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[Dossier] Déportation de Peter Uricek: «Un traité d’extradition doit exister entre deux pays»

29 avril 2022, 20:22

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[Dossier] Déportation de Peter Uricek: «Un traité d’extradition doit exister entre deux pays»

La déportation du Slovaque Peter Uricek est au centre de l’actualité depuis mardi. Malgré une injonction contre cette déportation obtenue par son avocat, Me Yatin Varma, devant la Cour suprême, les officiers du Passport and Immigration Office (PIO) auraient fait fi de cet ordre. Le principal concerné était recherché pour trafic de stupéfiants.

L’express a sollicité Me Germain Wong Yuen Kook afin d’apporter un éclaircissement sur les termes extradition et expulsion. L’avocat explique que dans le cas d’une extradition, deux critères doivent être respectés. «D’abord, la personne contre laquelle les autorités de son pays réclament son extradition de notre territoire, doit avoir commis un délit dans le pays demandeur. Le délit qu’il aurait commis devrait être grave et implique une peine d’emprisonnement de plus de deux ans. Pour ce faire, un traité d’extradition doit exister entre le pays demandeur et le pays dans lequel se trouve la personne recherchée».

Me Germain Wong Yuen Kook cite deux exceptions dans lesquelles une demande d’extradition ne peut être considérée. «Si l’affaire a été portée devant la justice où un ordre a été émis pour geler toute procédure d’extradition ou si cela a une portée politique, la demande d’extradition ne demeure pas valide dans le pays où se trouve la personne recherchée.»

Quant au terme expulsion, l’homme de loi cite l’exemple des travailleurs étrangers qui séjournent à Maurice pour une période de temps. L’expulsion entre en jeu lorsque leur permis de travail ou de séjour a expiré. Les autorités mauriciennes se voient donc dans l’obligation de passer par la procédure d’expulsion. «Contrairement à la personne qui fait l’objet d’une extradition et qui est recherchée à cause d’un délit qu’il aurait commis dans son pays, la personne qui sera expulsée n’a commis, elle, aucun délit. Elle doit être renvoyée dans son pays d’origine vu qu’elle se trouve dans l’illégalité à Maurice», conclut Me Wong Yuen Kook.

Le viol de la Constitution et «Contempt of court» confirmés

Depuis que Yatin Varma a déclaré que les policiers ont clamé «avoy ferf**te» un ordre de la Cour suprême, une question se pose. Est-ce que le principe fondamental de la séparation des pouvoirs, garantie par la Constitution et indispensable à la démocratie, a été bafoué ? Qui en est responsable ? Sur le sujet, les experts sont unanimes.

Vinod Boolell, ancien juge, rappelle que la Constitution prévoit les pouvoirs et les limitations des trois organes de l’Etat, à savoir, le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Lorsque l’un des organes empiète sur l’autre, il y a usurpation de pouvoir. «Lorsqu’on n’est pas d’accord avec un ordre de la cour, on le respecte quand même et on le conteste devant la justice. Il y a des procédures pour cela», fustige l’ancien juge.

Rajen Narsinghen, constitutionnaliste, revient sur les origines du pouvoir de chaque organe de l’Etat et avance que le pouvoir de l’exécutif découle des lois alors que celui de la Cour suprême vient de la Constitution. Donc, son pouvoir prévaut sur tous les autres. Il est catégorique lorsqu’il affirme que la police n’avait pas le droit d’empiéter sur un ordre de la cour. «Attention, la séparation des pouvoirs ne veut pas dire que la Cour peut faire ce qu’elle veut. Mais tant qu’elle fonctionne selon les règles établies, il faut la respecter», dit-il. Quant à Milan Meetarbhan, il revient sur le système de freins et contrepoids prévu par la Constitution entre les trois organes. Lui aussi affirme que la Cour Suprême prime. Lorsque cette séparation de pouvoirs n’est pas respectée, c’est l’État de droit qui est en danger.

Etablir les torts

Dès lors, le viol de la Constitution est établi. Est-ce qu’il peut y avoir des sanctions? Selon Rajen Narsinghen, la Cour peut se prononcer dessus et donner un jugement qui sera important pour la jurisprudence. Mais il n’y aura pas d’amendes ni d’emprisonne- ment. Cependant, comme il y avait une injonction qui n’a pas été respectée, il y a aussi un contempt of court qui a été commis. Pour cela, il faudra déter- miner qui a pris la décision d’aller de l’avant avec l’ordre d’expulsion malgré l’ordre de la Cour. «Il faudra désormais déterminer si c’est l’officier qui était présent sur les lieux, ou si l’ordre venait d’en haut» dit-il. De plus, comme cette affaire a une portée internationale, l’image du pays va encore en prendre un coup car, désormais, Maurice figure parmi les pays où la police outrepasse ses pouvoirs et fait fi de la justice.

Depuis que Peter Uricek a été expulsé, l’affaire Medagama a refait surface. C’était en 1993, lorsque cette Sri-Lankaise avait été expulsée alors que l’affaire était devant la Cour. «Mais ce cas est plus grave. En 1993, l’affaire était devant la cour, mais il n’y avait pas encore de jugement. Là, on parle d’un cas où la Cour s’est prononcée, mais où les autorités n’ont pas respecté cette décision», précise Milan Meetarbhan. Quant à l’argument de l’officier selon lequel l’ordre d’expulsion a été signé avant l’injonction, Milan Meetarbhan s’étonne: «Personne ne peut demander une injonction contre quelque chose qui n’a pas encore été signé…»

L’Attorney General n’a pas commenté l’affaire car le dossier d’extradition, qui est toujours en cours, passait devant le juge en chambre hier. Encore une fois, les experts se demandent quel est l’intérêt de se cacher derrière un tel subterfuge alors que dans la même semaine, un ordre de la cour a été clairement bafoué. Dans la foulée, ils estiment que, de toute façon, cette procédure est caduque.

Me Hervé Duval, Senior Counsel : «Un dangereux manque de respect»

Une injonction a été obtenue devant la Cour suprême contre l’expulsion d’un Slovaque. Pourtant, la police en a fait fi. Existe-t-il des sanctions dans un tel cas ?

Faire fi d’un ordre de la cour constitue un outrage. On est dans le domaine du «quasi-criminal». Un outrage est punissable d’une amende et même d’une peine d’emprisonnement.

 Quels sont les recours du client alors qu’un avion spécial a été dédié à son extradition ?

De manière générale, le juge qui a émis l’ordre qui a été bafoué a le pouvoir de demander des explications aux officiers qui auraient fait fi de son ordre ou de demander au commissaire de police d’expliquer l’attitude de ces officiers.

 Est-ce que la police a outrepassé ses droits ?

Je me garderai de passer un jugement avant avoir pris connaissance de tous les faits. Un officier de police ne peut ignorer un ordre de la cour, du moins pas dans un État de droit.

 Me Yatin Varma, président du «Bar Council», a été malmené par les forces de l’ordre. En tant qu’ancien président de l’Ordre des avocats, quelle est votre position ?

Les images que j’ai vues m’ont profondément perturbé. La police et le barreau ont tous deux un rôle important à jouer dans un État de droit et il est évident qu’il peut y avoir une certaine tension. Cette tension n’est aucunement incompatible avec le respect mutuel. Voir le bâtonnier se faire jeter à terre alors qu’il paraît insister pour que les policiers prennent connaissance d’un ordre de la cour indique que nous sommes arrivés à un dangereux manque de respect, non seulement pour le barreau mais aussi pour le judiciaire.

 L’injonction était contre le PIO mais l’ordre d’expulsion a été signé par le PMO. Était-elle quand même valable ?

Je ne me permettrai pas de répondre à cette question. Les officiers de police qui exécutaient l’ordre de déportation n’avaient pas à se poser une telle question non plus s’ils étaient effectivement en présence d’un ordre de la cour.

Dommage collatéral : l’avocate Me Gobin porte plainte pour brutalités policières
 

Apres la plainte de Me Yatin Varma, président du Bar Council, pour brutalités policières dans le cadre de l’incident survenu mardi soir entre les employés du Passport and Immi- gration Office (PIO) et lui-même lorsqu’il brandissait un ordre de la Cour, c’est au tour de son Junior, Me Bhanisha Gobin de solliciter l’intervention policière. Elle a porté plainte au poste de police de Pope Hennessy hier en présence de son avocat, Me Akil Bissessur. Elle a expliqué qu’elle se trouvait sur le parking de Sterling House, bâtiment qui abrite le bureau du PIO, au moment où Yatin Varma a été projeté à terre par des policiers. Elle aurait également, dit-elle, fait l’objet d’une agression policière. «L’un des officiers a placé son coude sur moi pendant que je filmais toute la scène. J’ai aussi eu droit à ces propos lancés par l’un des officiers: ‘pou ena konsekans divan…’» Considérant avoir été verbalement et physiquement agressée, la jeune avocate, qui a prêté serment en 2019, demande qu’une action soit prise dans les plus brefs délais.

Humeur. «C’est à terre que l’on se rappelle ses amis»

Mardi, Me Yatin Varma a appelé les «Avengers» à la rescousse. Ces avocats, pas rancuniers, ont accouru le soutenir face à la brutalité de la police. Et Varma de les en remercier sans toutefois prononcer le nom d’«Avengers», qui le fâchait et dont il se moquait il y a quelques mois. Et combien de fois Varma ne les a-t-il pas tourmentés en les convoquant au Bar Council pour un rien ! Quand nous l’appelions en tant que président du Bar Council, il refusait de nous parler, disant exactement ce que les policiers lui ont dit mardi : «Mo ‘…’ ar lapres.» On l’a vu et entendu mardi appeler la presse en renfort…