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SAKIFO 2022: La musique mauricienne résonne comme une revendication !
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SAKIFO 2022: La musique mauricienne résonne comme une revendication !
Il ne pouvait en être autrement. Le volcan, vendredi soir, il était à Saint-Pierre ! Blakkayo, en éruption, a chanté quasiment tout l’album Soz Serye devant des milliers de personnes. Il a «dévoré» la 9e édition du Sakifo (48 artistes, trois jours et nuits de concerts, sur 4 scènes en un week-end à Saint- Pierre) ! Il au eu droit à un public de connaisseurs puisque la programmation a calé Tiken Jah Fakoly juste après notre Orizinal ! «L’île intense» ne ment pas. TIken Jah Fakoly était phénoménal ! Engagé comme jamais. «Les politiques ne font que prendre et nous on ne dit rien ; ce n’est pas à l’Occident de porter le réveil africain» lance-t-il après avoir entonné «ils ont partagé le monde, plus rien de m’étonne» et «L’Africain» lors d’un set de presque deux heures devant, peutêtre, 15 000 personnes, sur la plus grande scène du festival. La sono et les lumières de la scène se passent de description.
Blakkayo puis Tiken Jah, ce n’étaient que deux des 16 concerts au programme vendredi. 16 autres samedi, 16 autres dimanche ! Le weekend commençait à peine et on en était là ! Et cela au bout de quelle semaine ? Celle qui a vu Anonym envoyer du groove à en ébahir les festivaliers*, bookers, directeurs de label présents à cette série de concerts « privés » qui rythment le IOMMa (Indian Ocean Music Market, soit quatre jours de conférences et de rencontres entre acteurs africains et océan-indien et trois soirs de showcase).
L’autre star des showcases-IOMMa de la semaine est également mauricienne. Dans la valeureuse salle des Bambous, théâtre de la ville de Saint Benoît après un déjeuner au Bisik, à l’autre bout de La Réunion, dans la froideur de la fin d’après-midi de l’Est, Lisa Ducasse a joué sa douce et magistrale – voire joyeuse – mélancolie littéraire, avec tant d’humanisme, et d’angélisme. À la sortie, pendant que le public presqu’abasourdi ne savait plus s’il faisait jour ou nuit, la jeune femme à l’apparence fébrile était submergée de sollicitations et de félicitations.
Et ce qui est frappant c’est qu’à Saint Pierre, haut-lieu, ou même capitale culturelle de La Réunion, les labels, festivaliers, managers de Maurice, sont salués, respectés, aimés par toute l’industrie locale et tous les professionnels qui ont voyagé d’Inde, du Mozambique, de Tanzanie, de Madagascar, d’Afrique du Sud, d’Europe. Les accolades des retrouvailles ne mentent pas, le sérieux des rencontres professionnelles non plus.
Et c’est bien ce qui explique cette constance, résilience, résistance et excellence de notre industrie musicale qui inspire tellement la confiance des étrangers : le sérieux des producteurs et festivaliers mauriciens. Stephan Rezannah (Jorez Box), Jimmy Veerapin (Culture Events), ce sont tout de même les labels sous lesquels opèrent Blakkayo, le réunionais Ziskakan (qui rentre à peine d’une exceptionnelle tournée européenne), Eric Triton, El Tabla, Anonym, Paf’me, Mélanie Pérès et les festivals et concerts Kafe Kiltir, Joy, One Live, Rock Festival ! Maurice a même son propre marché de musique (l’équivalent du IOMMa à Maurice avec le Momix (Jorez Box) dont la 3e édition se tiendra du 30 septembre au 2 octobre.
La technique ? Ashley Munisami (ICHOS) fait partie de la délégation mauricienne à La Réunion pour qu’il soit aux soundchecks et mixages pour les perf d’Anonym, de Blakkayo mais également de… The Prophecy ! Et oui, il ne manquait plus que lui. La nouvelle est tombée jeudi. Takana Zion (Guinée) a dû se retirer de la programmation de samedi à la dernière minute. Et où trouve-t-on un groupe de ce niveau et qui est prêt à venir à La Réunion en 24 heures ? Maurice bien-sûr. Voilà comment la délégation et le répertoire mauriciens, déjà très forts cette semaine, se sont encore enrichis par un concours du destin.
«La qualité, fiabilité, et l’efficience des acteurs mauriciens de l’industrie musicale mauricienne est encore plus frappante quand on considère qu’ils nagent à contre-courant, presqu’à contre-pouvoir» lâche Eric Juret Blanc-Blanc le directeur du IOMMa. Cette année, il a présidé la première conférence du IOMMa et elle était dédiée au territoire et l’écosystème mauricien. Sur la scène devant un parterre de professionnels de la musique, Jimmy Veerapin n’y est pas allé par quatre chemins «les restrictions de rassemblement qui ont bloqué toute l’industrie sont surtout des restrictions politiques que l’on met sur le dos du Covid». «Ajoutez-y qu’on a la société des droits d’auteur la plus mal gérée au monde,» renchérit Stephan Rezannah. «Moi je dis tout le temps à tous les artistes et managers mauriciens, n’allez à la MASA que quand c’est obligatoire. Pour tous les autres services, tournez-vous vers la Sacem,(la société française des droits d’auteurs) aussi simple que ça». Et le ministre ? «C’est juste un pion qui n’est pas censé réfléchir et qui ne bouge qu’au gré des doigts qui le commandent ; vous devinez le résultat.»
Quand Gavin Poonoosamy (Mamajaz et des collaborations musicales avec la Corée du Sud), lui aussi très connu et reconnu par la communauté musicale de La Réunion, a voulu relativiser avec les «aides» de l’État, Jimmy Veerapin et Stephan Rezannah lui ont rappelé qu’il n’y a pas une seule roupie de l’État mauricien dans le déplacement à La Réunion. «Ils font semblant de t’aider. Mais si tu comptes dessus pour ton budget, tu ne fais rien. Moi je compte sur le public qui paie ses places et les sponsors privés.» Ce même Jimmy qui un peu plus tard dans la semaine nous annonce qu’un de ses artistes qu’il a présentés via une vidéo sur son portable à un festivalier indien, a déjà été booké pour deux dates en Inde. «Le deal s’est fait ici, en un rien de temps,» raconte-t-il.
Jour 1. Conférence sur Maurice devant des professionnels-festivaliers d’Europe, d’Afrique et d’Inde.
L’industrie est donc en constante progression malgré toutes les incompétences et crocs en jambe par exemple, la censure de la chanson politique «sa pa zot traka» single posthume de Lin et celle du tableau de Palvishee Jeewon. Ces deux incidents ont bien été abordés lors de la conférence sur Maurice. Malgré cela, «je carbure à la structuration et la professionnalisation du secteur et cela me suffit» confie Stephan Rezannah qui enchaîne les projets d’albums et de tournées, pendant qu’il organise le Momix (voir plus haut) ; tout cela alors qu’il a booké et fait jouer de plus de 100 artistes et groupes lors de 150 soirées au restaurant N’Joy à Grand-Baie depuis le début de l’année ! «Tu t’étonnes que c’est à l’étranger qu’un album aussi énorme que Soz Serye est en train d’être joué LIVE pour la première fois ?» sourit-il.
Eric Juret Blanc-Blanc en concluant la conférence sur Maurice indique la délégation mauricienne d’un mouvement de la main : «les acteurs mauriciens, ces garçons et ces femmes (Sandra Requin représente le label Lively Up qui gère KazOut, tout en étant engagée dans le Festival Ile Courts, ou encore dans le management du groupe Patyatann était aussi présente), sont et seront, avec ou sans le gouvernement mauricien, les moteurs de l’industrie musicale pour les années à venir. Maurice a tellement à offrir et à recevoir. Les tentatives d’emprisonnement culturel ne desservent personne ; ni les gouvernements, ni la société, et ni les professionnels de la musique. Il faut que l’État mauricien réalise que s’il ne rejoint pas le train et vite, il passera à côté d’un énorme levier économique».
Et si c’est l’art qui avait trouvé la bonne formule économique ? Ici il n’y a pas de concurrence. Ici c’est la rentabilité de la gratuité de l’art. L’art s’auto-soutient. Comme si les 400 délégués présents n’étaient qu’une grande coopérative internationale de musique ! À deux jours de la présentation du budget… à bon entendeur salut !
* Festivalier qui, techniquement décrit une personne qui participe à un festival, se réfère dans cet article aux organisateurs de festivals.
** Le financement du déplacement de l’express et l’accès aux exclusivités ont été rendus possibles grâce à un accord entre Jorez Box, l’équipe de la communication de IOMMa-Sakifo et l’express.
Tiken Jah Fakoly dans une interview exclusive à l’express
«Le pouvoir à l’île Maurice se concentre dans la main d’une centaine de personnes»
Si l’art s’exporte, les nouvelles aussi traversent les frontières. Vous lirez ainsi la semaine prochaine, dans ces mêmes colonnes, une interview politique exclusive de Tiken Jah Fakoly. Le chanteur qui à lui seul est une institution du reggae revendicateur en Afrique nous livre son regard très éclairé sur la géopolitique et la classe politique mondiale et mauricienne. Mis au courant des vidéos de tortures policières en circulation à Maurice : il nous livre une réponse époustouflante. «Il n’y a qu’une seule réponse à ça. L’unité du peuple. Oubliez les ethnies, oubliez la religion. Si le peuple il s’unit, le système il s’écroule». Quel système ? «Le système qui concentre le pouvoir du peuple mauricien dans la main d’une centaine de personnes,» répond froidement Tiken Jah Fakoly.
Axcel CHENNEY
Envoyé spécial de l’express et invité de IOMMa-Sakifo à Saint-Pierre
Photos:
Yuri Bordelais, Jorez Box
Le Festival Sakifo
La rédaction, l'express
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