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Rapport de l’Audit: un nouveau caillou dans la chaussure de Padayachy
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Rapport de l’Audit: un nouveau caillou dans la chaussure de Padayachy
D’une année à l’autre, d’un rapport à l’autre, le directeur de l’Audit tire la sonnette d’alarme sur les carences, irrégularités, voire gaspillages de fonds auxquels les finances publiques sont confrontées. À chaque fois, ce sont les fonctionnaires qui sont pointés du doigt. Jamais les ministres. Car de Sunil Ramooah à Rajun Jugurnath, de Moussa Taujoo à Kadress Pillay, qui a été d’ailleurs le premier directeur de l’Audit, le constat est saisissant .
Car finalement, c’est la même musique qu’on entend : des fonctionnaires sévèrement blâmés pour des abus à la Santé, dans les chancelleries à l’étranger, dans la force policière, aux Infrastructures, dans des corps paraétatiques, etc. Et pourtant, chaque année ils récidivent, nullement inquiétés. Alors pourquoi ?
Certes, il ne faut pas généraliser. Il y a dans la fonction publique des cadres compétents, consciencieux, épris des principes de bonne gouvernance et prônant la transparence. Alors que d’autres s’appuient sur leur proximité avec les princes du pouvoir, se comportant comme de véritables mandarins pour placer leurs pions.
Conscients de leurs faiblesses intellectuelles, ils jouent sur d’autres claviers pour grimper l’échelle de la promotion. «Dans le scandale de l’achat du Monulpiravir en décembre, où l’offre la plus élevée a été acceptée au détriment de celle considérée comme étant raisonnable par les spécialistes, et que le directeur de l’Audit a vivement dénoncé dans son rapport, il faut comprendre qu’on ne peut blâmer tous les fonctionnaires de ce ministère. Il y a un Accounting Officer, généralement le Senior Chief Executive ou Permanent Secretary ou Assistant Permanent Secretary, qui est comptable envers son ministre et le département de l’Audit, en cas de dérives. C’est à lui seul qu’il doit rendre des comptes»,explique un ex-haut fonctionnaire. Il s’étonne que le ministre arrive toujours à s’en sortir, même si le passé peut le rattraper. Les exemples ne manquent pas d’un gouvernement à l’autre.
Or, la doxa, qui veut faire croire qu’un haut fonctionnaire ne peut refuser une directive de son ministre, est balayée aujourd’hui d’un revers de main par d’anciens hauts fonctionnaires. Jadis confrontés à de telles situations, ces derniers ont eu le courage de résister même s’ils ont dû, dans la foulée, subir des pressions et être transférés arbitrairement. «Un haut fonctionnaire peut légalement refuser de cautionner par sa signature un projet ministériel s’il sait sur la base d’une étude que ce projet entraînera des dégâts financiers ou une décision contraire aux procédures des règles des marchés publics» souligne un ancien chef de la Fonction publique. Et s’il y a insistance de la part de son ministre, il peut accepter under protest, en prenant soin toutefois de tout expliquer dans une note, signée par le ministre, et annexée au dossier. Ce qui, dit-il, lui permettra de se dédouaner en cas d’investigation du bureau de l’Audit.
«La DOXA, qui veut faire croire qu’un haut fonctionnaire ne peut refuser une directive de son ministre, est balayée aujourd’hui d’un revers de main par d’anciens hauts fonctionnaires.»
Aujourd’hui, le bureau de l’Audit est impuissant face aux carences financières répétées des fonctionnaires. Or, une telle situation ne peut perdurer à un moment où des pressions s’exercent sur les finances publiques. En même temps, il est de notoriété publique que congédier un fonctionnaire aujourd’hui relève d’une tâche herculéenne tant les procédures sont longues au niveau de la Public Service Commission. Même s’il est suspendu, il touchera son salaire, le temps que le judiciaire se penche sur son cas. «La lenteur administrative du système judiciaire fait qu’à la fin de la journée, l’État perd énormément d’argent et le directeur de l’Audit relève ce point chaque année dans son rapport», souligne notre interlocuteur.
Or, le concept de hire and fire dans le privé est une réalité qui s’applique aux cadres trouvés coupables de fautes professionnelles, susceptibles d’entraîner de pertes d’argent pour la société ou encore ceux soupçonnés de malversations financières. Certes, dans le privé, tout n’est pas blanc comme neige et bien souvent pour ne pas écorner son image, une entreprise se livre à du window-dressing et étouffe volontairement certains scandales financiers.
Il est évident qu’avec autant de fonds gaspillés, qui se conjuguent en dizaines de milliards de roupies, couplés à une liste de projets d’éléphant blanc, comme le complexe sportif national de Côte-d’Or, et pèsent lourd dans les caisses de l’État, c’est le ministre des Finances qui voit sa marge de manœuvre réduite comme une peau de chagrin. À une dizaine de semaines de la présentation de son troisième budget, Renganaden Padayachy marche visiblement sur les œufs, condamné à s’adonner à un véritable exercice d’équilibriste pour son prochain oral.
«Des spécialistes s’interrogent sur un principe de base de la gestion qui veut que quand le revenu est sur une pente descendante, il faut impérativement contrôler les dépenses afin d’éviter un déséquilibre financier.»
Désordre des finances publiques
À cet effet, le bilan financier de l’État que dresse Sunil Ramooah a de quoi faire sourciller l’entourage du ministre. Avec des actifs à court terme de Rs 77 milliards, soit inférieurs aux passifs de Rs 97 milliards du 30 juin 2021, des spécialistes s’interrogent si le pays est techniquement solvable et si l’État sera en mesure d’honorer ses obligations financières. «Les comptes audités de l’État démontrent la grande fragilité financière actuelle. Cela alors même que les revenus générés de la taxe ont lourdement chuté, passant de Rs 95 milliards en 2019 à Rs 86 milliards en 2021, soit une baisse de 10 %. Et les dépenses ont été financées principalement par des emprunts de Rs 135 milliards et un don de Rs 55 milliards de la BoM», soutient Sudhir Sesungkur, ex-ministre des Services financiers, expert-comptable et partenaire chez Moores Rowland (Mtius). Il rappelle que, contrairement aux prévisions du ministre des Finances, qui avait tablé sur un budget équilibré, l’année financière 2020-21 s’est soldée sur un déficit. «Il y a visiblement un énorme désordre dans les finances de l’État.» Le pays a ainsi enregistré des déficits records de Rs 44 milliards en 2020 et de Rs 49 milliards en 2021, soit presque Rs 100 milliards en deux ans, ajoute-t-il.
Pour autant, des spécialistes s’interrogent sur un principe de base de la gestion qui veut que quand le revenu est sur une pente descendante, il faut impérativement contrôler les dépenses afin d’éviter un déséquilibre financier. Dans le cas de Maurice, ils s’étonnent qu’il y a non seulement la baisse courante des revenus mais aussi des dépenses qui montent en flèche. Pour preuve, les dépenses des services publics, selon Sudhir Sesungkur, ont augmenté de Rs 20 milliards en 2018 pour passer à Rs 69 milliards en 2021, soit une hausse de Rs 245 %.
Sans doute Renganaden Padayachy s’appuiera sur la crise du Covid pour justifier l’état des finances publiques. Et hier au Parlement face à la PNQ du leader de l’Opposition, Xavier-Luc Duval, qui réclamait un train de mesures pour soulager financièrement les gens au bas de l’échelle et de la classe moyenne, face à la cherté de la vie, le ministre des Finances a voulu répondre à certaines critiques entendues ici et là en indiquant que la pandémie a couté au pays 15 points de PIB. Non sans avoir égrené un chapelet de mesures comme le Wage Assistance Scheme et le Self-Employed Assistance Scheme à plus de 550 000 personnes au coût de Rs 27 milliards pour soutenir le pouvoir d’achat des employés. Ou encore le maintien de la subvention sur le prix du gaz mé- nager, de la farine et du riz, estimée à Rs 4 milliards et l’introduction d’une nouvelle subvention sur sept nouveaux produits essentiels à hauteur de Rs 1,2 milliard.
Comme quoi, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre ! Quoi qu’il en soit, la période hivernale risque d’être paradoxalement chaude pour le ministre des Finances. À la crise épidémique est venue s’ajouter la guerre russo-ukrainienne alors que le leader de l’opposition a brandi hier la menace de la banqueroute srilankaise sur l’économie mauricienne.
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