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Jardin de Pamplemousses: dans un état de «semi-abandon»

30 avril 2022, 19:00

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Jardin de Pamplemousses: dans un état de «semi-abandon»

Le vendredi 15 avril dernier, le conseil des ministres a augmenté le tarif d’entrée des touristes au Jardin de Pamplemousses. Au lieu de Rs 200, ils paient Rs 300. L’occasion de payer Rs 25 (le tarif mauricien) pour constater les effets du manque de soins, d’expertise et de planification sur des merveilles qui survivent vaillamment. Deux guides ont dirigé cette balade douce-amère : l’œil vif du photographe Pierre Argo. Il a été membre du conseil d’administration du SSR Botanical Garden Trust (SSRBGT) jusqu’en 2019. Nous avons aussi consulté l’Etude préliminaire pour la réhabilitation du jardin de Pamplemousses. Cette étude a été soumise en mai 2017 par Daniel Maestracci, architecte paysagiste, suite à une commande du SSRBGT. Mais elle n’a pas été appliquée.

Capharnaüm au jardin. Il est très fréquent d’y voir des tas de branches coupées laissées sur place.©Pierre ARGO
Ce petit lac aurait pu, selon Pierre Argo être un lieu privilégié pour les photos de mariage. ©Pierre ARGO

Organiser le jardin par collections

«Ce jardin est bordélique», constate Pierre Argo. «Un jardin botanique repose sur des collections». Des espaces délimités où sont réunies les diverses variétés d’une même espèce. Exemple, la famille des ficus, celle des lataniers, des palmiers, des bambous, un coin des agrumes avec le citron de Rodrigues, de la bergamote, etc. Ce que montre la visite du jardin c’est qu’au milieu d’une allée de palmiers, on peut trouver un autre arbre qui a poussé. «Il y a plein d’espèces de palmiers qui manquent à Pamplemousses. Pourtant, certaines des espèces se trouvent à côté de chez nous, à Madagascar». Pierre Argo poétise : «les plus grands paysagistes sont les oiseaux». Ce sont eux qui déposent des graines et en somme décident de l’emplacement où pousse tel ou tel arbre. Or, fait ressortir le guide, le travail du jardinier est de décider s’il faut poursuivre l’œuvre des oiseaux ou la modifier pour «rendre la Nature encore plus belle». Et y maintenir l’ordre et le rangement.

A quand un verger tropical ?

Nous sommes dans une partie moins fréquentée du jardin. Cela se voit, «à l’état des allées» note Pierre Argo. Elles sont plus étroites, moins goudronnées. C’est dans ce coin tranquille que l’on déguste des abricots des Antilles tombés autour de l’arbre. Une belle découverte gustative d’un fruit parfumé. Notre guide rappelle que l’une des vocations du jardin de Pamplemousses c’est la «propagation des plantes».

Autre contradiction frappante : l’espace dédié aux épices est clôturé. Le visiteur reste derrière un grillage pendant qu’un guide lui parle de bois de cannelle, de clous de girofle, etc…Certains guides cueillent des feuilles et les font sentir aux visiteurs, mais cela reste des sensations fugaces, pas une réelle immersion dans la palette d’essences présentes au jardin.

Requiem pour le bambusa spinoza. Il faut tout couper.©Pierre ARGO
©Pierre ARGO

L’étude dresse la liste des fruitiers «d’importance majeure» qui se trouvent au jardin. Elle va de l’abricot à la vavangue en passant par l’incontournable pamplemousse – dans le jardin du même nom. Il y a aussi une liste de fruits rares comme le mambolo, la sapote noire, etc. L’étude recommande qu’un «espace important du jardin soit développé comme un verger tropical d’une très grande variété, regroupant notamment toutes les espèces utilisées jadis et qui sont aujourd’hui en voie de disparition».

Manque de personnel spécialisé

Pierre Argo affirme : «Il n’y a pas assez de travailleurs spécialisés au jardin». Stupeur. Il va plus loin. Pierre Argo, ancien membre du board, assure qu’au jardin de Pamplemousses, «il n’y a pas de jardinier». Il raconte qu’au moment où il siégeait au conseil d’administration : «On est allé chercher un jardinier à la retraite qui habitait pas loin du jardin. On l’a fait venir pendant quelques mois. Il a repris la serre, a multiplié des espèces. Il devait former les autres employés. Il aurait dû rester pour former les autres. Mais cela ne s’est pas fait».

L’élagage, un art pas maîtrisé

Des branches coupées jonchent le jardin à différents endroits. Mais il ne suffit pas de couper le superflu pour entretenir des arbres, il faut maîtriser l’art de l’élagage, martèle Pierre Argo. «Il y a des tas de manguiers au jardin de Pamplemousses qui ne rapportent pas parce qu’ils ont été mal taillés». Les branches basses ont disparu et les manguiers ont poussé en hauteur. L’étude préliminaire souligne qu’il existe des «normes internationales d’élagage». Avant de lister des actions auxquelles il faut remédier: «pourrissement de certaines parties suite à des tailles réalisées de façon inappropriée, trop près, trop loin de la branche principale, par une coupe en-dessus provoquant un éclatement ou un déchirement de l’écorce, absence de badigeonnage ou d’un bon cicatrisant, liane grimpant sur les troncs allant jusqu’aux cimes». L’étude recommande aussi l’abattage de certaines espèces d’arbres «devenues extrêmement envahissantes» Comme les gigantesques Albizzia qui «participent grandement à l’assombrissement du sol». L’étude déplore aussi la «façon de reboucher les plaies avec du ciment qui est à éviter et des soins appropriés sont à prévoir partout où on pourra enlever le ciment».

Les mausolées, «contradiction» avec un lieu de vie

Deux samadhi occupent l’espace devant le château de Mon Plaisir. Cet aspect funéraire est l’une des premières choses qui frappent le visiteur. Pierre Argo raconte : «SSR était très attaché à Belle Rive, le lieu de sa naissance. Ce village s’appelle aujourd’hui Kewal Nagar. Il y a un jardin là-bas, on aurait pu en faire un lieu merveilleux, cela aurait été encore un lieu que tous les visiteurs auraient pu apprécier». Il ironise : «Avant le jardin de Pamplemousses était le Royal Botanical Garden, aujourd’hui c’est le jardin où l’on met des familles royales». Lors de notre visite cette semaine, le samadhi de SAJ – mort il y a moins d’un an, en juin 2021 – était encore en travaux. En 2017, quand il n’y avait encore que le samadhi de SSR, l’étude notait que du point de vue de la cohérence paysagère, «l’implantation du samadhi et du mémorial SSR au cœur du jardin botanique est en contradiction avec les fondements mêmes du jardin. Un cimetière peut s’accommoder d’un jardin, mais un jardin en soi n’est jamais un lieu en relation avec la mort, il parle en permanence de la vie».

Le Château de Mon Plaisir inutilisé

L’étage du château est fermé. «C’est un capharnaüm, il y a des pigeons qui sont entrés. On voulait faire une salle d’exposition», explique Pierre Argo. Situé à côté des locaux administratifs, le rez-dechaussée sert en partie de salle à manger pour les employés. L’étude préliminaire rappelle qu’il ne s’agit pas du château d’origine, datant de l’époque de Labourdonnais. L’actuel château a été érigé en 1823 par le Major Général Darling. L’étude recommande d’y aménager un espace d’exposition permanente qui pourrait renseigner le visiteur sur «l’historique du domaine, la biodiversité mauricienne, une présentation des collections». Assortie d’une bibliothèque contenant des livres, revues, CD sur les thèmes du jardin, de la botanique, de l’écologie. «Une littérature ciblée sur l’hémisphère Sud serait la bienvenue».