Publicité
Métro et autres projets: quand Maurice emprunte de l’argent à la vitesse grand V
Par
Partager cet article
Métro et autres projets: quand Maurice emprunte de l’argent à la vitesse grand V
Ligne de crédit de 300 millions de dollars, subvention de 25 millions de dollars pour l’extension du métro dans l’Est ; autant de nouvelles «aides financières» accordées par l’Inde. Ce qui soulève encore des questions sur la dette publique. À combien se chiffre-t-elle ? De qui empruntons-nous et sous quelles conditions ? Comment éviter de suffoquer ?
Lundi dernier,la Grande péninsule célébrait ses 75 ans d’Indépendance. Par la même occasion, cette généreuse nation nous a accordé une nouvelle ligne de crédit de 300 millions de dollars américains et une subvention de 25 millions de dollars pour l’extension du métro à Réduit, St-Pierre et Cote-d’Or. Ceci équivaut à Rs 13 milliards et Rs 1 milliard respectivement. Selon les informations, les modalités concernant cette «aide» seront détaillées annoncées par le ministère des Finances, tandis que les fonds seront décaissés à travers la SBM Infrastructure Development Company Ltd.Mais ce n’est bien entendu pas la première fois que l’Inde et d’autres pays nous prêtent de l’argent. Résultat des courses: la dette publique grimpe en flèche.
À combien se chiffre-t-elle aujourd’hui ? Selon les Revised Budget Estimates, pour 2021- 2022, la gross public sector debt s’élève à… Rs 435,7 milliards. Ceci représentait Rs 332 483 milliards pour la dette domestique et Rs 103 231 milliards pour la dette étrangère et donc 87,4 % du produit intérieur brut (PIB) en juin 2022, indique Sanjay Matadeen, économiste et Senior Lecturer à la Middlesex University. Pour 2022-2023, ce chiffre est passé à Rs 449,6 milliards, confirme ce dernier ainsi que l’économiste Eric Ng. Avec la croissance attendue du PIB, ce pourcentage tombera à 78 %, selon les prévisions. «Ce qui est encore acceptable pour le moment, c’est qu’une grande partie de la dette publique est domestique, avec la dette internationale ne représentant qu’environ 23 % », estime Sanjay Matadeen.
D’après Eric Ng, en montant absolu, la dette du secteur public augmente. Par exemple, à décembre 2021, celle-ci se chiffrait à Rs 421 milliards et à juin 2022, à Rs 449 milliards. «Toutefois, il faut considérer la dette publique en pourcentage du PIB. La baisse entre 2021 et 2022 est due au fait que l’État a pu, à travers la Mauritius Investment Corporation, qui a d’ailleurs racheté ses parts d’Air Mauritius, réduire un peu sa dette», avance-t-il. De plus, le PIB a été révisé à la hausse de manière nominale, notamment dans des contextes d’inflation.
Outre l’Inde et la Chine, de qui empruntons-nous ? Selon lui, «la plupart des prêts internationaux ont été contractés auprès d’institutions financières multilatérales comme le Fonds monétaire international et d’autres institutions de développement appartenant à l’Union européenne, l’Agence française de développement, la Banque africaine de développement mais aussi de pays amis comme le Koweït, l’Arabie saoudite, le Japon, entre autres».
Le tableau du Government External Debt Servicing – FY 2022/2023, figurant toujours dans les estimations budgétaires 2022-2023, liste d’autres organisations comme l’African Development Fund, l’European Development Fund, l’European Investment Bank, l’International Development Association, l’International Fund for Agricultural Development, la Japan Bank for International Cooperation, la Japan International Cooperation Agency, la Kreditanstalt Fur Wiederaf- bau en Allemagne, le Nordic Development Fund, le Saudi Fund Loan, l’EXIM Bank of India, le Kuwait Fund Loan, notamment.
Ces soutiens financiers alourdissent-ils notre dette publique ? Quelles en sont les implications ? «Avec les lignes de crédit, évidemment, on augmente la dette étrangère. Le problème qui en résulte, et ce, en dépit des taux relativement faibles, est que si la roupie continue à se déprécier face au dollar américain, le remboursement coûtera plus cher par la suite. Il y a ce facteur de taux de change à considérer», précise Eric Ng. Évidemment, comparée aux années précédentes, la dette publique, surtout la partie domestique, augmente, tandis que l’endettement externe tourne souvent autour des Rs 100 milliards.
Ces enjeux financiers furent d’ailleurs au centre de trois questions parlementaires le 8 mai 2018. Le député Osman Mahomed les avait adressées au Premier ministre et au ministre des Finances. Celles-ci portaient notamment sur la somme empruntée depuis janvier 2015 d’origine étrangère et locale entre autres aspects relatifs à l’endettement du secteur public. «Il est important de savoir que l’argent pour le métro passe par SBM Infrastructure Development Company Ltd, ce qui n’est pas comptabilisé dans la dette publique. En revanche, le gouvernement garantit le remboursement de cet emprunt, selon ce qui m’avait été répondu au Parlement. Quelle est la dette réelle aujourd’hui si ces montants ne sont pas comptabilisés ? C’est la question à se poser. D’une part, l’argent transite de l’autre côté. Et le règlement de la dette passe par l’État, ce qui veut dire que les autorités ont assumé cet emprunt», affirme-t-il.
Nous avons sollicité le ministère des Finances sur les implications de la dette publique, en vain.
Ailleurs, c’est comment?
D’autres pays sont-ils plus endettés que nous ? Certains le sont davantage, et d’autres moins, répond Osman Mahomed. Citant l’exemple de Singapour, où il a d’ailleurs étudié, il explique que cette nation n’a jamais emprunté pour son projet de métro. Comme son économie «fonctionne à merveille», cette nation a utilisé ses réserves pour ce projet. «Elle est dotée de plusieurs piliers économiques et du Central Provident Fund qui est très solide financièrement. D’ailleurs, quand j’y étudiais, le Singapour était le deuxième pays avec le plus de réserves mondiales en termes d’argent après Taiwan. Aussi, le gouvernement singapourien a beaucoup investi en Chine pour les infrastructures mais aussi dans sa propre nation y compris pour le métro.»
Au départ, ce système de transport roulait à pertes pendant dix ans, puis il s’est rentabilisé avec des mesures d’accompagnement avec des millions de passagers par jour. «À Maurice, on est très endetté et on est en train d’emprunter de l’argent pour étendre une ligne sans savoir si cela va marcher ou pas. Si on cumule les dettes, d’autres projets devront être sacrifiés», ajoute Osman Mahomed.
Mais le problème ne se limite pas au fait que Maurice emprunte de l’argent ou pas. La question de la dette publique pousse le débat encore plus loin. Car si des prêts sont contractés afin de générer plus de revenus, les retombées seront positives. L’inverse n’augurera pas de bonnes choses.
Pour revenir aux lignes de crédit, la Chine aussi nous en accorde. Et ses conditions peuvent s’avérer plus attrayantes pour l’une comparée à l’autre en termes de taux d’intérêt et de conditions. Par exemple, dans certains cas, le pays allouant la ligne de crédit exige un restricted bidding. C’est-à-dire qu’il faudra alors recruter un contracteur du pays-créancier pour mener un projet d’infrastructure précis. Donc, ce n’est pas ouvert à l’international et encore moins compétitif. Et les coûts peuvent être plus élevés au final. Mais si l’emprunt est contracté après de la Banque mondiale et d’autres bailleurs, Maurice n’est pas limité dans le choix et peut recruter le contracteur le moins cher.
Des questions subsistent aussi sur les pays souvent privilégiés pour nous accorder des prêts. Ces arrangements sont-ils purement ou innocemment dictés par des intérêts géopolitiques ? L’Inde, qui dispose de deux métros, a concrétisé ce projet via des constructeurs européens. Quel est l’avantage de faire affaire dans ce cas avec la Grande péninsule puisque d’autres bailleurs de fonds traditionnels disposés et disponibles ?
Si les conditions sont meilleures, à l’exemple d’un taux de 3 % pour les lignes de crédit de certains pays contre 5 % pour les agences de financement mondiales, cela ne sert à rien d’aller pour un contracteur imposé et qui peut s’avérer plus cher pour économiser les 2 %. Il incombe de bien vérifier les conditions attachées aux accords en question.
Parallèlement, la sélection des projets d’infrastructures doit être effectuée judicieusement. Les interrogations fusent sur la priorisation du métro. En faisant un bond vers la deuxième guerre mondiale, il s’avère que bon nombre de pays étaient très endettés. Cependant, ceux de l’occident et le Japon ont investi dans leurs économies respectives et repayé leurs dettes.
Dans le cas de Maurice, notre croissance devrait être tirée par les exportations. Un objectif atteignable en investissant dans les secteurs pouvant augmenter ces opérations. Hélas, on semble être bien loin du compte, d’autant que la croissance était en baisse avant le Covid-19. Entre 2011 et 2014, on faisait 6 milliards de dollars d’exportations. Aujourd’hui, ce chiffre a chuté à 3 milliards de dollars. Fondamentalement, le problème ne repose pas seulement sur la dette publique cumulée mais aussi sur le fait que Maurice est en mal de croissance liée aux exportations. Il faut donc se demander quels projets d’infrastructures publiques peuvent les augmenter en complément aux investissements privés dans des secteurs productifs.
Quelles stratégies sont nécessaires pour nous sauver de l’engorgement ? D’après Sanjay Matadeen, le gouvernement mauricien doit veiller à ce que l’argent emprunté soit utilisé pour des investissements productifs capables de créer des emplois et de stimuler la croissance économique. «Il est également important qu’il y ait un contrôle strict sur la manière dont les dépenses publiques sont engagées, la transparence et l’accountability afin que nous ne nous retrouvions pas dans un gâchis financier comme pour d’autres pays: chose que nous observons en ce moment.» De préciser que le FMI a expressément déclaré que le pays avait besoin d’une consolidation financière et de réformes courageuses pour augmenter ses revenus et revoir le régime de retraite universel à Maurice pour ne pas tomber dans un gouffre financier.
Eric Ng soutient que si Maurice s’endette pour des projets d’infrastructure comme l’extension du métro dans l’Est, la grande question est de savoir si ce service sera rentable. «Il faut que chaque projet génère suffisamment de revenus afin de pouvoir rembourser la dette et couvrir les dépenses opérationnelles. Sinon, ce sont les contribuables qui vont casquer pour maintenir un projet à pertes.»
Il est vital d’orienter l’action publique sur ce qui va accélérer nos exportations. Par exemple, le port est plus compétitif. Des investissements pour le développer davantage pourraient ramener plus de revenus à Maurice. On peut aussi instituer un véritable système de bunkering, prôner l’amélioration des services maritimes et même se positionner comme un centre névralgique pour la région. Les services publics devraient également devenir plus compétitifs, notamment avec plus de rapidité pour les investisseurs mais aussi les citoyens.
Une réflexion nationale entre l’État, le secteur privé et la société civile contribue- rait à élaborer des actions concrètes pour faire remonter les exportations.
Ces lignes de crédit accordées à Maurice par l’Inde
<p>Depuis longtemps, l’Inde aide Maurice en termes de soutien financier. Le dernier en date remonte au 15 août 2022, avec les célébrations des 75 ans de la Grande péninsule avec une ligne de crédit de Rs 13 milliards et Rs 1 milliard de subvention pour étendre le métro à Réduit, St-Pierre et Côte-d’Or. En février 2021, l’Inde avait aussi ouvert une ligne de crédit de 100 millions de dollars au profit de Maurice, ce qui équivalait à environ Rs 4,3 milliards. Ce montant avait été mis à notre disposition à travers la banque indienne EXIM et était destiné à l’acquisition de matériel de défense. En 2020, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, avait annoncé que le gouvernement indien avait accordé une ligne de crédit de Rs 12 milliards à Maurice en vue de faire face aux défis économiques dans la conjoncture. C’était à l’occasion de son discours marquant la fête de Divali 2020 à la Hindu House. D’après le chef du gouvernement, un tel financement indien, toujours de 300 millions de dollars, œuvre à soutenir Maurice. De plus, en 2017, l’État indien avait alloué une autre ligne de crédit de 853 millions de dollars américains pour financer des projets tels que le Metro Express, la construction du nouvel hôpital ENT de Vacoas et la nouvelle Cour suprême de Port-Louis.</p>
<div style="text-align:center">
<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="320" src="/sites/lexpress/files/images/stade.jpg" width="477" />
<figcaption></figcaption>
</figure>
</div>
<p><strong>Metro Express Ltd: «Quand on parle de rentabilité, il ne faut pas se limiter à l’aspect financier (…)</strong></p>
<p>Sollicitée pour une déclaration sur la rentabilité du métro avec l’extension dans l’Est, la direction de Metro Express Ltd (MEL) affirme que tout d’abord, le métro est un projet de développement intégré qui non seulement apporte l’innovation, mais crée la croissance économique là où il va. «<em>Quand on parle de rentabilité, il ne faut pas se limiter à l’aspect financier, mais il y a aussi l’aspect économique, social, la qualité de vie, environnement, etc.»,</em> souligne MEL.</p>
<p>Et d’ajouter que de par son étude de faisabilité, qui a été complétée par nos consultants de Rail India Technical and Economic Service Limited et de Metro Express, cette société peut conclure que définitivement tous les indicateurs financiers et économiques sont favorables et positives pour le métro dans l’Est, ceci dans un premier temps. Et dans le futur comme mentionnée à maintes reprises, la ligne du métro sera aussi envisagée à travers l’île en passant par un Master Planning dans tout le pays, comme voulu par la vision du gouvernement et du Premier ministre.</p>
<p><strong>Pour quels projets ?</strong></p>
<p>Divers pays et agences de financement allouent des prêts à Maurice. Ces fonds servent au développement de projets infrastructurels, entre autres. Lesquels ? Selon le Government External Debt Servicing – FY 2022-2023, figurant dans la section Debt des Budget Estimates, 53 emprunts étrangers sont listés. Quatre prêts ont été contractés de l’IDA pour des projets de la Banque de Développement, de développement rural et d’éducation. Les montants varient entre 3,5 et 4 millions de dollars. Le remboursement est échelonné sur 40 ans. Onze emprunts proviennent de l’IDRB pour des projets de transition économique, de performance du secteur public, entre autres. Plusieurs millions furent alloués en dollars américains, livres sterling et euros avec des délais de remboursement de 13 à 15 ans. Pour l’hôpital de Flacq, un emprunt de 20 millions de dollars a été contracté auprès de la BADEA avec un taux d’intérêt de 2 % avec 30 remboursements semi-annuels. Toujours pour ce projet, le Kuwait Fund Loan a déboursé 7 500 000 dinars koweitiens (KWD) avec un taux d’intérêt de 1,5 % et des charges administratives de 0,5 %. Additionnellement, le Saudi Fund Loan a été contributif au projet de l’hopital de Flacq avec un emprunt de 187,5 millions de riyals saoudiens (SAR) avec un taux d’intérêt de 1 % avec 30 remboursements semi-annuels. Cette instance nous a également alloué 93,8 millions de riyals saoudiens pour l’hôpital consacré au traitement du cancer sous les mêmes conditions de remboursement.</p>
<p>Du côté de la Chine, on compte cinq emprunts accordés par le gouvernement chinois et à travers l’EXIM Bank. Trois d’entre eux, de 50 millions de yuans (CNY) chacun, étaient destinés à l’élaboration du complexe multisport de Côte-d’Or avec un repaiement étalé sur dix ans. Les deux autres, situés entre 400 et 580 millions de yuans, contribuaient au projet de Plaines Wilhems Sewerage et le Bagatelle Dam, avec des taux d’intérêt variant entre 2 et 3 %. Pour le complexe de Côte-d’Or, Maurice a également bénéficié du soutien du <em>Saudi Fund Loan</em> à hauteur d’environ de 93,8 millions riyals saoudiens. Ce fonds de soutien nous a aussi preté main forte pour le logement social avec un prêt de 187,5 millions de riyals saoudiens. Parallèlement, la <em>Standard Chartered Bank</em> (Singapore) a accordé à Maurice un prêt de 25 millions de dollars pour l’Import Invoice Financing à un taux d’intérêt de 1,09 %.</p>
<p style="text-align:center"><img alt="" height="449" src="/sites/lexpress/files/images/stade_2.jpg" width="613" /></p>
<p> </p>
Publicité
Les plus récents