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Shirin Aumeeruddy-Cziffra: «Chaque entreprise peut adopter ses propres critères environnementaux, sociaux et de gouvernance pour se protéger»

5 avril 2022, 22:00

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Shirin Aumeeruddy-Cziffra: «Chaque entreprise peut adopter ses propres critères environnementaux, sociaux et de gouvernance pour se protéger»

Dentons Mauritius LLP, qui fait partie des grands cabinets juridiques avec des antennes un peu partout dans le monde, innove avec l’installation d’un service pour aider les entreprises désireuses de suivre la stratégie des «Environmental, Social and Governance» (ESG) pour respecter l’environnement, le droit social et la gouvernance. L’avocate, ancienne ministre de la Justice et des Droits de la femme et membre de ce cabinet nous en dit plus.

Vous êtes connue comme une grande militante des droits de l’homme mais aujourd’hui vous évoluez au sein de Dentons Mauritius LLP, qui fait partie d’un des plus grands cabinets juridiques internationaux. À quoi attribuez-vous cette nouvelle orientation de votre carrière ?

Toutes les questions juridiques m’intéressent, même si au niveau des droits humains je suis particulièrement connue à cause de l’affaire que j’ai portée avec 19 Mauriciennes contre le gouvernement de Maurice en 1977 devant la Commission des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations unies. Mais j’ai là l’occasion d’exercer le droit dans mes domaines de compétence non seulement à Maurice mais aussi dans la région et n’importe où dans le monde. Je suis intéressée par le droit civil, la loi du travail, le respect des femmes et des enfants, la non-discrimination et tout ce qui a trait à la violence. À mon arrivée, j’ai constaté que Dentons a su combiner ses atouts dans le droit des entreprises et les droits humains et qu’il a décidé de s’investir dans la stratégie ESG, c’est-à-dire l’environnement, le social et la gouvernance.

Comment l’approche de Dentons à ces trois facteurs est-elle déployée à Maurice ?

Dentons a mis en place une équipe de juristes spécialistes de cette question fondamentale qui est devenue un concept stratégique incontournable pour toutes les entreprises. Notre objectif est de sensibiliser les compagnies et, si besoin est, de les accompagner à changer de stratégie pour s’y conformer et pour leur propre réussite. Il y a eu une prise de conscience au niveau international que le changement climatique, les atteintes à l’environnement, le non-respect des droits humains et la délinquance en col blanc, comme le blanchiment d’argent et autres fraudes, font un tort immense à la société et aux populations. Les multinationales ont compris qu’elles n’ont plus intérêt à continuer à travailler dans l’opacité, selon d’anciens modèles. Les entreprises savent qu’il faut une approche plus saine et plus moderne pour réussir en affaires. Elles sont jugées en permanence par le grand public qui a acquis une grande capacité à protester grâce aux réseaux sociaux.

Pourquoi recourir à l’ESG alors que Maurice dispose déjà de la «Corporate Social Responsibility» ?

Le concept de l’ESG est différent de la Corporate Social Responsibility (CSR), que les Mauriciens connaissent bien et qui implique que les grandes entreprises doivent consacrer un pourcentage de leurs bénéfices au financement de programmes sociaux définis par le gouvernement. Dans mon récent livre, Femmes, de l’ombre à la lumière, il y a un chapitre sur les droits sociaux et le droit au développement où j’explique ce concept et son évolution actuelle car cela touche particulièrement des femmes qui en sont victimes. La CSR doit continuer, mais avec l’ESG, on parle de transformation à l’intérieur de chaque compagnie,

C’est une évidence qu’aujourd’hui on parle beaucoup d’ESG. En clair, c’est quoi ?

Il s’agit d’une stratégie que l’entreprise doit mettre en place pour respecter l’environnement, se conformer au droit social ainsi qu’aux principes de gouvernance que nous retrouvons dans plusieurs traités. Dans certains pays démocratiques, des lois ont été votées pour un meilleur contrôle. À Maurice, il y a des lois. Prenons l’exemple de la gouvernance. Il y a déjà longtemps qu’on en parle, y compris à Maurice, et des organismes sont désormais chargés du suivi de la gouvernance des entreprises. La Financial Reporting Act de 2004 a créé le National Committee on Corporate Governance, qui en est à son deuxième code de bonne gouvernance.

Ce code traite de transparence dans les affaires, de saine gestion financière, mais aussi de relations harmonieuses parmi les employés et de développement durable. En fait, cela ne concerne que les Public Interest Entities, en général, des entreprises cotées en Bourse ou celles ayant un impact considérable sur la population, comme le Central Electricity Board ou la Central Water Authority, qui fournissent l’électricité et l’eau respectivement. Il y a aussi l’Environment Protection Act et la Workers’ Rights Act. Il faudrait des lois plus pointues avec des sanctions pour pénaliser leur non-respect, comme cela a été le cas pour l’interdiction des matières plastiques, qui est une réussite quasi-totale pour l’alimentation.

Pour toute entreprise, ce qui compte, c’est la possibilité de repérer des opportunités pour réaliser des profits. Est-ce possible avec l’ESG ?

En réalité, l’ESG est une véritable opportunité. Chaque entreprise peut faire son propre bilan et adopter ses critères ESG pour se protéger. Il faut s’attendre à des procès de plus en plus nombreux en cas de simple négligence, d’absence de maîtrise des outils de production ou de formation du personnel. Ce qui représente un risque pour une compagnie. Prenons l’exemple de la gestion des déchets ou des substances toxiques. Nous nous souvenons de tous les écoliers qui ont été malades à la suite du déversement de déchets toxiques dans un cours d’eau voisin. Aujourd’hui, une entreprise doit prévoir en amont tout ce qui lui permettra de respecter l’environnement, les droits sociaux et la bonne gouvernance. Elle ne peut pas attendre d’être critiquée ou d’être sanctionnée car cela ne plaira ni à ses investisseurs, ni à ses clients et, à terme, cela affectera négativement son chiffre d’affaires.

Sur quoi s’oriente justement le critère social ?

Il porte, entre autres, sur les droits des employés, que ce soit en matière de salaires et de conditions de travail, de santé et de sécurité ou de risques psycho-sociaux, comme le burnout. En France, une grande entreprise a connu des difficultés après le suicide de plusieurs salariés. D’où l’importance d’un dialogue social constructif à l’intérieur de la compagnie et du respect des lois du pays et des droits humains. De plus, l’entreprise doit s’assurer que sur toute la ligne il y a le respect des droits fondamentaux, ce qui exclut en particulier que ses fournisseurs fassent travailler des enfants ou des femmes dans une forme d’esclavage moderne. Le trafic d’êtres humains existe malheureusement dans certains pays.

Lorsqu’on évoque le concept de gouvernance, le premier élément qui vient à l’esprit est celui de devoir rendre compte par rapport aux engagements pris. À qui doit-on rendre des comptes ?

À tous ceux concernés : le gouvernement, les investisseurs, les financiers, les clients, les fournisseurs, les employés et même la collectivité. Désormais, nous vivons dans un village global où tout est interdépendant. La société civile est très active, surtout quand il s’agit de problématiques qui touchent les gens de près. Si une entreprise fait du tort à la communauté, les gens protestent. Dans le secteur public, on a vu que les dirigeants ont souvent ces jours-ci dû changer une décision qui ne faisait pas l’unanimité. Par exemple, le non-respect de l’environnement affecte la vie quotidienne des gens. La déforestation a poussé les chauves-souris à chercher leur nourriture dans les villes, où elles pillent les arbres fruitiers.

Comment le gouvernement devrait-il s’y prendre pour démontrer que les principes d’ESG ne sont pas tombés dans l’oreille de sourds ?

Il faut légiférer pour s’assurer que chacun respecte les critères d’ESG. Ce sera possible lors du prochain exercice budgétaire. Quand il y a des lois, il y a un meilleur contrôle. Les organisations multilatérales comme l’Union européenne vont très vite imposer leurs règles. On parle actuellement d’un «package qui comprend trois principales caractéristiques : un système européen unifié de classification des activités économiques durables ; les obligations des investisseurs et la communication d’informations sur la prise en compte des critères d’ESG dans leurs décisions d’investissement ; la création d’indices de référence correspondant à une faible intensité de carbone».

Comment (dans le cadre de son implication par rapport aux concepts ESG) Dentons est-il en mesure de donner une dimension plus régionale à sa démarche ?

Dentons Maurice fait partie de Dentons Afrique et nous sommes en contact régulier (sur cet agenda) car notre cabinet coordonne les actions pour promouvoir l’ESG (dans toute l’Afrique) à travers nos bureaux dans chaque pays sur le continent. Mais nous voulons que Maurice soit avant-gardiste dans ce domaine. Comme le dit si bien mon confrère Robin Mardemootoo (et l’équipe Dentons) : «Maurice peut devenir un pays phare dans la région en matière d’ESG.»