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Pravind Jugnauth ou Narendra Modi: qui a demandé à qui ?

25 juillet 2022, 21:00

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Pravind Jugnauth ou Narendra Modi: qui a demandé à qui ?

La promptitude et la liberté avec lesquelles Pravind Jugnauth a impliqué Narendra Modi, au mépris de l’éthique diplomatique, ont interpellé Navin Ramgoolam et Arvin Boolell. Et si le Premier ministre (PM) voulait dévier notre attention d’une vérité encore plus gave, en endossant toute la responsabilité de cette initiative, pour protéger ou obéir à son grand frère et mentor Shri Narendra Modiji ? En d’autres mots, n’estce pas son homologue indien qui lui a demandé ce service ? Devant l’absence d’explications de la part de Pravind Jugnauth quant à une menace sur notre sécurité nationale, on est en droit de se poser la question. 

► Trafic de transit 
On se rappelle des lettres du 21 octobre et du 22 décembre 2021 adressées par le bureau de la sécurité du PM à Sherry Singh, lettres que Xavier Duval a diffusées mardi. Cependant, le leader de l’opposition n’a pas montré le questionnaire qui y était annexé. Ce questionnaire, comme l’express en a fait état mercredi et jeudi, intrigue, notamment concernant la demande d’information sur le pourcentage de bande passante dédié au trafic de transit, c’est-à-dire celui qui ni ne provient de ni n’est destiné à Maurice. Cette question spécifique du Prime Minister’s Office (PMO) à l’ex-Chief Executive Officer (CEO) de Mauritius Telecom renverse toutes les thèses avancées jusqu’ici : si la demande provenait bien de Pravind Jugnauth «à des fins d’espionnage des Mauriciens», ce besoin d’informations sur ce qui ne concerne pas les échanges entre Mauriciens et Mauriciens d’une part et entre Mauriciens et étrangers d’autre part n’estil pas surprenant ? Car le trafic transitant par Baie-Jacotet est entre étrangers et étrangers. Par exemple, entre Malaisiens et Portugais. 

Pourquoi les Indiens ou le PMO exigeraient cette information si ce n’est pour savoir le matériel à apporter lors de leur intervention ? Ils sont plusieurs à ne pas exclure cette hypothèse, dont le journaliste indien de The Wire, Siddharth Naradarajan (voir l’express d’hier). Il donne deux raisons : l’intérêt de Modi pour ce que font les Chinois à Maurice et pour des investisseurs indiens qui se rendraient coupables de round tripping. Cependant, si Modi voulait surveiller ces mouvements de fonds ou les Chinois, ne pourrait-il pas tout simplement demander un rapport régulier à ce propos à son ami Pravind ? 

Siddharth Naradarajan ajoute que la technique de sniffing «n’est pas très moderne». Ainsi, nous dit un informaticien, si Pravind Jugnauth voulait espionner l’opposition et les journalistes, il aurait pu tout simplement utiliser Pegasus ou Tek Fog, qui ne nécessitent pas une intervention physique et dangereuse sur nos réseaux. «Un simple logiciel ferait l’affaire.» 

Si donc Modi ne s’intéressait pas particulièrement à ce qui se fait à Maurice mais à l’international, pourquoi ne le recherchait-il pas sur le câble qui atterrit à Cochin ? Non, explique un ingénieur, «car ce câble ne concerne que les échanges entre Indiens et les étrangers. Et il n’y a pas de câble de transit en Inde pour SAFE. Alors que le câble SAFE transite à Maurice». 

► Quelle sécurité nationale ? 
Une autre raison pour laquelle la justification sur la sécurité nationale est suspecte est l’absence d’explications du PM, «qui ne doit pas se cacher derrière le secret défense», a dit Xavier Duval. L’opposition est d’avis qu’il n’y a pas de menace immédiate à notre sécurité nationale. L’ex-juge Vinod Boolell se posait aussi la question dans l’express de jeudi, de savoir de quelle sécurité nationale parle le PM lorsqu’il a avoué faire appel aux techniciens indiens. Le terme «sécurité nationale» est vague et vaste. Une précision de la part de Pravind Jugnauth est plus que nécessaire, selon lui. 

Une raison supplémentaire pour penser plutôt à une demande de Modi à Pravind Jugnauth et non l’inverse est le fait que le PM mauricien a lui même donné une explication difficile à avaler concernant le recours aux techniciens indiens plutôt qu’à des Mauriciens : il a juste préféré les Indiens, comme ça, et même s’il existait des compétences locales, il n’en voulait pas. N’est-ce pas parce que c’est Modi qui lui a demandé de permettre à ses techniciens de venir sniffer sous la moustache les échanges ? Comment un PM qui se respecte peutil demander l’aide d’étrangers pour assurer la sécurité… nationale ? Et pourquoi pas des techniciens d’Orange (France Telecom), qui possède 40 % des actions de Mauritius Telecom ? se demande Navin Ramgoolam. Pour rappel, Xavier Duval a déclaré samedi que le sniffing aurait été effectué sur le trafic de transit aussi. Mais sans plus. Il ne veut sans doute pas franchir le pas et conclure que c’est Modi qui a fait la demande… 

Il faut se rappeler également que la Cybersecurity and Cybercrime Act, promulguée le 19 novembre 2021, a été amendée pour permettre à des étrangers d’intervenir sur nos réseaux pour des raisons de sécurité nationale. Pour Rajen Narsinghen, il se peut que cet amendement ait été délibéré. Et que dire des dérogations consenties en mai par le décret 97 de 2022 au haut-commissariat indien sous la section 48 de l’Information and Communication Technologies (ICT) Act ? En n’ayant pas à passer par les procédures pour l’importation de matériel informatique et de communication, le haut-commissariat indien n’échappe-t-il pas également au contrôle par l’Information and Communication Technologies Authority de ces équipements, au nom d’un protocole d’accord sur Agalega ? 

Enfin, les Indiens n’auraient découvert aucune ingérence étrangère lors de leur «survey» sur notre système. Peut-être qu’il n’y en avait jamais eu ? Cela dit, on nous signale que même si c’est Narendra Modi qui a demandé à Pravind Jugnauth ce «service», il n’est pas exclu que celui-ci en ait profité pour nous espionner. Une «win-win situation» dans l’idée de départ qui risque de finalement faire perdre des points à ce gouvernement…