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Le gouvernement dos au mur pour soulager le peuple en colère
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Le gouvernement dos au mur pour soulager le peuple en colère
Jusqu’où iront les manifestations populaires face à la cherté de la vie ? Arrivé hier, Pravind Jugnauth est vivement attendu au tournant pour apporter une réponse qui calmerait les esprits surchauffés d’une frange de la population écorchée vive par la crise économique et éviter dans la foulée d’autres incidents comme ceux qui ont secoué le pays en fin de semaine.
Pour le moment, on ne sait pas ce que Pravind Jugnauth ramène dans son briefcase en termes de lignes de crédit, de dons et autres promesses de Narendra Modi après une semaine à Gujarat. Ce qui est certain, c’est qu’après sa déclaration intempestive qui a davantage provoqué les manifestants que de les rassurer en faisant un amalgame avec les émeutes de Kaya en février 1999, le Premier ministre a intérêt à jouer au pompier pour éteindre le feu de la colère populaire. Et revoir la position initiale, affichée récemment par son ministre des Finances, Renganaden Padayachy, qui a refusé d’accéder à la demande du leader de l’opposition d’une série des mesures économiques intérimaires pour soulager les économiquement faibles et les ménages de la classe moyenne face à la flambée des prix, allant des denrées de base aux carburants en passant demain par le ticket d’autobus et les tarifs d’électricité. Pour cause : l’imminence de la présentation de son troisième Budget.
Si certains événements sont hors du contrôle du gouvernement, comme le soulignent les spécialistes aujourd’hui, tels la guerre russoukrainienne et ses effets économiques sur les prix des matières premières et d’hydrocarbures, qui par ricochet ont fait grimper l’inflation en glissement annuel à deux chiffres à 10,7 % en mars, en revanche, il existe d’autres variables sur lesquelles le gouvernement peut avoir une emprise. C’est le cas de la valeur de la roupie qui s’est fortement dépréciée vis-à-vis des principales devises étrangères, soit plus de 18 % face au dollar depuis décembre 2019.
Face à la problématique de la dépréciation accélérée et délibérée de la roupie par la Banque de Maurice et ce par rapport à la monnaie américaine ces dernières années, la monnaie locale subit aujourd’hui l’effet une crise de confiance, comme a rappelé récemment Xavier-Luc Duval. «La faiblesse de la roupie couplée à une dépréciation galopante fait que les consommateurs ont du blues et ne savent pas à quel saint se vouer. Ils se retrouvent avec un caddie à moitié rempli pour la même somme d’argent alors que jusqu’à tout récemment, ils pouvaient au moins se procurer de l’essentiel de ses provisions dans un supermarché», confie le directeur d’une grande surface, en pointant principalement le taux de change de la roupie comme le principal responsable de cette situation.
Une confiance écornée dans la roupie qui a débouché ces derniers jours sur une pénurie grandissante de devises sur le marché forex, malgré une légère reprise de l’industrie touristique, considérée comme une grosse génératrice de devises étrangères. Or, il n’y a pas mille raisons, certains spécialistes qualifiant cette pénurie d’artificielle car de nombreux opérateurs se livrent ouvertement depuis un certain temps à des spéculations sur le dollar, appelé à s’apprécier davantage face à une roupie en chute libre, mais aussi compte tenu de la conjoncture économique internationale avec un euro qui glisse avec la crise ukrainienne. Résultat, des opérateurs économiques comme des voyageurs mauriciens éprouvent un véritable casse-tête chinois pour trouver des devises étrangères devenues au fil de semaines une denrée rare dans le circuit bancaire
Protéger la roupie
Pour stopper son déclin et stabiliser la valeur de la roupie, la Banque de Maurice (BoM) a décidé de passer à l’offensive : une première fois, le 13 avril, en injectant massivement sur le marché une somme de USD 200 millions (Rs 8,6 milliards) et une nouvelle opération le 22 avril à hauteur de USD 15 millions. Ce qui fait dire à l’économiste Pierre Dinan : «Le rôle de la BoM est de protéger la roupie. Donc, lorsqu’elle utilise ses réserves pour soutenir, sinon relever, la valeur de la roupie, elle est en fait en train de remplir son rôle. C’est pourquoi ses réserves ne doivent pas, en temps normal, être utilisées pour renflouer le Consolidated Fund ou financer la Mauritius Investment Corporation. Ces deux opérations ne doivent en aucun cas être répétées, sauf extrême urgence, car la BoM a besoin de ses réserves pour renflouer la roupie.»
Alors que la BoM souhaitait une appréciation de la roupie, qui forcerait les spéculateurs à retirer leurs dollars pour les injecter sur le marché, tel n’a pas été malheureusement le cas. Ce qui n’a pas conforté la communauté dans sa quête de devises, la pénurie perdurant toujours et les banques se retrouvant toujours dans l’incapacité de répondre à ses demandes. Résultat des courses : une roupie qui n’arrive toujours pas à se stabiliser, exerçant des pressions à la fois sur le portemonnaie des consommateurs et la trésorerie des exportateurs.
Il va de soi que le gouvernement veut éviter une réédition des tristes événements de 1999 à Maurice, encore moins être dans la posture sri-lankaise avec des similitudes frappantes (dette extérieure en hausse, baisse des recettes, augmentation des dépenses, déficit budgétaire élevé, pénurie de devises et recours à la Banque centrale pour équilibrer son Budget national). Il doit donc envoyer des signaux forts pour désamorcer cette bombe sociale, conscient que ces troubles sont susceptibles d’influer négativement sur l’image de Maurice à l’étranger, plus particulièrement sur son industrie touristique, qui est loin d’atteindre sa vitesse de croisière.
Le ministre des Finances, qui devait rentrer durant le week-end, doit lui comprendre que le peuple au bas de l’échelle recherche des solutions d’apaisement sur-le-champ face à une crise sociale causée par la hausse vertigineuse du coût de la vie et non pas des réponses à l’emporte-pièce au Parlement.
Solutions urgentes nécessaires
Quid du secteur privé ? Certes, il ne souhaite pas revivre les événements de 1999, qui avaient contraint d’ailleurs de grosses sociétés à l’époque à revoir leurs responsabilités sociales. «Les évènements qui se sont déroulés dans plusieurs endroits du pays ces deux derniers jours sont la conséquence de la dégradation du pouvoir d’achat des Mauriciens», explique ainsi Business Mauritius, l’instance suprême du secteur privé. Elle reconnaît la position dans laquelle se trouve la population, notamment les plus vulnérables confrontés à la hausse des prix qui pèse lourdement sur un quotidien extrêmement difficile.
«Il s’agit d’une “urgence’’, résultante directe de l’évolution négative et très rapide de la situation internationale depuis deux mois, pesant très lourdement sur l’économie mauricienne. C’est donc “en urgence’’ qu’il faut trouver les solutions qui permettront à tous, et en particulier à ceux qui sont dans le besoin, de retrouver un peu de la sérénité à laquelle ils ont droit.» Business Mauritius et la communauté des affaires veulent travailler en bonne intelligence avec toutes les parties prenantes du pays pour trouver des solutions immédiates aux plus touchés économiquement. Tant mieux.
Cependant, entre le gouvernement et le secteur privé, l’appréciation des événements des dernières heures saute aux yeux, interpelle et force à réfléchir…
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