garde-chiourmes parlent de traitements qui ne diffèrent nullement des autres détenus de la prison de Phoenix, ex-Bastille. Si ce n’est qu’il est sous haute surveillance et qu’il est hautement contrôlé par la Correctional Emergency Response Team (CERT), unité spéciale de la prison. «On ne peut pas parler de privilèges accordés à ces ‘grandes personnalités’. Ils sont comme tout le monde.»
De plus, la prison n’est plus comme avant car on sépare les gangs, les clans, les caïds et on limite les contacts afin d’éviter les affrontements mais aussi parce que la loi est désormais plus sévère en prison. Par exemple, il n’y a plus de possibilité d’acheter les amis-détenus avec des cigarettes car aujourd’hui la cigarette est bannie du milieu carcéral.
Mais nos interlocuteurs concèdent, toutefois, que les caïds choisissent souvent de marcher en groupe pour faire régner la loi du plus fort. «Mais eux, en temps normal, ils se font discrets et laissent leur entourage – les prisonniers qu’ils recrutent pour former le groupe – s’atteler aux tâches, que ce soit soudoyer les garde-chiourmes les plus faibles, ou encore chercher à s’approvisionner en substances illicites, téléphones portables ou autres... Se zot bann pion ki pou fer tou bann mouvman...»
Bien évidemment, en prison, la proximité avec les hommes en uniforme est primordiale et pas si difficile que ça à atteindre.. «Les leaders des gangs savent très bien comment les identifier. Il y a toujours ceux qui sont endettés et qui ont besoin d’argent et ce sont eux les cibles. Enn foi sa bann gard la sot le pa, li bien difisil pou fer enn retour en aryer...» À ce moment-là, le «chef» sait qu’il peut se procurer plusieurs items interdits, facilement. De plus, font ressortir les garde-chiourmes, les caïds prennent également en charge plusieurs aspects financiers de leur troupe, pour s’assurer fidélité et loyauté. Par exemple, ils peuvent envoyer leur argent de caution chez les proches de leur dimounn, si nécessaire. Une fois ces derniers libérés, en temps normal, ils sont pris pour opérer dans le business du chef, soit le trafic de drogue. «Zot asiré ki sa bann dimounn-la gagn bien osi kan zot sorti depi prizon... D’où le fait que plusieurs n’hésitent pas à intégrer le gang.»
«Il y avait une force des gangs avant. Ils pouvaient avoir un semblant de vie ‘normale’ avec leur argent, si vous voulez. Se enn zafer kinn existé ek ki existé dan tou prison dan lémond. Mais moins aujourd’hui car il y a eu plusieurs mesures pour les contrer, comme la ségrégation mais aussi l’installation des caméras CCTV qui rendent les manigances moins fréquentes.» C’est la déclaration d’un ancien commissaire des prisons, qui n’a pas souhaité être cité pour des raisons personnelles. Est-ce que les caïds sont traités comme des rois en prison ? Il est catégorique. «Non !»
Mais des personnes incarcérées utilisent leur force physique et financière comme moyens pour inviter d’autres prisonniers à rejoindre le clan et ainsi ils peuvent plus facilement être mêlés aux trafics de drogue dans la prison et autres en ayant à leurs cotés des surveillants «mafieux». «Cela concerne principalement les trafiquants de drogue notoires qui ont énormément de contacts à l’extérieur et aussi beaucoup d’argent. Ils n’ont pas seulement recours, à ce moment-là, à la drogue, mais aussi à d’autres produits interdits comme la nourriture non-autorisée pour se faire plaisir, de l’alcool et, de façon plus récurrente, les téléphones portables.»
Peuvent-ils faire la pluie et le beau temps à travers la prison par leur comportement ? Selon notre source, encore une fois non. Ils sont traités comme tout le monde et les actions adéquates sont prises immédiatement car il y a des garde-chiourmes qui exercent leur travail avec dévotion et qui ont toujours l’autorité requise. «Bien souvent, les ‘grosses têtes’ sont isolées dans des cellules pour éviter au maximum le contact.» Nous nous sommes également tournés vers des ex-détenus qui nous ont donné une version différente. «Boukou zafer pa bon dir me boukou zafer passé endan laba», explique l’un d’eux, un habitant d’un faubourg de la capitale, qui a purgé deux ans à la prison de Beau-Bassin.
Selon lui, pour ceux qui ont de l’argent, la vie en prison est plus facile que pour les autres. Bien sûr qu’il y a des privilèges. «J’ai moi-même personnellement vu quelques-uns boire du whisky en cellule. Les téléphones ne sont qu’un détail. Puis il y a les cigarettes qui étaient en abondance. Ti nou kas sa. Donc pour contrôler la base, il faillait en avoir en main.» C’était il y a une dizaine d’années. «Ti strict me pa kouman aster, bann ti zafer pou dres lekor tou ti pe gagné.» Mais assure-t-il, il n’a jamais fait partie de ces groupes. Car il y a aussi des désavantages comme le fait qu’en cas de trahison, vous pouvez ne pas revoir le jour. Ces caïds, dit-il, pensent à tout. Absolument à tout. Et sont souvent “armés” de couteaux ‘artisanaux’ fabriqués dans les ateliers par les gens du gang toujours. «Si souvent cela est utilisé dans le but de faire peur, rien ne garantit que cela ne peut pas être utilisé contre vous. Pa pou kapav raporté osi sa, sinon kapav gagn plis.»
Boucherville trahi par ses empreintes digitales...
<p>C’est grâce à ses empreintes digitales retrouvées dans la voiture de Sooriadev Jodhun que Roger de Boucherville avait été arrêté quelques jours plus tard pour l’assassinat du chauffeur de taxi, le 16 janvier 1986. Est-ce une pratique courante ? Oui selon l’ex-inspecteur de police, Ranjit Jokhoo. Cette méthode est utilisée depuis plus d’une centaine d’années dans le pays. La police doit faire des prélèvements sur les lieux d’un crime pour avoir toutes les empreintes possibles. Puis, explique-t-il, les données sont envoyées au «<em>Crime Records Office</em>» de la police toujours pour la comparaison. <em>«Sur place, il y a le ‘record’ de tous les condamnés par la justice qui tombent sous le ‘fingerprintable offence’, soit les vols, les viols et autres délits de violence. On compare les empreintes sur un lieu de crime dans le database.»</em> Puis, il est possible aussi que ces empreintes recueillies par la police soient comparées à un suspect potentiel dans l’affaire en question, pour voir s’il n’est pas fiché à la police. «<em>Dans le cas de Boucherville, il était déjà connu des services de police</em>», relate-t-il. Depuis une trentaine d’années, il y a aussi les prélèvements d’ADN, qui sont plus poussés, avance l’ancien policier de la MCIT. «<em>Mais ce n’est que depuis peu que la base de données pour l’ADN a été mise en place, donc tous les criminels connus de la police n’ont pas leur ADN répertorié par la force policière</em>...»</p>
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