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Déchets médicaux: déballage de problèmes

8 avril 2022, 20:38

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Déchets médicaux: déballage de problèmes

Des déchets médicaux retrouvés, pas plus tard que la semaine dernière, en pleine nature à la «Mediclinic» de Plaine-Verte, relancent le débat sur leur gestion et leur destruction. Alors que la Journée mondiale de la Santé a été observée hier, où en est Maurice dans ce domaine ? Piqûre de rappel…

Les déchets médicaux sont considérés, au niveau mondial, comme des déchets dangereux dont on se débarrasse de manière spécifique avec des lignes directives précises. Cependant, depuis des années déjà, à Maurice, la manière dont on se débarrasse de ces déchets est pointée du doigt. Surtout dans le service public.

Dans l’enceinte de l’hôpital de Candos, des sacs en plastique contenant des déchets médicaux sont entassés les uns sur les autres, à ciel ouvert, à la merci des rongeurs, insectes et autres animaux. On y retrouve pêle-mêle des fioles, dossiers et pansements, entre autres. Selon le protocole de tous les établissements hospitaliers, les déchets sont classifiés en trois catégories: les déchets ordinaires, les déchets médicaux et les «restes humains». Les déchets ordinaires, nourriture ou papiers, sont mis dans des sacs en plas- tique de couleur noire. Tandis que les autres ordures, tels les pansements, seringues et autres, sont mises dans des sacs en plastique jaune et les restes humains provenant des amputations, opérations, entre autres, sont conservés dans les sacs en plastique rose. Les sacs en plastique jaune et rose sont censés être incinérés in situ, c’est-à-dire sur place, comme le stipule la United Nations Basel Convention on the Control of Transboundary Movement of Hazardous Wastes and their disposal, dont Maurice est signataire. Cependant, ce n’est pas le cas, car depuis des années déjà, plusieurs hôpitaux ne possèdent pas d’incinérateurs opérationnels. «Depuis l’année dernière, seuls quatre incinérateurs sur sept sont en état de marche. Ceux de Brown Sequard et de l’hôpital de Poudre-d’Or fonctionnent depuis longtemps alors qu’à Rose-Belle et Candos, ce n’est que récemment qu’ils ont été mis en état de fonctionnement», confie une source au ministère.

Les déchets médicaux sont stockés à l’air libre au mépris du respect de la santé et de l’environnement.

«Sat pe galoup ar enn bout pous»

Comment cela se passe-t-il donc pour les trois autres hôpitaux ? D’autant qu’avec le Covid-19, il y a beaucoup plus de déchets, à l’instar des tests PCR et antigéniques. «Par exemple, à l’hôpital Jeetoo, il n’y a pas d’incinérateur, donc une fois par semaine, les ordures sont transportées à l’hôpital Brown Sequard à Beau-Bassin pour y être brûlées. Sinon, il y a également une partie qui est acheminée vers Mare-Chicose pour y être enfouie», ajoute notre source. Donc, jusqu’au jour du ramassage des déchets, les sacs en plastique noir, jaune et rose restent entassés. «Vous ne vous imaginez même pas l’odeur. Ena fwa bann sak la fini perser tou, lera vini vinn manz ladan. Ou trouv lera sipa sat pe galoup ar enn bout pous dimounn pe ale. Pa fasil ditou sa.»

Même son de cloche à l’hôpital Victoria. Même si l’incinérateur marche depuis peu, plusieurs manquements sont à noter dans la gestion des déchets médicaux. Exposés au soleil comme à la pluie, tous les sacs en plastique sont jetés dans le même endroit sans tri ou soins appropriés, laissant échapper une odeur nauséabonde et toujours la proie des animaux errants, rongeurs et pestes. Revenant sur le cas de l’hôpital Jeetoo, confient nos interlocuteurs, il y avait dans le passé un incinérateur, mais désormais, celui-ci pose problème surtout en ce qui concerne l’environnement et le voisinage car le lieu, au fil du temps, a vu la construction de plus en plus d’habitations. «Sa agas bann dimounn ki res pre. Donk pa kapav kontinié fer sa laba…»

En avril 2021, le Dr Kailesh Jagutpal avait justement été questionné lors d’une séance parlementaire, par le député Fabrice David, à propos de la gestion des déchets médicaux. Sa réponse était que : «(…) les déchets dangereux sont définis par la loi sur la protection de l’environnement et répertoriés dans le Règlement de 2001 sur la protection de l’environnement comme des ordures susceptibles de causer des dommages à la santé humaine et à l’environnement en raison de leurs propriétés dangereuses…» Mais il avait aussi déclaré que ces mêmes déchets avaient été enterrés au site d’enfouissement de Mare-Chicose. En ce qui concerne les statistiques, le pays avait produit 800,3 tonnes de déchets médicaux en 2018, 813 tonnes en 2019 et 846,2 tonnes en 2020.

Danger pour les nappes phréatiques

La pratique d’enfouissement est totalement contraire aux les lignes directrices de la Basel Convention et celles de l’Organisation mondiale de la santé. Car les déchets médicaux, qui sont considérés comme dangereux, ne sont pas supposés être transportés d’un endroit à l’autre mais doivent être détruits sur place, comme l’explique Sunil Dowarkasing, ancien global strategist à Greenpeace. «Le principe in situ, c’est-à-dire incinéré sur place, est une réglementation mondiale concernant les déchets médicaux. Toutes les institutions médicales, qu’elles soient publiques ou privées, doivent être équipées d’un incinérateur pour traiter leurs déchets en interne», rappelle-t-il. D’ajouter que l’hygiène concernant le stockage des déchets médicaux aussi est supposé respecter des normes strictes. «Est-ce que l’on suit les réglementations internationales à la lettre ? Est-ce qu’il y a une cellule au niveau du ministère de la Santé et celui de l’Environnement qui font un suivi assidu ? C’est un fait connu que ce n’est pas le cas à Maurice. La manière outrancière du stockage et le fait même de transporter des déchets médicaux d’un site à l’autre ou de les laisser traîner dans la nature sont des négligences très graves. C’est dangereux pour les humains et l’environnement.»

Les médicaments par exemple, explique Sunil Dowarkasing, sont des produits chimiques et lorsqu’ils sont laissés dans la nature, ils représentent un danger de contamination pour les nappes phréatiques. Tout comme les fioles de sang ou encore les masques, tests antigéniques qui sont des bio-hazardous waste et qui peuvent potentiellement être utilisés pour des actes de bio-terrorisme. «La contagiosité de ces déchets médicaux peut être néfaste. Je ne comprends pas comment et pourquoi il n’y a pas de contrôle strict de la part des autorités.»

Un incinérateur central en gestation

Du côté des cliniques privées, une source indique, que toutes les cliniques ne sont pas dotées d’incinérateurs pour la simple raison qu’il y a eu des protestions de la part des habitants aux alentours. Les déchets sont envoyés á la clinique Mauricienne à Réduit. «Plusieurs cliniques font la même chose. Mais à l’heure actuelle, nous sommes conscients du problème et sommes en négociation avec le ministère de la Santé pour mettre en place un incinérateur central pour toutes les cliniques qui ne peuvent pas avoir le leur.» Notre interlocuteur précise qu’ils sont disposés à payer si besoin est. Cependant, Sunil Dowarkasing reitère qu’un central incinerator n’est pas non plus en accord avec lignes directrices internationales car il implique encore une fois le transport et le stockage.

Du côté de la police, une source bien renseignée souligne que les déchets sont classifiés en plusieurs catégories, soit chimique, médical ou autres. Tous sont pris en charge par la police de l’Environnement avec la collaboration de plusieurs instances comme le ministère de la Santé ou encore celui de l’Environnement. Pour ce qui est des centaines de seringues et une cinquantaine de fioles de sang et de médicaments, entre autres, retrouvés, l’année dernière sur un terrain en friche à Camp-Levieux, Rose-Hill, l’enquête a été bouclée et le rapport déjà soumis aux autorités concernées. Revenant sur le problème survenu à Plaine-Verte mis en avant la semaine dernière, la police continue son travail. «L’enquête se poursuit…» Nous avons également essayé d’avoir la version du directeur de l’Environnement, en vain.

Le ministère de la Santé, pour sa part, n’a pas voulu faire de commentaire sous prétexte qu’il y a une question parlementaire qui sera répondue mardi prochain à ce sujet.