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Interview l Shuichiro Kawaguchi: «Sur ce qui s’est passé sur le câble SAFE, le Japon fait entièrement confiance au gouvernement mauricien»
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Interview l Shuichiro Kawaguchi: «Sur ce qui s’est passé sur le câble SAFE, le Japon fait entièrement confiance au gouvernement mauricien»
Allié historique des États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ami stratégique de l’Inde face à la montée en puissance chinoise, la position du Japon sur le scandale de cyber-espionnage qui a récemment secoué notre île ne pouvait en être autrement. L’ambassadeur de l’Empire du Soleil Levant à Maurice se mouille aussi – en prenant évidemment toutes les pincettes diplomatiques – sur des questions aussi complexes que la géopolitique de l’océan Indien, l’invasion russe en Ukraine et, Bien sûr, la marée noire provoquée par le «Wakashio», dont on a commémoré ce mois-ci, le 2e anniversaire.
En 2020, le pays et ses citoyens combattaient une marée noire provoquée par le naufrage du «MV Wakashio ». Où en est-on deux ans après ?
Le gouvernement japonais a été aux côtés de Maurice dès les premiers jours et nous le sommes toujours. Nous avons exprimé notre tristesse et notre désolation. Le ministre des Affaires étrangères japonais a discuté avec votre Premier ministre. Le ministère japonais de l’Environnement a non seulement suivi, mais il a agi. Nous avons fourni une assistance technique, grandement financé le nettoyage, aidé les populations locales et chapeauté la partie administrative des démarches d’assurance.
Iriez-vous jusqu’à dire que ce drame est derrière nous à présent ?
Les opérations de nettoyage ont été complétées en février 2021. Des experts internationaux et même ceux de votre gouvernement ont vérifié. Il n’y a pas de traces visibles. Bien-sûr, il y a un monitoring scientifique et des évaluations continues qui se font sur une plus longue durée. Au sujet de la compensation, l’assureur Japan P&I a travaillé très dur. Les plus grosses compensations ont été payées à ceux qui ont été affectés. Il reste une petite partie de pêcheurs à dédommager. Nous avons aussi accordé la priorité aux dépenses du gouvernement mauricien, et cette partie des compensations a été payée. Par contre, un calcul reste à faire, c’est l’impact dans le long terme. Il nous reste ça à évaluer.
Aussi longtemps que la militarisation agit comme une force dissuasive pour protéger le trafic maritime et le commerce international, le Japon ne s’y opposera pas.
Vous avez reçu des pêcheurs du sud-est à votre résidence. Vous êtes allé à leur rencontre chez eux. Même si ce drame vous a personnellement rapproché de cette communauté, il est tout de même difficile de qualifier cela de «côté positif», n’est-ce pas ?
Ce qui est arrivé, est arrivé. On ne peut pas le changer. Mais notre approche a été d’assumer nos responsabilités et de voir la réalité en face. Ce drame était effrayant. Mais nous avons fait l’effort de cerner tous les contours du problème, comprendre le sentiment des uns et des autres et leur réalité. À partir de là, assumer et assister n’était plus un problème.
En parlant de compréhension et d’empathie, vous comprenez l’inquiétude des Mauriciens vis-à-vis du scandale qui impute au gouvernement mauricien et/ou indien la volonté d’espionner les données numériques ou est-ce que «de facto», parce que le Japon est dans le camp des États-Unis face à la Chine, vous vous contentez de l’excuse selon laquelle il y avait une menace chinoise ?
Le seul camp dans lequel le Japon se range depuis la Seconde Guerre mondiale c’est celui de la démocratie. C’est à partir de là que les réelles démocraties ont commencé à s’installer. Après le drame de la guerre, la priorité du Japon a été la cohabitation pacifique des peuples. De cette perspective, il y a beaucoup de valeurs que partagent le Japon et les États-Unis. Nous pensons aussi que Maurice est une grande démocratie, peut-être la démocratie la plus efficace de toute l’Afrique. C’est aussi mon opinion personnelle. Avant mon arrivée chez vous, j’avais discuté avec des académiciens qui me l’avaient dit, et j’ai tendance à croire qu’ils ont raison.
Pouvons-nous aller au-delà d’une «réponse diplomatiquement correcte» et demander une réponse plus précise sur l’opinion du Japon sur le scandale d’espionnage de données qui passent par le câble sous-marin ?
Le Japon n’a nullement l’intention de s’ingérer dans la gestion souveraine de votre pays. Bien sûr nous avons lu, vu, et entendu ce qui est rapporté. Cela dit, l’Inde est une démocratie importante. C’est un pays clé en Asie et pour l’East Pacific Region. L’Inde fait partie du Quadrilateral Security Dialogue (QUAD) aux côtés du Japon, des États-Unis, et de l’Australie. Vous connaissez mieux que moi la longue histoire culturelle et économique qui lie Maurice à l’Inde. Le Japon et Maurice sont donc deux pays qui vouent une très forte amitié à l’Inde. Maurice peut être le terrain de l’approfondissement de ces relations et coopérations trilatérales.
Ce qui justifie que l’Inde et/ou Maurice nous épie ? N’oubliez pas qu’il se pourrait que ce soit justement les ambassades et missions diplomatiques qui aient été ciblées.
Je sais. Du moins je l’ai lu dans votre journal, et je pense que la forte tonalité de vos médias est aussi un signe d’une démocratie qui se porte bien. J’ai lu aussi l’argument selon lequel c’était une intervention pour écarter un certain risque chinois. Au Japon, nous avons souverainement pris certaines décisions pour écarter certaines compagnies chinoises. Pour ce qui s’est passé à Maurice, ça reste un sujet local et souverain à votre pays. Et puisque nous partageons vos valeurs démocratiques, le Japon fait entièrement confiance à votre gouvernement dans la gestion de ses affaires souveraines, dont celles-ci. We trust that Mauritius has done nothing which would negatively impact Japan’s interest.
Tout ceci s’insère dans un contexte de profondes convoitises géopolitiques pour l’océan Indien. Les États- Unis sont sur Diego Garcia, la Chine est à Djibouti, l’Inde sera bientôt à Agaléga. Le Japon, qui est lui-même une grande nation maritime de l’océan Pacifique, comment voit-il ce déploiement ?
Autant cette région est d’importance capitale, autant un des piliers de la politique étrangère du Japon c’est le FOIP pour Free and Open Indo-Pacific. C’est un concept selon lequel tous les pays peuvent se partager ces biens communs, qui est inclusif et non exclusif. Nous croyons dans l’état de droit et la prospérité pour tous les peuples. Cette politique peut accommoder tout le monde, indépendamment des alliances et des relations économiques entre les uns et les autres.
Le naufrage du MV Wakashio était un événement effrayant qui exigeait que l’on ait le courage de voir les réalités en face.
C’est aussi dans cette optique que les Nations unies ont déclaré l’océan Indien comme une «No War Zone». Mais cette militarisation à outrance de la région, avec la sécurité du trafic maritime comme paravent, n’est-elle pas en porte à faux avec cette déclaration de l’ONU et aussi votre FOIP ?
Je vais vous donner mon point de vue personnel. Après la guerre froide, dans le grand mouvement de la coopération globale et internationale, il y avait une certaine stabilité dans la sécurité mondiale. Mais nous voyons de plus en plus, par exemple avec ce qui se passe en Ukraine, que le commerce international se retrouve de plus en plus menacé par les crises sécuritaires. Aussi longtemps que cette militarisation constitue une force dissuasive envers ceux qui menacent le trafic maritime et le commerce international, le Japon ne va pas s’y opposer.
Ce qui explique l’abstention du Japon du vote de la résolution des Nations unies pour obliger les États-Unis et le Royaume-Uni à compléter notre décolonisation et nous rendre l’archipel des Chagos ?
Non. Nous soutenons fortement l’idée du démantèlement des colonies. Mais Nous préférions que Maurice et le Royaume-Uni trouvent une issue à cette crise à travers des discussions bilatérales pacifiques. Nous n’avons certes pas voté pour, mais nous n’avons pas voté contre.
Vous avez mentionné l’Ukraine, comment réagissez-vous à… …
(il n’attend pas la fin de notre question) C’est complètement illégal et en violation du droit international. On s’oppose fortement à l’invasion russe. Nous avons fortement dénoncé cela.
Tenter de justifier l’invasion russe en Ukraine par les crimes commis par d’autres pays dans le passé est dangereux.
Que répondez-vous à ceux qui disent que les États-Unis ont envahi l’Irak, la France est allée en Libye, les Russes ont fait pareil ? Ajoutez-y le positionnement menaçant de l’OTAN aux portes de la Russie.
C’est une rhétorique dangereuse. Justifier une action illégale par l’illégalité ou l’illégitimité des actions passées des autres ne peut pas constituer une justification. Ce que la Russie est en train de faire, depuis février, est complètement illégal et inexcusable. Dans un monde où la géopolitique est très sensible, où de grandes nations comme la Chine et les États-Unis se livrent à une féroce compétition, ce genre de rhétorique est dangereux et peut donner lieu à une spirale d’événements que chacun tenterait de justifier de cette perspective. Il y a le droit international. Il y a des lois. Il faut tout simplement les respecter.
Ce mois-ci, nous avons commémoré les bombardements de Hiroshima et Nagasaki considérés par beaucoup comme un crime de guerre des alliés. Peut-on être sûr que cela ne va plus jamais se reproduire ?
C’est le souhait d’une grande partie de la communauté internationale. Le Japon est le seul pays à avoir été frappé par une arme nucléaire. Pour ce que nous avons vécu (NdLR : entre 100 000 et 200 000 morts), nous sommes fortement engagés dans les efforts soutenus pour le désarmement nucléaire. Notre campagne semble être une réussite, mais ce n’est pas encore gagné. C’est une action continue et il y a des inquiétudes basées sur certaines réalités. La Corée du Nord par exemple est pour nous une source de très grande inquiétude.
Pour conclure sur une note philosophique, le monde ne semble pas évoluer dans la meilleure des directions. Les crises vont crescendo. De grandes nations avec de gros moyens militaires se regardent en chien de faïence pendant que des problèmes qui peuvent être résolus par des solutions toutes simples perdurent. La diplomatie internationale, finalement, n’est-elle pas qu’un grand échec quand on considère que nos enfants vont grandir dans un monde plus cruel qu’il ne l’est aujourd’hui ?
(Il prend une grande respiration). Oui, il y a beaucoup de mauvais signes et on n’a aucune garantie que la paix mondiale va s’améliorer dans les prochaines années. On ne peut que faire ce que nous pensons être juste, poursuivre ce qui se fait actuellement dans l’intérêt des peuples du monde. Y a-t-il un autre moyen ? Je ne le crois pas.
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