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Île Plate: l’ancienne station de quarantaine sort du fourré

1 août 2022, 14:00

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Île Plate: l’ancienne station de quarantaine sort du fourré

Deux mondes qui se croisent. À l’Île Plate, le temps ne tourne pas de la même manière pour tout le monde. Vers 11 heures, les catamarans débarquent des flots de vacanciers qui profitent d’un barbecue au bord de l’eau mais ne s’aventurent pas dans l’île. À l’intérieur, derrière un épais rideau de végétation, une équipe d’études archéologiques d’une dizaine de personnes campe sur place depuis le 11 juillet. Elle a en principe quitté l’île, hier. Après quatre ans de travaux préliminaires, les premières fouilles ont eu lieu, cette année sur cette île qui a servi de station de quarantaine entre 1856 à 1926. Entre les pierres taillées, c’est un pan de l’histoire de l’engagisme que cette équipe (re)met à jour.

Planter sa tente en hiver sur l’Île Plate. On pourrait croire à une robinsonnade, une fois que les catamarans lèvent l’ancre vers 14 heures. Et que l’équipe d’une dizaine de scientifiques – archéologues et étudiants de plusieurs universités étrangères – retrouvent la quiétude d’un îlot éloigné de Maurice. Mais ils n’y sont pas pour méditer. Qu’il vente ou qu’il pleuve, l’équipe sonde le passé de l’Île Plate, où se trouvent les vestiges d’une station de quarantaine. Entre 1856 et 1926, les navires accostant à Port-Louis avec à leur bord des passagers malades y ont été déviés, pour y décharger des travailleurs engagés suspectés d’avoir le choléra. 

Il s’agit d’une travail de longue haleine pour la cheffe de projet Alessandra Cianciosi, Marie Curie Research Fellow de l’université d’Amsterdam. Son projet d’études du système de quarantaine dans l’océan Indien bénéficie du soutien de l’université de Stanford, dont celui de Krish Seetah de la faculté d’anthropologie de cette université. Sa première visite à l’Île Plate remonte à 2009. Le projet d’études a démarré en 2015. 

Les quatre premières années ont été consacrées aux études préliminaires, à la fois des documents d’archives et des photos aériennes. Chaque structure a été photographiée pour générer un modèle en 3D. Une exploration GPS de l’Île Plate a eu lieu pour localiser les principaux bâtiments, dans la végétation envahissante. Cette année, les premières fouilles archéologiques. Krish Seetah explique «qu’en 1968, l’Île Plate a été ravagée par un incendie. Dans un premier temps, cela a dénudé l’île, mais résultat : l’acacia, une espèce de plante invasive a colonisé l’île».

Quartier des Européens

Détail de l’encorbellement de l’ancienne pharmacie. Des tailleurs de pierres à la fibre artistique sont passés par là.

LA ségrégation était pratiquée sur l’île. Les Européens responsables de la station de quarantaine et les travailleurs engagés ne débarquaient pas au même endroit sur l’Île Plate. Les Européens posaient pied à terre là où les vacanciers profitent aujourd’hui d’un barbecue au bord de l’eau. Les engagés faisaient le tour pour être débarqués de l’autre côté de l’îlot. Les engagés étaient placés en isolement dans des quartiers séparés des logements des Européens. Nous n’avons pas pu nous rendre sur le site de quarantaine des travailleurs engagés. 

En route vers le quartier des Européens où se trouvent les principaux bâtiments permettant de faire tourner la station de quarantaine, Krish Seetah déplore le comportement de certains visiteurs qui laissent derrière eux leurs déchets, surtout du plastique. 

L’équipe d’archéologues a retrouvé un sentier d’origine. Des pierres taillées – du basalte amené par bateau sur l’Île Plate – balisent les deux côtés de ce sentier lui donnant son cachet historique. «Des bulldozers ont déjà été amenés sur l’Île Plate pour transformer certaines des structures en attraction touristique et cela sans autorisation. Cela a été supprimé, mais l’un des bâtiments que l’on appelle la Governor’s house a subi quelques transformations.» 

Contrairement à son nom, l’île n’est pas si plate. L’hôpital principal se situe dans la partie la plus haute de l’île. «Cela correspond peut-être aux théories de l’époque où l’on pensait que les courants d’air pouvaient propager la maladie», explique Alessandra Cianciosi. Parmi les structures existantes, une ancienne pharmacie. Krish Seetah attire l’attention sur les embellissements des corniches, «alors qu’il s’agit d’une station de quarantaine. Des travailleurs engagés étaient là. Parmi eux, il y avait des artisans sachant tailler la pierre».

Une unité de dessalement d’eau de mer du 19e siècle

Principal défi de la station de quarantaine : assurer la fourniture en eau potable. Le sentier mène à une imposante structure abritant «ce qui ressemble à une unité de dessalement d’eau de mer», explique Krish Seetah. «Cela semble évident qu’il fallait trouver une solution au manque d’eau potable sur l’île.» 

Pour sa part, Alessandra Cianciosi confie que le volume d’eau traité par l’unité n’est pas encore déterminé. Mais les dimensions de l’installation laissent deviner qu’il s’agissait de grandes quantités. 

Cette imposante cheminée en brique fait partie de l’unité de dessalement d’eau de mer.

«Tous ces blocs de pierre taillée ont été transportés dans l’île. Certains des plus beaux exemples de découpe de pierres à Maurice se trouvent sur l’Île Plate», affirme Krish Seetah. À ceci près que la cheminée et le foyer sont eux en briques rouges. Quand la végétation a été enlevée et que le drone a survolé l’île, on a aussi vu apparaître le système de canalisation qui acheminait l’eau potable vers le réservoir. «C’est plutôt complexe pour la période.» Nous sommes dans la seconde moitié du 19e siècle. 

«Nous n’avons pas vu d’autre exemple d’unité de dessalement comme cela à Maurice, ni sur d’autres îlots. À l’Île Plate, cette installation était d’une absolue nécessité.» L’état de la chaudière – et des murs toujours debout bien que le toit en bois ait disparu – en dit long. «Quand on voit ce qu’il en reste après plus d’un siècle dans cet environnement marin, cela montre que la qualité des travaux et des matériaux utilisés à cette époque sont excellents.»

Vestige de l’ancienne unité de dessalement d’eau de mer car le défi était d’assurer une fourniture en eau potable aux malades en quarantaine sur l’Île Plate à la fin du 19e siècle.

Un second hôpital localisé

L’actuelle campagne de l’équipe d’archéologues a permis de mettre au jour les fondations d’un second hôpital sur l’Île Plate. «On connaissait déjà l’hôpital principal, qui a été débroussaillé.» Le mardi 26 juillet, jour de notre visite, Alessandra Ciancioso explique avec enthousiasme : «Cela fait trois jours depuis qu’on a nettoyé le site.» Bien qu’à l’abandon, la structure de la cuisine, séparée de ce qui reste du second hôpital, semble prête à livrer des recettes du passé. «Le second hôpital figure sur les cartes mais nous ne l’avions pas encore trouvé jusque-là. Le premier hôpital a des murs en pierres jusqu’à hauteur du plafond.» Du second, par contre, il ne reste que les fondations. «Peut-être qu’il était en bois sur une base en pierre. Cela pourrait être l’hôpital où les femmes étaient placées en quarantaine.» 

Un pan de l’histoire de l’engagisme est en marche à l’Île Plate.

Les conditions de logement des travailleurs étaient aussi sommaires, avance Krish Seetah, mais nous n’avons pas pu aller sur place lors de notre visite. Pendant la période d’opération de la station de quarantaine, il y avait du personnel posté en permanence à l’Île Plate. «Les navires pouvaient débarquer jusqu’à 600 passagers d’un coup à l’Île Plate», affirme Alessandra Cianciosi. 

À terme, indique pour sa part Krish Seetah, ces recherches sur l’Île Plate pourraient intégrer le corpus existant sur l’histoire de l’engagisme. Tout en allant dans le sens de la préservation des vestiges de l’ancienne station de quarantaine.

Une équipe cosmopolite

Découverte de juillet 2022 : le second hôpital figurant sur les cartes a été localisé.

Alessandra Cianciosi de l’université d’Amsterdam, Marie Curie Research Fellow, mène le projet d’études sur le système de quarantaine dans l’océan Indien. Il est financé par la Commission européenne et réalisé en collaboration avec l’université de Stanford. «Avant ce projet sur la quarantaine, j’ai eu l’occasion de travailler avec Krish Seetah sur divers autres sites à Maurice. C’est à la suite de ces expériences que j’ai proposé le projet d’études sur la quarantaine.» 

Étudier l’archéologie, c’est aussi manier la pioche.

Dans l’équipe de l’Île Plate, figure aussi Sasa Caval, archéologue du département d’anthropologie de l’université de Stanford. Avec elles, des étudiants, dont notre compatriote Aqiil Gopee, lauréat de la cuvée 2016 et diplômé de Harvard. Plusieurs autres institutions sont représentées : l’université de Grenade en Espagne, celle de Ljubljana en Slovénie ainsi que celles de Turin et de Sienne en Italie.

À la queue leu leu pour avancer dans la végétation envahissante de l’Île Plate.
Plusieurs époques cohabitent sur l’Île Plate.
Cette inscription est dans une marche en béton des vestiges du second hôpital.

Le coup de pouce d’IRiSS

Trio des responsables : Chris Thompson, «Executive Director» de l’«Institute for Research in Social Sciences» de l’université de Stanford, Krish Seetah de la faculté d’anthropologie de l’université de Stanford et Alessandra Cianciosi de l’université d’Amsterdam qui collabore avec l’université de Stanford.

Parmi les visiteurs à l’Île Plate, il y avait ChrisThompson, Executive Director de l’Institute for Research in Social Sciences (IRiSS) de l’université de Stanford. L’institution soutient The Omics Initiative, projet d’études pluridisciplinaires dirigé par Krish Seetah, de la faculté d’anthropologie de l’université de Stanford. 

Quelle forme prend le soutien d’IRiSS ? Chris Thompson précise que l’institut héberge The Omics Initiative. «Alessandra Cianciosi a un bureau chez nous. Notre soutien prend aussi la forme d’un financement de départ. Cela permet de lancer le projet et par la suite les chercheurs peuvent se tourner vers des agences gouvernementales pour des budgets plus conséquents.» 

Selon Chris Thompson, l’institut de recherches est au coeur d’un mouvement pour permettre aux chercheurs en sciences sociales de recueillir des données de différentes sources. «Le projet de Krish Seetah comporte un volet sur de l’ADN ancien. Il combine des études sur l’environnement biologique et physique en relation aux comportements humains. Ce projet pluridisciplinaire est complexe à mettre en place, mais il va contribuer non seulement à l’avancement des études du comportement, mais aussi à l’avancement des sciences sociales.»