Publicité
Fonctionnement laborieux: ce qu’il faut changer à l’Independent Police Complaints Commission
Par
Partager cet article
Fonctionnement laborieux: ce qu’il faut changer à l’Independent Police Complaints Commission
Six enquêteurs pour mener plusieurs centaines d’investigations liées aux plaintes contre la police : les chiffres sont équivoques pour l’Independent Police Complaints Commission, seule habilitée à enquêter sur les abus policiers. Phalraj Servansingh, un des commissaires, affirme que le renforcement des effectifs a été demandé. Entretemps, l’institution, dont l’administration est régie par la fonction publique, fait avec les moyens du bord. Ce qui implique des enquêtes bouclées entre trois semaines et trois ans…
Depuis la diffusion des vidéos des tortures infligées à des prévenus et l’arrestation des auteurs présumés de ces actes, d’innombrables questions fusent sur l’Independent Police Complaints Commission (IPCC). Depuis 2018, cette instance est responsable des enquêtes sur des policiers accusés d’abus dans l’exercice de leurs fonctions. Aujourd’hui, la structuration à la base de l’IPCC fait l’objet de débats.
Car pour répondre au nombre croissant d’en- quêtes de par l’affluence des plaintes reçues pour brutalité policière, entre autres allégations d’abus des forces de l’ordre, les six enquêteurs, actuellement en opération sous l’IPCC, sont un effectif trop faible, insistent plusieurs interlocuteurs. «Clairement, ce nombre est insuffisant. Je m’interroge aussi sur la qualité des enquêtes. À mon avis, il faut revoir le leadership de l’IPCC. Cette instance aurait dû finir sa dentition depuis longtemps», déclare Erickson Mooneeapillay, avocat et responsable de l’association Dis-Moi Maurice.
Pour Anishta Babooram, ancienne membre de la Commission des droits humains, cette restriction d’investigateurs ne pourra pas permettre d’enquêter sur le nombre grandissant de plaintes enregistrées auprès de l’IPCC. Car d’avril 2018 à mai 2022, 2 640 plaintes ont été répertoriées par l’IPCC. Avant sa mise sur pied, la Police Complaints Division de la Commission des droits de l’homme avait reçu 277 dossiers. Or, suivant le début de ses opérations en avril 2018 jusqu’à la fin de cette année-là, 456 plaintes ont été recensées. En 2019, ce nombre était de 644. Malgré une petite baisse à 561 en 2020, la barre atteignait les 721 en 2021 avant de passer à 258 de janvier à mai 2022.
À ce stade, explique Phalraj Servansingh, commissaire de l’IPCC, 1 509 plaintes sont en cours d’investigation. Il concède également que le nombre d’enquêteurs est limité face à l’affluence des plaintes. «Franchement, on peut difficilement ‘cope’ quand vous regardez nos statistiques de plaintes. Mais c’est notre réalité. On a lancé le dépôt de plainte en ligne depuis trois ou quatre semaines. On a reçu quelques cas via cette option virtuelle. Le nombre grandissant de plaintes caractérise, pour moi, une marque de confiance du public dans l’IPCC. Six enquêteurs, ce n’est pas assez. On fait des demandes d’effectifs additionnels à chaque Budget. On est indépendant oui… mais notre budget vient du gouvernement.» Ainsi, précise-t-il, une demande pour recruter deux à trois enquêteurs a été effectuée.
Éliminer les anciens policiers
À ses débuts en 2018, l’IPCC ne disposait que de trois enquêteurs. Deux autres ont été recrutés et l’un a pris sa retraite. En mars 2022, deux autres employés ont rejoint l’institution, explique le commissaire. Parmi ces six enquêteurs, on compte trois anciens policiers, qui sont des «enquiring officers». Les trois autres, âgés d’une trentaine d’années, sont des «investigators» qui doivent détenir au préalable un diplôme universitaire en droit, psychologie ou criminologie. De par la loi, aucun policier en service régulier ne peut travailler pour l’IPCC.
«Franchement, on peut difficilement ‘cope’ quand vous regardez nos statistiques de plaintes.»
À la réception, un policier en service assure la sécurité mais ne travaille pas pour l’organisation. «On peut employer des policiers retraités au-dessus du grade de chef inspecteur. Ils comptent une trentaine d’années de service. Quant aux investigateurs, ce sont des policiers plus jeunes qui ont démissionné ou travaillaient dans une commission mais pas dans une unité de police. L’expérience est aussi considérée.»
Pourquoi recruter la vieille garde ? Selon Phalraj Servansingh, on compte sur ces policiers retraités, dont certains ont servi comme «police prosecutors», pour former les nouveaux. D’ailleurs, une nouvelle recrue est attachée à un ancien pour prendre des dépositions des plaignants et policiers accusés, faire des descentes des lieux au besoin entre autres tâches requises. «À moyen terme, on espère pouvoir, quand ces nouveaux auront acquis l’expérience nécessaire, éliminer les anciens policiers.»
Il n’y a pas que le nombre d’enquêteurs (chiffré à six) qui divise. Erickson Mooneeapillay craint «toute complaisance et familiarité avec les policiers incriminés» du fait que la moitié des enquêteurs de l’IPCC soient des retraités de la force policière. Il affirme que ceux-ci doivent sans doute travailler aux horaires habituels de bureau, d’autant que l’IPCC est opérationnelle du lundi au vendredi de 9 à 16 heures pour le public. Phalraj Servansingh précise que les enquêteurs travaillent selon ces horaires et au-delà des heures au besoin. Si les plaintes surviennent en week-end, celles-ci sont enregistrées auprès des postes de police qui doivent les rapporter à l’IPCC dans un délai de 48 heures. «Les enquêtes peuvent démarrer après deux ans quand les preuves scientifiques ont pu déjà disparaître et qu’il n’y a plus de vidéos des caméras CCTV. Il faudrait démarrer ces investigations immédiatement», rétorque Erickson Mooneeapillay.
D’ailleurs, comment assurer l’indépendance quand la police (même d’anciens officiers) enquête sur la police, dans un sens ? «On a une structure. Le développement de l’enquête est suivi par tout le monde attaché à l’IPCC. On a créé cette instance pour enquêter sur la police. Pour les anciens policiers, à un moment donné, il faut faire confiance à leur intégrité. Je ne peux pas vous dire à 100 %, comme tout dépend de l’individu», répond Phalraj Servansingh.
Dépendance de la fonction publique
De son côté, Anishta Babooram s’interroge sur la formation des enquêteurs. Celle-ci doit être continue pour assurer les investigations, affirme-t-elle. Il faut que ces effectifs soient formés en droits humains. «Je relie cela directement avec la National Preventive Mechanism Division de la Commission des droits humains qui aurait dû, selon la loi, assurer la formation mais aussi enquêter sur les cas de torture, faire des visites préventives, des recommandations entre autres. Il faudrait le faire concrètement.» C’est toute la Commission des droits humains qui devrait s’impliquer et assurer ces formations, avance-t-elle.
En termes de logistique et d’administration, l’IPCC affiche une dépendance de la fonction publique. Selon Anishta Babooram, pour les véhicules, il faut se fier au bureau du Premier ministre. Tout le côté administratif (clerks, registry entre autres effectifs seconded for duty à l’IPCC) est procuré par la fonction publique, affirme Phalraj Servansingh. «Les demandes, notamment pour des éléments pour notre budget, tombent sous le Prime Minister’s Office. Donc, on a une division technique entre la commission et ses enquêteurs puis l’administration», déclare-t-il. Donc, l’indépendance n’est pas intégrale. Néanmoins, ren- chérit-il, tous les enquêteurs sont pourvus de laptop et de systèmes tels un «procurement officer», un «finance officer», un administrateur de leur site web etc. Le personnel de l’IPCC est de 23 membres, ajoute-t-il.
Quelle est la durée moyenne des enquêtes ?
Question piège, répond Phalraj Servansingh. «On a des enquêtes qui peuvent prendre trois semaines… mais d’autres pouvant aller jusqu’à trois ans.» Pourquoi un tel laps de temps? Cela dépend de la complexité du cas, du nombre de policiers incriminés, de l’enquête qui doit être effective et si les officiers impliqués étaient masqués car cela pose des problèmes pour l’identification, entre autres. Certains cas de- mandent plus d’investigations, avance-t-il.
Quelles stratégies sont requises pour mieux structurer l’IPCC ? Pour l’avocat, un meilleur leadership assurerait plus de crédibilité à cet organisme. «C’est une bonne institution inspirée du modèle britannique sauf qu’il faut la doter des compétences adéquates. Revoyons le système en intégrant davantage des personnes pouvant instaurer de la rigueur au niveau de la police», précise Erickson Mooneeapillay.
Selon lui, un avocat de la défense pourrait prendre les rênes d’un tel organisme. En Angleterre, par exemple, l’Independent Office for Police Conduct (IOPC) est géré par un directeur et divers adjoints n’ayant jamais fait partie de la force policière. Selon notre interlocuteur, dans ce pays, de telles nominations sont basées sur les compétences.
Quid du nombre d’enquêteurs pour l’IPCC? L’homme de loi s’aligne sur une trentaine d’investigateurs pour commencer et miser sur la qualité. «Si ces deux éléments étaient assurés, peut-être que le taux de tortures et de brutalités baisserait. Ainsi, l’IPCC enverrait un signal fort de We mean business. Hélas, le nombre de plaintes augmente.»
D’après Anishta Babooram, il faut prévoir deux enquêteurs par district. «Si on a aboli la Police Complaints Division pour une commission comme l’IPCC, que ce soit pour le meilleur avec bien plus d’enquêteurs pour tout ce travail à abattre. Il faut décentraliser l’IPCC. Pourquoi ne pas avoir des Human Rights ou IPCC officers dans les postes de police ?»
Outre l’augmentation de l’effectif, le profil est aussi discutable. Qui donc recruter si ce n’est des retraités de la force policière? Pour Erickson Mooneeapillay, on peut prendre des policiers en fonction ou disposés à quitter la police et un avocat criminel disposant de 10 à 15 ans d’expérience pour instruire des enquêtes. Selon Phalraj Servansingh, une soixantaine d’enquêteurs pour les dix districts serait idéal mais avec leur demande pour trois effectifs additionnels, il estime qu’il faut augmenter les effectifs au fur et à mesure.
Un vaste chantier si les autorités veulent vraiment rendre justice aux victimes de policiers…
En chiffres
<h3><strong>1 509 plaintes toujours en investigation</strong></h3>
<p>Selon les chiffres de l’IPCC, sur 2 640 plaintes reçues par cette instance depuis avril 2018, plus les 277 de la Police Complaints Commissions, soit un total de 2 917 cas, 1 509 sont en cours d’investigation. D’après Phalraj Servansingh, de ce nombre, 500 concernent des brutalités policières mais beaucoup sont <em>«des cas allégués</em>», préciset-il.<em> «Après le formulaire 58 et le rapport médical, on peut trouver que les accusations ne sont pas fondées. Les cas où ces actes sont véridiques sont d’une vingtaine»</em>, déclare-t-il. On note un retrait de 302 plaintes par les plaignants ; 89 cas réglés par réunions de conciliation ; cinq plaintes référées à la <em>Disciplinary Forces Service Commission</em> et 22 cas, au bureau du DPP. Cinq cas sont actuellement logés en cour. Et selon la classification des plaintes, 779 ont été enregistrées pour l’usage de la violence par un officier public , 301 pour abus verbal et 1 560 incluent des refus des policiers d’enregistrer une plainte, des re- tards d’enquête policière, le <em>« failure to attend request made by public »</em>, la non-présentation d’un mandat avant d’effectuer une perquisition, des dommages à une propriété privée lors d’une opération policière, les menaces, les harcèlements, l’abus d’autorité, le décès durant la garde à vue entre autres.</p>
<h3>Qu’advient-il après enquête de l’IPCC ?</h3>
<p>Une fois l’enquête de l’IPCC bouclée, un rapport est remis aux trois membres de la commission.<em> «Nous avons alors trois choix. Premièrement, on peut référer le cas au Directeur des poursuites publiques (DPP) pour des poursuites avec recommandations des charges possibles comme pour les grosses brutalités, des agressions qui sont des délits légaux. Deuxièmement, on envoie ce dossier à la Disciplinary Forces Service Commission pour des actions disciplinaires, comme pour un policier qui répète un abus de langage avec plusieurs personnes. Et finalement, on peut entamer une réunion de conciliation entre les deux partis, par exemple dans un cas de langage abusif du policier et ce dernier peut présenter ses excuses au plaignant»,</em> explique Phalraj Servansingh. En cas de poursuites judiciaires, le DPP donne l’autorisation à l’IPCC de présenter le cas en cour. Les enquêteurs peuvent être donc appelés à se rendre au tribunal.</p>
Publicité
Les plus récents