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Abris pour enfants: une réforme de la prise en charge impérative
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Abris pour enfants: une réforme de la prise en charge impérative
Le sort des enfants placés en «shelter» est à nouveau sous les feux des projecteurs. Récemment, un abri s’est vu retirer la garde de 13 mineurs sur fond de maltraitance. Dans un autre, le personnel a affirmé avoir été agressé par des résidentes. Ces problèmes ne datent pas d’hier. Pour s’y attaquer, le bureau de l’«Ombudsperson for Children» organise, aujourd’hui et demain, un séminaire sur la modernisation des soins. Les ONG misent tous leurs espoirs sur cet événement. Entre-temps, la psychologue clinicienne Sumaiyah Khodabocus nous éclaire sur les difficultés rencontrées dans ce milieu…
Manque systématique de communication
Lorsqu’un signalement est fait à la Child Development Unit (CDU), l’enfant est pris en charge et placé dans un shelter, considéré comme un lieu sécurisé. Cependant, le jeune ne comprend pas toujours les raisons de cette démarche, ni pourquoi il se retrouve avec des étrangers. Au-delà des traumatismes subis dans sa cellule familiale, le déracinement imposé par ce placement est tout aussi traumatisant. Les problèmes ne s’arrêtent pas là. «Ce n’est un secret pour personne que certains foyers font face à des problèmes de gestion ou de maltraitance. Lorsque c’est le cas ou même lorsqu’un enfant a du mal à s’adapter à son nouvel environnement, il est transféré dans un autre centre», avance la psychologue.
Encore une fois, sans explications. «Kouma enn paké linz.» Quelle place laisse-t-on finalement à la parole de l’enfant ? «Il faut absolument que l’enfant, déjà traumatisé par le déracinement de sa cellule familiale, reçoive une explication claire sur sa présence dans un abri. Même dans les cas d’abus ou de violences, une explication est nécessaire», martèle Sumaiyah Khodabocus. Le manque de communication du personnel est tout aussi dramatique. Ce qui fait dire à la psychologue que le simple fait de placer un enfant dans un environnement où il sera à l’abri de violences en tous genres n’est pas suffisant.
Le bien-être mental doit aussi primer et il passe forcément par la parole. Les enfants doivent pouvoir mettre des mots sur leurs souffrances, expliquer leurs traumatismes pour s’en sortir. Afin d’accompagner au mieux les enfants placés, la formation des professionnels intervenant dans ce milieu demeure indispensable. Force est de constater que, malgré les divers règlements de la Children’s Act 2020 que «every caregiver has knowledge of matters relating to child care, child development, child psychology and rehabilitation of the child», la réalité est tout autre…
Frustration exprimée
Revenant sur les incidents récents, Sumaiyah Khodabocus avance qu’il n’est pas surprenant de voir la violence dans ces milieux, faute d’une prise en charge adéquate. Résultat : «Zanfan difisil, difolter, zanfan malelvé.». «Or, la violence manifestée peut recouvrir une souffrance implicite ou encore être un moyen trouvé par ces derniers pour demander de l’aide au monde extérieur. Mo fer mové pou zot rémark mwa ek ed mwa», explique-t-elle. Comment comprendre alors ce lien ? «L’histoire personnelle de ces enfants nous montre qu’ils ont grandi dans un environnement carencé. Ainsi, la violence est devenue un langage car, inconsciemment, l’enfant reproduit ce qu’il a retenu de sa sphère familiale.»
Abandons successif
Revenant sur le placement en institution, Sumaiya Khodabocus avance que l’enfant le vit comme un abandon. «Il vivra constamment dans l’angoisse d’être abandonné ou rejeté à nouveau», fait-elle ressortir. Dans les abris, ces angoisses de l’enfant sont sans cesse réactualisées par le départ des professionnels intervenant dans ce milieu ou encore, en cas le changement de foyer. D’ailleurs, c’est pour cela que certains enfants refusent de s’ouvrir aux professionnels. «Il y a toujours cette peur que li osi li pou ré-abandonn mwa.» D’où la nécessité d’offrir systématiquement une prise en charge psychologique aux enfants placés dès le plus jeune âge, ajoute la psychologue-clinicienne, pour qu’il arrive à se défaire de ce cycle de violence et de cette peur. L’extériorisation de cette frustration passe incontestablement par la parole.
Une vie loin d’être rose
L’après-shelter est tout aussi problématique. Après avoir passé des années dans un environnement clos, à 18 ans, ces enfants sont contraints de quitter leur abri. Encore une fois, la psychologue clinicienne pointe du doigt les problèmes. De jeunes adultes, jamais confrontés au monde, sauf aux problèmes de société avant leur placement, sont jetés sans armes. Personne ne les prévient, déplore-t-elle, que la vie n’est ni rose, ni un long fleuve tranquille. «Il faut songer à aménager des structures de transition adéquates. Toute la difficulté réside dans l’élaboration d’un projet de vie en tenant compte des problèmes auxquels est confronté ce sujet dès un très jeune âge.» En gros, conclut-elle, le placement seul ne suffit pas. Il s’agit d’offrir une prise en charge qui tient compte de la dimension psychique du sujet placé en trois étapes : l’avant, le pendant et l’après du placement.
«Refonte» totale
La députée rouge Stéphanie Anquetil, qui a interpellé, à plusieurs reprises, la ministre de l’Égalité du genre et du bien-être de la famille sur les abris, explique que des discussions sur l’amélioration des conditions de ces enfants sont bienvenues, mais qu’il faudrait aller encore plus loin. «Nous avons en place un système qui a fonctionné dans le passé. Mais en 2022, il faut une refonte totale», avance-t-elle. Le plus gros problème qu’elle évoque est la structure inappropriée des maisons d’accueil. Il faudrait de petites structures accueillant moins d’enfants, point de vue en ligne avec le colloque de l’Ombudsperson for Children (voir plus loin). Mais elle avance, tout de suite après, que c’est loin d’être suffisant.
Un autre gros problème sur lequel elle a tiré la sonnette d’alarme plusieurs fois est l’accueil de bébés, enfants en bas âge et ados sous le même toit alors que leurs besoins diffèrent totalement. Encore un problème qui fait dire à Stéphanie Anquetil qu’il faut revoir tout le système d’accueil. Mais il n’y a pas que des soucis structurels. La députée affirme que plusieurs shelters font face à des problèmes bien plus basiques, tels que la nourriture, qui, selon ses informations, n’est pas conforme aux recommandations des instances internationales. «Ce n’est ni équilibré, ni adapté aux enfants. Par exemple, dans une maison d’accueil, il n’y a pas de mixer; donc, on donne aux bébés des légumes coupés en gros morceaux.» Ou encore, dans un autre abri, le cuisinier quitte les lieux à 15 heures après avoir préparé le dîner, qui est servi à 18 heures.
Sur l’accompagnement, plusieurs points la font sortir de ses gonds. Premièrement, elle explique qu’il n’y a pas d’accompagnement scolaire et qu’à 18 ans, quand les enfants quittent l’abri, souvent ils ne savent ni lire, ni écrire. Pour la question sanitaire, elle revient sur la vaccination obligatoire. «Il a été dit que les enfants ont tous leurs vaccins. Mais rien n’a été dit sur les conditions déplorables du transport à l’hôpital.» Concernant la psychologie, elle se demande comment un enfant peut grandir dans un milieu où même ses vêtements ne lui appartiennent pas et sont souvent inter-changés. L’autre drame est le droit de visite. «Lorsque l’enfant reçoit la visite de ses proches, cela se fait dans un bureau du ministère en présence permanente d’un officier. Il n’y a pas d’intimité, l’enfant ne peut pas parler librement. Partout ailleurs, ces visites se font dans l’abri même sans chaperon», fustige-t-elle.
La désinstitutionalisation des soins
C’est justement à ces problématiques que s’attaque le bureau de l’Ombudsperson for Children, en organisant ce colloque sur la désinstitutionalisation des soins dans les abris. Le thème sera Harmonisation of the Children’s Act 2020 with the United Nations Convention on the Rights of the Child: A focus on deinstitutionalising alternative care for children. L’événement est financé par l’Union européenne. Qu’en est-il ? Sollicitée, Rita Venkatasawmy explique que les Children’s Act, Children’s Court Act et Child Sex Offender Register Act sont des outils nécessaires mis à la disposition des parties prenantes des soins aux enfants en difficulté. «Les lois ne vont cependant pas en détail dans les pratiques, d’où l’importance de ce colloque.» Il sera question de mettre en pratique les lignes directrices de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur l’Alternative Care of Children en traitant justement des problèmes soulevés à maintes reprises.
Ce sera aussi l’occasion de réfléchir sur la façon dont ces lois peuvent affecter positivement la situation de ces enfants. Par exemple, un des points forts sera la mise en place de structures ressemblant à la cellule familiale, avec un nombre réduit d’enfants et des soins plus adaptés à leur situation, comme préconisé par l’ONU. «Un des effets directs sera la réduction du nombre de cas de violence», explique l’Ombudsperson for Children. Il sera aussi question, précise-t-elle, de changer le mindset et fournir une formation adéquate aux employés, y compris ceux à la direction des maisons d’accueil.
Dans la foulée, elle ajoute que des ONG, telles que Terre de Paix ou l’Étoile du Berger, mettent déjà en place des structures conformes aux lignes directrices de l’ONU. Mais le travail ne s’arrête pas là. Pendant ces deux jours, les stakeholders évoqueront aussi le suivi et la surveillance des abris de manière plus appropriée. Il sera aussi question des enfants dits «à problème». Outre une meilleure prise en charge, leur situation sera discutée. «Quelle est la procédure appropriée ? Qu’est-ce qui doit être mis à leur disposition ? Les institutions de réforme sont-elles la solution ? Autant de problèmes auxquels nous allons nous attaquer. Le tout, dans l’intérêt supérieur de ces enfants.»
Soins adaptés
Le chemin ne s’annonce pourtant pas simple, mais ce colloque représente un premier pas vers le changement, affirment ceux qui sont familiers des soins alternatifs aux enfants depuis des décennies. Tout d’abord, explique Alain Muneean, responsable de l’ONG Terre de Paix, il faut que tous les stakeholders comprennent bien les lignes de l’ONU dans ce domaine. Le système en place jusqu’à présent a été maintes fois décrié car il cause plus de tort à l’enfant. «Ce n’est que lorsque tous les acteurs du secteur auront la même compréhension des changements préconisés par les Nations unies qu’on pourra avancer.»
Christiano Arlanda, Deputy Managing Director de SOS Children’s Village, avance que le colloque traitera des problèmes systémiques et que pour trouver des solutions, il faudrait tout d’abord un changement de l’état d’esprit des stakeholders. «Par exemple, la tendance est d’utiliser le mot shelter pour décrire toutes les instances d’accueil. Il faut commencer par changer ce mindset pour pouvoir évoluer.»
Les deux évoquent les changements positifs de la Children’s Act. Mais cette loi passe par des regulations pour son application, et c’est là que les affaires se corsent. Les lois secondaires, notamment les Residential Care Institutions for Children Regulations 2022 et les Child (Foster Care) Regulations 2022 font mention d’institutions; c’est là le fond même des problèmes car les experts dans ce domaine n’ont pas été consultés à ce sujet. Alain Muneean répète que l’impact de l’institutionnalisation sur les enfants est néfaste. «Donc, il faudra résoudre ce problème pour humaniser le système.» Le responsable de SOS Children’s Village abonde dans le même sens.
Depuis des années, les deux ONG ont mis en place des espaces qui ne regroupent que peu d’enfants, les fameuses family-like structures, considérées comme les moins traumatisantes qui existent ; et les résultats sont clairs. C’est pourquoi, disent-ils d’une seule voix, les espoirs reposent sur cette rencontre où tous ceux impliqués participeront. Cela permettra aussi de définir le rôle de chacun. «Où commence le rôle d’un acteur et où se termine-t-il ? Et où commence le travail de l’autre ? Cela n’a jamais été clair. Ce sera l’occasion de tout tirer au clair», insiste Christiano Arlanda. Alain Muneean renchérit que rien ne changera tant que le système restera incohérent.
Christiano Arlanda revient aussi sur le problème évoqué par la psy- chologue-clinicienne : la communication. Avant la Children’s Act, les enfants n’avaient pas leur mot à dire sur leur sort. Désormais, ce droit leur est garanti par la loi. «Tous les efforts seront caducs si l’approche ne tient pas compte de toutes les parties prenantes, y compris les enfants et leurs proches.» Dans le même souffle, il avance qu’il est temps de mettre l’accent sur le fait que chaque enfant est différent et que les soins qui lui sont prodigués doivent être adaptés, comme le préconise la Children’s Act. Alain Muneean revient, lui, sur la formation inadéquate et rappelle que dans tous les pays, les caregivers sont diplômés dans le domaine ; de ce fait, l’accent sera mis sur ce point pour que des soins individualisés aux enfants soient finalement une réalité. De plus, cela permettra un meilleur suivi, qui contribuera à ce que le système fonctionne de manière appropriée.
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