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Violence scolaire: malgré les annonces, le manque de psychologues perdure

13 juin 2022, 17:00

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Violence scolaire: malgré les annonces, le manque de psychologues perdure

«Le personnel sera renforcé avec l’arrivée des psychologues et surveillants», déclarait Leela-Devi Dookun-Luchoomun, ministre de l’Éducation, après la lecture du Budget 2021-2022. L’an dernier, cet exercice financier prévoyait le recrutement de 257 surveillants et 34 psychologues scolaires entre autres membres d’effectif pour les écoles primaires et secondaires. Ce n’est pas la première fois que de telles mesures sont annoncées. 

Depuis 2014-2015, le ministère de l’Éducation a, à travers la Public Service Commission, lancé un avis de recrutement pour des conseillers d’orientation. Une démarche hélas gelée en raison des élections générales d’alors mais qui devait reprendre ultérieurement, au même titre que l’emploi de psychologues. Car l’encadrement des élèves et la réduction de la violence dans les collèges d’État revêtaient alors une importance capitale. Si bien que l’État prévoyait de doter chaque institution d’une unité comprenant un mentor, un psychologue et un conseiller d’orientation. En 2022, indiquent les professionnels du milieu scolaire, cette promesse se fait toujours attendre tandis que la violence scolaire gagne du terrain, forte de l’indiscipline. 

Pourquoi ce manque de psychologues et de conseillers pédagogiques dans nos écoles ? Selon Laurent Baucheron de Boissoudy, psychologue clinicien, c’est une question de budget. «Plusieurs établissements privés, qui ont leur propre budget, offrent un service psychologique. L’État a aussi une capacité de financement et de quoi fournir plus de postes de conseillers. C’est un besoin vital.» Or, précise-t-il, même si des écoles publiques en sont pourvues, ce sera souvent un psychologue pour 1 000 ou 2 000 enfants, ce qui fait que la consultation pourra se faire qu’«une fois puis plus jamais» à défaut de postes. Ceci résulte d’un manque de prise de conscience et des choix budgétaires des décideurs. «Pourtant, il y a beaucoup de psychologues à Maurice. Idem pour les counsellors, qui sont plus nombreux. On ne peut dire qu’il n’y en a pas.» 

D’après Arvind Bhojun, secrétaire de l’Union of Private Secondary Education Employees (UPSEE), un psychologue devrait être fourni dans chacune des quatre zones éducatives du secteur éducatif public. «Normalement, il y a un psychologue pour l’intégralité des collèges privés placés sous la responsabilité de la Private Secondary Education Authority (PSEA). Cette restriction du nombre fait germer des questions sur la fréquence des consultations. D’ailleurs, les recrutements étaient prévus mais nous ne savons où en est ce processus.» D’autant que les cas de violence en milieu scolaire s’accumulent, dans la mesure où les élèves sont davantage issus de familles brisées. Leurs réactions et manque d’affection se reflètent dans leurs comportements. D’où la nécessité d’un soutien psychologique. «Les éducateurs ne peuvent s’y atteler. Il existe un véritable manque de ces spécialistes. Je ne crois pas que la PSEA ou le ministère aient recruté autant de psychologues et conseillers pour gérer ce flux de violence dans les collèges.» 

Clive Anseline, chargé de communication du Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC), renchérit sur la hausse des cas de comportements inappropriés des élèves dans les établissements scolaires, souvent liés à des problèmes d’encadrement parental. «Nos jeunes sont aussi exposés à toutes sortes de violences comme reflété récemment par les tortures, ainsi qu’aux réseaux sociaux et à ce qui se passe autour d’eux : bagarres, guerres, règlements de comptes, bullying. L’élève est souvent accusé alors qu’il n’est pas forcément responsable de ce qu’on lui reproche. Plusieurs raisons entraînent qu’un élève soit difficile, indiscipliné, inattentif, en difficulté scolaire. Un suivi psychologique est donc essentiel pour assurer sa progression et son niveau scolaire.» 

Cependant, le gros souci est que les collèges doivent trouver les fonds pour employer des psychologues ou conseillers. «Il n’y a pas assez de psychologues au niveau du ministère et la PSEA ne rembourse pas ces frais. Il faut trouver des sponsors. Il faudrait au moins un psychologue pour deux collèges, même à l’école primaire.» 

Vinod Seegum, ancien président et actuel négociateur de la Government Teachers’ Union, revient sur les projets annonçant le recrutement de psychologues. Ceci dit, le nombre sera insuffisant, prévoit-il, en raison des problèmes majeurs de comportement scolaire des élèves. «Quelques années de cela, on mentionnait l’emploi de discipline masters. Malheureusement, cela semble relégué aux oubliettes. Pourtant, il est important de les recruter, particulièrement dans les écoles situées dans les régions plus difficiles mais aussi les autres localités. Les enseignants sont désarmés. Ils ne peuvent pas réprimander les élèves. S’ils essaient de le faire, ils ne pourront même pas sortir de l’établissement pour rentrer chez eux en après-midi. Ce problème va s’aggraver.» Dès les Grades 4 ou 5, certains enfants sont indisciplinés, observe-t-il. 

Le renforcement de ces ressources psychologiques et d’orientation permettra-t-il de réduire la violence scolaire ? «C’est une évidence», répond Laurent Baucheron de Boissoudy. Il estime que le «counselling» peut faire baisser la pression et éviter la violence des agresseurs et agressés. Les conseillers doivent travailler également avec les familles des enfants. Un accompagnement parental essentiel. «Dans pratiquement 90 % des cas, un enfant violent ou victime de violence est mal dans sa famille. Par conséquent, il faut aider ces parents et, par extension, l’enfant.» 

D’après Arvind Bhojun, une permanence psychologique doit être assurée dans les collèges pour un meilleur suivi des enfants. «Cela peut inclure une ou deux visites par semaine pour faciliter l’encadrement et le soutien des élèves.» Lindsay Thomas, recteur du collège Saint-Esprit Rivière-Noire, établissement pourvu de deux psychologues, explique qu’ils assurent le service deux jours par semaine. «Il était question que les autorités emploient un pool de psychologues mais on est bien loin du compte. D’ailleurs, cette unité devait être basée dans une région afin que les établissements périphériques y aient recours.» 

Même si certaines écoles arrivent à se doter de ce soutien psychologique, la demande dépasse largement l’offre, poursuit-il. Il évoque un travail à faire en amont afin que l’intervention de ces spécialistes arrive à temps, avant que l’enfant ne devienne ingérable et irrécupérable.