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Actes de torture: quand les droits humains sont bafoués

3 juin 2022, 08:03

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Actes de torture: quand les droits humains sont bafoués

La fin de la semaine dernière et le début de cette semaine ont été marqués par la diffusion de vidéos choquantes montrant des policiers torturant des suspects. Est-ce légal et est-ce régulier ? Qu’est-ce que les droits humains ? Quel impact cette affaire peut avoir sur le pays ? L’avocat Erickson Mooneapillay, directeur de Dis-Moi, organisation non gouvernementale militant pour le respect des droits humains, t’explique tout cela.

Que s’est-il passé entre les policiers et les suspects dans ces vidéos ? 
Dans les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, il apparaît que les policiers se sont livrés à des actes de torture et de punition extrajudiciaires* sur des suspects, qui étaient en détention policière. Ils se sont servis de pistolets à impulsion électrique, du genre Taser*, sur ces suspects. Sur une autre vidéo, on voit clairement un suspect menotté et dénudé en position de soumission, avec autour de lui, des policiers le torturant physiquement et mentalement et lui lançant des insultes et le traitant comme un animal que l’on mène à l’abattoir. 

Ces actes de tortures sont-ils réguliers ? 
Ce n’est malheureusement que le sommet de l’iceberg. Cela fait maintenant plusieurs années que nous avons tiré la sonnette d’alarme sur l’utilisation illégale de pistolet à impulsion électrique par des policiers en civil. Le précédent cas enregistré sur vidéo était celui des frères Samrandine en mars 2020. Les autres suspects, qui avaient été arrêtés comme coaccusés dans l’affaire Gaigui en 2018, se sont aussi plaints que des pistolets à impulsion électrique avaient été utilisés par les policiers. 

Pourquoi est-ce illégal ? 
D’abord parce que la loi n’autorise pas la torture par les policiers. C’est une offense pénale. Si un policier torture un criminel, il devient lui-même un criminel. C’est notre loi qui le dit sous la section 78 du Code pénal. Ensuite, parce que le comportement des policiers que l’on voit dans ces vidéos ne fait pas honneur à notre police, qui est censée protéger et faire respecter la loi d’après ses propres Standing orders et la Constitution. Ces comportements sont dégradants et inhumains.

Que risquent les policiers impliqués ? 
S’ils sont trouvés coupables, ces policiers risquent dix années d’emprisonnement. 

Qu’est-ce que les droits humains ? 
C’est l’ensemble de droits que tous les êtres humains ont individuellement, peu importe où ils sont nés et où ils vivent sur la planète. C’est pour cela que l’on dit que les droits humains sont universels, inhérents et inaliénables. Par exemple, le droit à la vie et le droit à la liberté sont des droits humains. 

Cette affaire ne dépassera-t-elle pas les frontières mauriciennes ? 
Certainement, cette affaire a fait grand bruit dans le monde. J’ai déjà été interviewé par Antenne Réunion et TV5 Monde, rien qu’en 48 heures. Ces vidéos comportent des similitudes avec le traitement infligé aux détenus à la prison d’Abu Graib en Irak ou même à celle de Guantanamo* à Cuba parce que seule une police barbare agit de la sorte. On est loin de l’image de l’île paradisiaque que l’on veut projeter. 

Le pays n’a-t-il pas signé des conventions internationales relatives à la protection des droits humains ? 
Il en a signé plusieurs. Mais pour rester dans le sujet, nous sommes signataires de la Convention Contre la Torture (CAT), qui pénalise la torture par les policiers, peu importe les circonstances dans lesquelles le pays se trouve, y compris en cas de conflit civil ou d’attaque terroriste. La torture n’est autorisée en aucun cas. 

Quel impact cette affaire peut-elle avoir sur notre pays ? 
Sur le plan international, nous sommes déjà vus comme un mauvais élève en termes de droits humains et nous avons été cités dans plusieurs rapports concernant les exactions en termes de droits humains et la mort de plusieurs détenus pendant le confinement. Les Nations unies, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Union européenne pourraient revoir leur aide financière puisque ces institutions mettent beaucoup d’accent sur le respect des droits humains. Sur le plan national, cela pourrait occasionner des remous sociaux puisque ces vidéos ont affecté la conscience collective de la population. Pire, le public perd confiance dans la police et les institutions pénales censées faire respecter l’ordre et la paix. 

Que faire pour que de telles situations ne se répètent pas ? 
Avant tout, il faut mettre fin à l’impunité. Ensuite, il faut identifier les tortionnaires des autres brigades criminelles et narcotiques car il existe des bourreaux dans toutes les équipes de police. Pour ce faire, il faut instituer une commission d’enquête parce que la police s’est auto-disqualifiée d’enquêter sur la torture, qui est devenue comme une gangrène. Il faut situer les responsabilités. Beaucoup sont coupables par omission et par leur silence. Beaucoup devront faire face à l’accusation de non-assistance à personne en danger. Mais il faudrait donner l’immunité à ceux qui voudront témoigner et dénoncer, comme c’était le cas en Afrique du Sud pour la Truth and Réconciliation Commission. Ensuite, la commission devra venir de l’avant avec des projets de loi, qui placerait des gardes fous sur le comportement des policiers.

 

Dico
*Extrajudiciaires : on parle d’actes extrajudiciaires pour qualifier un acte effectué par un fonctionnaire en dehors d’une procédure judiciaire.
*Taser : C’est la marque de pistolets à impulsion électrique. Ils envoient des décharges électriques paralysantes.
*Guantanamo : C’est une prison située à Cuba où les droits humains des détenus interrogés étaient bafoués. Cette prison est devenue une référence en matière de torture.