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Affaires d’État: les politiciens ont-ils le droit de mentir ?
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Affaires d’État: les politiciens ont-ils le droit de mentir ?
Le rapport de Girish Guddoy, ex-Chief Technical Officer (CTO) de Mauritius Telecom, énumère les flagrantes contradictions avec la version du Premier ministre sur les allégations de «sniffing». Au Parlement, Pravind Jugnauth assurait qu’aucun équipement n’a été installé à la landing station de Baie-Jacotet pour intercepter du trafic internet. Ce rebondissement met en lumière une incontournable vérité : la capacité à mentir des hommes publics.
À l’international, les exemples de «menteurs politiques» tels que Boris Johnson, Donald Trump, Jérôme Cahuzac ou encore Nicolas Sarkozy sont foisonnants. D’ailleurs, «Les menteurs de la République» de France Info fait un excellent «retour sur les Pinocchio de l’Élysée». À Maurice, le nôtre est (encore) sous les feux des projecteurs avec les non-dits dans des affaires d’État.
Un politicien a-t-il le droit de mentir ? Pour Jocelyn Chan Low, observateur politique, il existe plusieurs types de mensonges. Par exemple, beaucoup de mensonges concernent la vie privée. «Dans des sociétés puritaines, les mensonges entraînent la démission, fortes du code de conduite. Les mensonges couvrant un crime sont les pires. Quand cela concerne une haute trahison, le mensonge en lui-même est un délit et fait obstruction à la justice», explique-t-il. Selon lui, la situation devient extrêmement grave en cas de mensonge et fabrication de fausses preuves. Dans le cas de Maurice, c’est le pire des crimes puisque son auteur s’enfonce davantage.
Selon le Dr Farhad Aumeer, député travailliste, la classe politique mauricienne doit tirer des leçons de ce qui se passe au Royaume-Uni, avec Boris Johnson acculé par les preuves de mensonge. «À Maurice, le Premier ministre a changé sa version répétitivement dans cette affaire de sondage ou ‘‘sniffing’’. Il aurait dû step down pour qu’une enquête indépendante restitue la vérité», déclare-t-il. Il affirme que le peuple attend une explication cruciale sur ces informations si confidentielles sur la sécurité d’État nécessitant le recours aux Indiens pour faire un «survey» qui aurait très bien pu être entrepris par des techniciens mauriciens.
À son avis, bien des politiciens se servent de l’immunité parlementaire pour raconter la version qui les arrange au peuple, ce qui ne reflète pas toujours la vérité. «Un politicien a été mandaté par la population. Vous ne pouvez pas venir seulement pour votre intérêt personnel ou avec un agenda caché et ne pas dire la vérité», déplore-t-il. Aujourd’hui, ces nondits ont rejailli dans le grand public et lèvent le voile sur les pratiques politiciennes. «Est-ce qu’un politicien élu a le droit de mentir dans l’exercice de ses fonctions ? Non, il ne peut pas. On ne peut pas mentir au Parlement. Les élus du gouvernement ont un devoir de vérité par rapport à l’exercice du pouvoir», renchérit Avinaash Munohur, politologue.
Historiquement, poursuit-il, l’exercice du pouvoir est toujours quelque chose de «très obscur». Raison de plus pour que les hommes publics assument ce devoir de vérité. Les citoyens en démocratie ont le droit de savoir ce qui se passe. De ce point de vue, il est absolument essentiel que les politiciens ne mentent pas. Hélas, dans la pratique, cela ne se passe pas ainsi, notamment pour des dossiers sensibles liés à la sécurité intérieure et extérieure entre autres. «Dans ce cas de figure, on peut imaginer qu’un chef d’État ou de gouvernement doive se taire. Mais se taire et pas mentir : ce n’est pas la même chose», précise-t-il.
L’ancien ambassadeur et député Alain Laridon ne mâche pas ses mots. Entrer en politique, c’est un art et une vocation. «Les politiciens doivent opérer dans la transparence. Dès que vous y faites vos premiers pas, vous êtes comme dans un livre ouvert. Il faut dire la vérité pour le peuple et le pays.»
«Devoir moral»
De son côté, l’avocat Kris Valaydon appelle à la prudence. Car le mensonge fait aussi partie d’une astuce de communication du politicien rusé consistant à l’instiller dans la conscience populaire comme sujet d’attention. Ici, l’attention est alors focalisée sur le faux alibi que le coupable a donné et non sur le délit commis. «L’action de mentir est quand même condamnable par toute société qui se respecte. Le mensonge par les dirigeants d’une nation est similaire à une fraude dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution et les lois du pays», déclare-t-il. Justement, ces législations n’ont jamais permis qu’un politicien puisse nous mentir.
Pour lui, le politicien a un devoir moral vis-à-vis du peuple et ne peut induire celui-ci en erreur. Le fait d’avoir menti une fois laisse supposer que l’homme public peut mentir plusieurs fois sur d’autres questions d’intérêt public. Autre aspect grave : le fait d’avoir menti doit nous faire comprendre que le mensonge s’installe comme culture du pouvoir, ce qui est très dangereux pour un pays mais aussi lourd de conséquences.
Quel est le poids des mensonges de politiciens sur le plan local et international ? «Les ambassades ont leurs propres services de renseignement. Elles peuvent être plus informées que des instances mauriciennes. Il doit y avoir des conséquences. S’il y a délit, il faut bien voir qui enquête. Sur le plan judiciaire, on peut aller jusqu’au Privy Council», constate Jocelyn Chan Low.
Pour le Dr Farhad Aumeer, une mauvaise opinion de la classe politique mauricienne en jaillit. «Dans certains pays développés, si des chefs d’État font des entorses à la vérité et manipulent l’opinion publique, ils se retirent. À Maurice, les dirigeants en question deviennent plus forts, bénéficiant du soutien des organisations qui feront croire qu’ils n’ont rien fait de répréhensible», observe-t-il.
Internationalement, ce problème de «sniffing» est à notre détriment, aussi bien en termes de télécommunications, de confidentialité d’État, d’échange des courriels, de communication financière ou personnelle, sans compter les relations bilatérales. La fraternité interpays en est ébranlée. «L’Inde doit se sentir très embarrassée par de tels actes», avance le député.
Depuis quelques années déjà, des soupçons pèsent sur l’exercice du pouvoir, souligne Avinaash Munohur. «Nous vivons dans une société où le secret n’existe plus. Avec les réseaux sociaux, que veut dire le secret d’État aujourd’hui ? Une affaire comme le ‘‘sniffing’’ porte sur le Premier ministre des traces de soupçons dont il n’arrive pas à se défaire», précise-t-il.
Mondialement, on est en pleine redistribution des cartes géopolitiques avec la montée de l’empire chinois, les négociations de la Chine avec Madagascar pour une base militaire, etc. «Le problème fondamental est que le Premier ministre se trouve dos au mur. Comment vat- il se positionner auprès d’autres chefs d’État et de gouvernement dans des forums internationaux face aux allégations portées contre lui ? Surtout si les ambassades ici soupçonnent qu’il y a eu entrave pour leurs propres intérêts ?» Définitivement, l’image de Maurice va en souffrir. Il faut également faire très attention aux conséquences sur notre économie, prévient-il.
Localement, insiste Alain Laridon, la jeunesse mauricienne très intelligente réagira à la gravité des actes dont est soupçonné le pays. «C’est un crime contre Maurice. Le fait que l’Inde se soit rapprochée de nous pour ce ‘‘survey’’ ou autre constitue une violation de notre souveraineté nationale vendue et bradée», constate-t-il. Internationalement, les chancelleries envoient des rapports chaque semaine. D’après son réseau régional, ceux-ci ont l’air défavorable pour Maurice. «Avant, notre île jouissait d’une belle réputation internationale. Mais on ne sait où nos politiciens mettront la tête désormais.»
Selon Kris Valaydon, la République du peuple en prend un coup, réalisant que son élite politique est capable de mentir et que le mensonge fait partie de la gouvernance, de la stratégie de travail. «Le mensonge est une norme de conduite dans les hautes sphères de l’État. Ce sera un sacré coup contre la réputation de notre pays.»
Comme le disait Machiavel : «Gouverner, c’est faire croire.» L’affaire du «sniffing/survery» en est un exemple.
Hors-la-loi
<p>En droit civil et même pénal, le mensonge est condamnable lorsqu’il cause un préjudice, explique Kris Valaydon. Par exemple, en termes d’escroquerie, lorsque le mensonge sert comme manoeuvre frauduleuse. En matière civile, le mensonge peut constituer un délit également, surtout en droit des affaires lorsque sur la base de mensonge, une partie se voit lésée et abusée, dans un contrat. En politique, un mensonge cause un préjudice sur le plan moral. C’est une infraction morale, indique-t-il. <em>«Il faut distinguer le mensonge de la non-divulgation d’informations. Les dirigeants d’un pays peuvent toujours se cacher derrière la raison d’État pour ne pas dévoiler toutes les informations pour des raisons de sécurité et dans l’intérêt public, comme ils disent. Toutefois, mentir et pervertir la vérité, c’est grave»</em>, déclare-t-il. Au niveau du droit parlementaire, si le politicien a menti au Parlement, il ne passera pratiquement rien s’il se trouve dans la majorité puisqu’aucune motion de blâme ne pourrait être portée ni votée contre lui. <em>«Connaissant la situation qui prévaut au Parlement mauricien, avec un pouvoir législatif contrôlé par l’exécutif, on peut deviner la suite à une motion pour condamner une conduite mensongère de la part d’un dirigeant du pays»</em>, constate-t-il. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas invoquer le mensonge du politicien auprès du judiciaire. Car, si le politicien induit tout un Parlement ou une population en erreur sur un sujet capital, le judiciaire doit pouvoir se prononcer si ce mensonge a entraîné des préjudices.<em> «Le résultat est peut-être académique, mais quel autre issue a-t-on avec le système politique en place ?»</em> se demande-t-il.</p>
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