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Johnson Roussety: «De graves cas de corruption notés»

28 mars 2022, 10:01

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Johnson Roussety: «De graves cas de corruption notés»

«Nous avons noté plusieurs soupçons de corruption grave. J’ai l’impression que d’anciens commissaires étaient des assoiffés voulant abuser de leur position pour en profiter.» Propos du chef commissaire, Jonhson Roussety. Il sera à Maurice demain et compte rencontrer le Premier ministre, Pravind Jugnauth, mercredi.

Vous rencontrez le ministre des Finances cette semaine. Quelle sera votre première requête ?
Il ne faut pas nous voir comme des dirigeants rodriguais venant quémander quoi que ce soit. Rodrigues est une partie intégrante de la République de Maurice et elle a toujours eu une considération pour ses besoins. S’il y a justement une requête à faire, c’est de nous accorder les moyens budgétaires pour rattraper un certain retard, par exemple, dans les énormes investissements à faire pour l’eau. À ce jour, l’île n’a pas de centre de traitement d’eau, ce qui fait que l’eau distribuée n’est pas potable. Il y a aussi la question d’assainissement des eaux usées, un des Sustainable Development Goals des Nations unies. Je pense que le gouvernement central sera d’accord avec nous pour trouver des solutions durables à ces problèmes autant que possible. Je crois dans le leadership du PM ; il a une attention particulière pour Rodrigues.

Avez-vous eu des échanges téléphoniques avec Pravind Jugnauth ? Quelle est le type de relations entre lui et votre gouvernement sachant que son parti a soutenu votre adversaire ?
Nous avons eu une conversation téléphonique très positive et cordiale et il m’a aussi félicité pour mon élection. Je ne suis pas au courant et je ne crois pas que son parti a soutenu notre adversaire. Il m’a dit que lui-même comme PM et son gouvernement ont la ferme intention de travailler avec les nouveaux élus de Rodrigues et de développer de bonnes relations de travail. Je suis allé dans le même sens en le rassurant que nous n’avons nullement l’intention de polémiquer avec le gouvernement central et que nous sommes pour le dialogue quand il y a des choses à discuter.

Il semble qu'un audit de votre bureau a démontré des soupçons de fraude. Vous nous dites un peu plus ?
Nous avons notés plusieurs soupçons de corruption grave. J’ai l’impression que d’anciens commissaires étaient des assoiffés voulant abuser de leur position pour en profiter. Il y a, par exemple, la création d’une compagnie dans laquelle l’ARR a injecté Rs 5,1 millions. Ils ont aussi choisi un autre actionnaire privé qui devait injecter Rs 4,1 millions dont on n’a jamais vu la couleur. Un précédent auditeur n’a pas vu les comptes de cette compagnie. Le Conseil exécutif a même été mal informé car en nous basant sur le dossier et les entrées à la Companies Division, nous avons constaté que certaines données ne correspondaient pas. Le gouvernement, à travers cette compagnie pilotée, a été tout bonnement arnaqué. Nous avons commandé un nouvel audit et, au vu des conclusions, nous rapporterons le cas à la commission anticorruption ou à la police. 

Plusieurs centaines de milliers de roupies ont été payées pour des camions d’eau de mer destinés à éteindre les incendies au dépotoir de Roche-Bon-Dieu. Parmi, se trouvent des camions d’un candidat de l’Organisation du Peuple de Rodrigues aux dernières élections. Les cours des résidences de certaines personnes sont remplies de pelleteuses, tractopelles et semi-remorques coûtant des millions de roupies que nous soupçonnons provenir de pactoles résultant de la corruption sous le régime de l’OPR. Cela pourrait être du blanchiment d’argent. Ils ont acheté un ancien hôtel dans le Nord de l’île pour Rs 60 millions et ils ont conclu un contrat pour le vendre à moindre prix. L’ARR a fait des pertes sur cette vente. Depuis quand l’ARR a-t-elle pour mission de s’engager dans l’achat et la revente de biens immobiliers, surtout un hôtel délabré ? Nous nous retrouvons avec cet héritage aujourd’hui. Le motif ne peut être plus clair : des éléments laissent fortement croire qu’il y a eu corruption.

Quelles sommes d'argent sont concernées ?
Beaucoup. Par exemple, Un atelier de travail de trois heures pour les employés de Rodclean a couté Rs 800 000. Nous découvrons plus au fur et à mesure que nous plongeons dans les dossiers. 

Les Rodriguais ont toujours le même problème d’eau plus de 50 ans après l’indépendance et 20 ans d’autonomie. Par quelle magie allez-vous le régler en cinq ans ?
Nous sommes l’équipe qui apportera une solution durable à ce problème aigu qui mine la vie des gens. L’OPR a été une catastrophe dans ce domaine et partout d’ailleurs. Je vous donne l’exemple des unités de dessalement d’eau de mer qui devait venir soutenir les ressources d’eau de surface : aucune unité ne fonctionne à ce jour et nous héritons de cela. L’unité d’Anse-aux-Anglais est inutilisable. Où sont passées les centaines de millions de roupies investies dans ces unités ? Actuellement mon bureau se démène pour trouver le personnel technique qualifié pour essayer de réparer ces unités de dessalement et les remettre en marche. En 2012, un consultant kenyan spécialiste de l’eau, M. George Krhoda, avait produit un rapport liant les effets du changement climatique au secteur de l’eau à Rodrigues. Ce rapport contient tout ce qu’il faut faire pour réformer et moderniser ce secteur dans l’île. Le rapport a été mis au placard et je viens de le dépoussiérer quand je préparais le discours-programme régional. 

Pire l’OPR, par pure vengeance politique, a mis au tombeau les réformes que nous avions entamées pendant notre mandat 2006-2011 et démantelé l’organisme que nous avions créé, la Rodrigues Water Company, qui avait déjà produit des résultats encourageants. Nous avons perdu 10 ans avec les bêtises de l’OPR. Le problème d’eau à Rodrigues a deux aspects : la faible pluviométrie et le manque de réservoirs naturels. Ces deux facteurs font que l’île a toujours eu un déficit d’eau. Il y a aussi l’aspect institutionnel. Les abonnés ne sont pas connectés à un compteur d’eau. Nous n’avons pas un réseau d’eau pressurisé dans le sens que la fourniture est intermittente. Je compte m’entourer des meilleurs experts pour attaquer ce problème. La magie, c’est notre volonté d’étudier ce problème et de venir avec des solutions adaptées pour augmenter l’offre et rationaliser la demande.

L’ARR demandera certainement au gouvernement de débloquer des sommes additionnelles pour régler les problèmes urgents. Que ferez-vous s’il vous dit que la situation économique ne le permet pas ?
Nous sommes déjà conscients que la situation économique est difficile et nous avons l’intention de faire bon usage de chaque roupie allouée au budget. Il est dommage que des milliards ont été gaspillés par le précédent gouvernement régional à un moment où il fallait investir dans des infrastructures physiques comme l’eau, par exemple. Mais il faut aussi comprendre que Rodrigues a des retards accumulés dans plusieurs secteurs. Nous rencontrerons les autorités concernées à Maurice cette semaine pour présenter nos propositions dans les grandes lignes. Que puis-je faire si la situation économique ne le permet pas ? Utiliser ce qu’on accordera à Rodrigues à bon escient !

Dans votre discours programme, vous projetez d’attirer des investisseurs privés. Dans quels secteurs sera-ce possible ?
Nous avons les BPO/ICT où nous voulons encourager une vraie émergence, vu notre population jeune et formée. Si nous réussissons à avoir des liaisons maritimes internationales, nous pensons nous lancer dans la transformation légère et privilégier la réexportation sur le continent africain et vers l’Europe, prenant en compte le projet d’agrandissement de l’aéroport. Nous sommes un peuple d’artisans mais au fil du temps les matériaux traditionnels se sont raréfiés et nos produits ne sont pas assez compétitifs. Si nous pouvons importer des matériaux synthétiques ou naturels à bas coût, un secteur de l’artisanat orienté vers l’exportation pourra surgir. Nous avons aussi le tourisme où nous voulons des investisseurs comme dans la diversification des activités touristiques offertes : restaurants, activités nautiques, etc. Nous voulons aussi que Rodrigues deviennent une zone duty-free – encore un projet à convaincre – dans le but d’attirer les Mauriciens et plus de touristes. 

Vous êtes économiste. Êtes-vous de ceux qui croient que les taxes récoltées à Rodrigues doivent être versées au budget de Rodrigues ?
Oui. Je crois dans une plus grande dévolution des pouvoirs où Rodrigues serait appelé à opérer son propre système fiscal dans le cadre national. Il nous faut réfléchir aux implications et aussi aux implications. Qui dit taxes récoltées, dit aussi dépenses budgétaires. Aurons-nous assez d’argent pour financer les dépenses publiques à Rodrigues ?

Vous voulez relancer l’économie rodriguaise. Quelle est votre formule ?
Laisser passer, laisser faire ! La liberté économique dans le développement durable – encourager les opérateurs économiques à innover et à saisir les occasions qui s’offrent. Les anciens dirigeants avaient placé Rodrigues sous une forme de perfusion économique en fermant l’accès aux terres gérées à 90 % par l’ARR, aux permis pour opérer des business et tant d’autres facilités. Ils avaient instauré un système discriminatoire qui a découragé beaucoup d’entrepreneurs dans tous les domaines pour conserver les avantages acquis de quelques familles locales dans certains secteurs clés comme la grande distribution. Ils monopolisaient la disponibilité des conteneurs sur les navires, ils empêchaient la compétition et voulaient instaurer une mafia économique. 

Cela se faisait aussi avec l’allocation des contrats et sous contrats. Ils avaient réussi à monopoliser la location de véhicules auprès d’une grande entreprise de construction pour des travaux publics avec 22 véhicules placés par leur agent politique. Personne d’autre ne pouvait fournir ces véhicules loués. Il en va de même avec les gros équipements loués par cette firme. La corruption et l’unexplained wealth se sont multipliées pour quelques privilégiés et cela était visible. Aujourd’hui nous cassons tout cela et donnons les mêmes chances aux autres. En même temps, nous étudions la possibilité d’avoir une liaison maritime directe avec des ports étrangers qui nous aiderait à réduire le coût exorbitant du fret. Nous devons convaincre le gouvernement central d’être notre partenaire et de nous soutenir dans cette volonté. Nous avons une jeunesse qui veut travailler et nous allons soutenir le développement des BPO dans l’île pour créer des emplois. Nous allons retravailler notre branding touristique et promouvoir Rodrigues comme une destination de référence au niveau nature et culture. 

Rodrigues était le grenier de Maurice dans les années 80. Aujourd’hui, l’île dépend autant de l’importation que Maurice. Quel est votre plan pour relancer l’agriculture à Rodrigues ?
Les terres ont été abandonnées et les agriculteurs sont découragés. Il n’y a eu que des déclarations d’intention qui ne se sont pas traduites dans la réalité. Avec le plan d’aménagement du territoire que l’OPR avait encore une fois mis au placard, nous allons définir toutes les zones réservées à l’agriculture et donner les moyens pour relancer l’agriculture. Il y aussi le problème de l’irrigation dont nous allons tenir compte dans notre réforme de l’eau. Avec les bouleversements constants au niveau international, nous pensons qu’une île comme Rodrigues doit préserver sa relation avec la terre nourricière et aider nos agriculteurs à se relever. Le commissaire à l’Agriculture, Louis Ange Perrine, a déjà entrepris une consultation pour réformer l’agriculture rodriguaise et la rendre plus productive. 

Rodrigues n’est plus Covid-free. La pandémie a confirmé des manquements dans votre système de santé. Comment allez-vous gérer ce problème ?
Le gouvernement sortant de Rodrigues avait eu deux ans pour se préparer et quand le virus est arrivé, j’ai eu honte de voir ce qui s’est passé avec un désordre total, notamment dans le traitement des enfants testés positifs et entassés dans des pièces. Il y a toujours des manquements auxquels nous remédions, mais nous avons été chanceux de ne pas être affecté avec un variant plus grave du virus. Je pense que Rodrigues doit construire un centre d’isolement et de quarantaine plus approprié dans les plus brefs délais. On ne sait pas ce qui peut encore se passer car nous ne sommes pas vraiment sortis de la pandémie. Nos moyens sont certes limités et nous nous devons d’être vigilants.  

Rodrigues fait partie de la République, mais comment expliquez-vous qu’il faille envoyer des patients à Maurice car Rodrigues n’a pas les services nécessaires pour certaines maladies ?
C’est justement de ce retard que je vous parle. Les femmes rodriguaises qui se préparent à accoucher voient un gynécologue différent à chaque rendez-vous. Quel suivi est possible ? Même chose pour d’autres secteurs de la santé. En même temps, il faudra malheureusement toujours envoyer des patients à Maurice pour des cas compliqués et dans des domaines où il est impossible d’avoir les équipements à Rodrigues. Nous travaillons sur le projet d’un nouvel hôpital moderne. Nous pensons que les infrastructures de l’hôpital de Crève-Cœur, qui datent de l’époque coloniale, ne sont plus adaptées pour des extensions appropriées. Le Conseil exécutif se penche sur la question et nous prendrons des décisions bientôt. 

Il y a eu une exode de Rodriguais à Maurice. Parmi, beaucoup vivent dans la misère. Que comptez-vous faire pour eux ?
C’est un problème national et pas uniquement celui de l’ARR. Nos attributions ne nous permettent pas d’intervenir dans le domaine social à Maurice. Si ces Rodriguais ont quitté leur île, c’est souvent avec regret parce qu’ils n’avaient pas de travail. Ils ont aussi été victimes de discriminations politiques graves : on leur a refusé pendant des décennies un bout de terrain à bail pour vivre ; ils n’ont pas eu accès à l’eau ; bref, leurs droits humains ont été violés. En même temps, il faut comprendre les limites de l’île dues à sa taille. Nous comptons les contacter et mieux comprendre leur situation pour les aider ou approcher des organismes comme la NEF et la NHDC pour leur venir en aide car ils sont des citoyens mauriciens tout comme les natifs de Maurice. Nous aiderons ceux qui veulent rentrer à Rodrigues en traitant avec attention leur demande de bail résidentiel, par exemple. 

On se souvient que, dans un entretien accordé à l’express quand vous étiez chef commissaire, vous aviez menacé de réclamer l’indépendance de Rodrigues à cause d’un manque de soutien du gouvernement central. Cela risque-t-il de se reproduire ?
Je n’avais rien réclamé en ces termes ! C’est votre journaliste à l’époque qui avait voulu l’interpréter ainsi. J’en avais ri. Je suis pour plus de pouvoirs dévolus mais pour l’Indépendance avec 101 km2 et 42 000 personnes, il faut faire une étude de faisabilité. L’Indépendance ne doit pas être juste une question de fierté et de volonté. Une petite île indépendante doit pouvoir survivre décemment. Beaucoup de petites îles indépendantes dans le monde ont d’énormes difficultés et ont connu une dégradation de leur niveau de vie. Nous avons le Mouvement indépendantiste Rodriguais dans l’Alliance Libération et eux sont pour l’Indépendance. Il faut comprendre le sentiment de frustration qu’ont vécu les Rodriguais durant presque deux siècles sous le régime colonial et ensuite après l’Indépendance. Valeur du jour, avec le retour des Chagos sous la République de Maurice, je crois qu’une réflexion doit se faire pour une meilleure intégration de tous les peuples et composants territoriaux dans la République – il faut promouvoir une unité républicaine plus solidaire de toutes les îles, reconnaître leur capacité, respecter la culture de leur population et leur donner les moyens de s’épanouir. 

Est-ce facile de gouverner sachant que le candidat malheureux Richard Payendee conteste votre élection en Cour suprême ?
 Vous avez bien dit malheureux. Je ne vais pas entrer dans les détails mais je dirai que ce candidat malheureux, et qui doit bien l’être, et son parti n’ont pas encore accepté la cuisante et historique défaite électorale du 27 février. Ils n’ont pas d’autre choix que de se raccrocher au moindre petit espoir pour montrer à leurs partisans qu’ils sont toujours là et pour se couvrir la face. Je n’ai jamais arrêté de résider à Rodrigues : je n’ai rien vendu quand je suis parti en Australie pour des raisons personnelles ; ma compagne et mes quatre enfants y sont restés et j’ai toujours eu l’intention de revenir y vivre et de contester les élections. Je ne pouvais pas nager ou voler un voilier pour rentrer à Rodrigues alors que l’act of God, la pandémie de Covid-19, m’en empêchait – les frontières entre Maurice et l’Australie étant fermées. Même Air Mauritius avait annulé tous ses vols vers l’Australie. Nous débattrons le fond de la contestation à la Cour mais vous vous rappellerez que les mêmes perdants avaient contesté en 2006 l’élection de Louis Ange Perrine et qu’ils avaient perdu. La leçon principale dans le jugement favorable envers mon colistier de 2006 et de 2022 est que la notion de résidence n’a jamais voulu dire que le candidat devait être physiquement présent durant les six mois avant les élections. Les palabres de l’OPR ont voulu faire croire que je ne pourrais pas être candidat et ils sont venus le contester le jour du nomination day. Le Returning Officer les a rabroués avec raison. Maintenant ils continuent de tenter leur chance avec ce qui leur reste comme espoir. Ils sont tellement ignorants et naïfs qu’ils demandent que leur candidat sorti en troisième position soit «nommé» candidat dans leur hypothétique croyance que la Cour va me déchoir de mon siège, alors que cela nécessiterait une élection partielle.

Est-ce facile de prendre des décisions et de réaliser des projets en sachant que vous ne serez chef commissaire que pour deux ans ?
Nous sommes dans une alliance électorale. Notre programme est sur cinq ans et chaque chef commissaire l’appliquera. Je ne vois pas le problème du moment que l’on suit le programme établi ensemble, quitte à faire des adaptations en cours de route. Nous sommes une équipe soudée qui veut compléter ce mandat et même nous représenter ensemble pour continuer à guider l’île Rodrigues sur le chemin du développement durable.