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Les nouvelles ambitions d’une STC largement décriée
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Les nouvelles ambitions d’une STC largement décriée
Le bras commercial du gouvernement est une nouvelle fois projeté au-devant de l’actualité. En cause, la colère des consommateurs face à l’incapacité de la State Trading Corporation (STC) de satisfaire la demande de 200 000 familles d’une nouvelle marque d’huile, Smatch, commercialisée à Rs 75 par Moroil Ltd grâce à une subvention de la corporation d’État à hauteur de Rs 33.
Ciblant les consommateurs au bas de l’échelle, dont le pouvoir d’achat a été lourdement amputé par l’effet galopant de l’inflation en glissement annuel de 11 % en juillet dernier, les 400 000 litres d’huile mis sur le marché au début du mois ont disparu des rayons des supermarchés et autres boutiques du coin en un tournemain !
Initialement, la STC a comme historique depuis 1982 l’importation des produits pétroliers, incluant le gaz, du riz ration et de la farine. Toutefois, la crise sanitaire et les répercussions économiques portant sur les difficultés d’approvisionnement des produits de première nécessité suivant les perturbations de la chaîne logistique ont exercé de fortes pressions sur la STC, explique son managing director (MD), Rajiv Servansingh. Ce dernier souligne que l’annonce de la fin des subventions le 30 juin dernier a vu de nouvelles responsabilités confiées à la STC. Elle doit importer des produits essentiels à un prix compétitif et les écouler sur le marché local et intervenir s’il y a des risques de pénurie, à l’instar de certains grains secs comme le gros pois, il y a quelques semaines.
Et plus récemment le projet avorté d’importer de l’huile de la Grande péninsule et le recours à Moroil pour approvisionner le marché en un nouveau type d’huile à base de soja, suivant un appel d’offres ouvert aux importateurs, suscite des controverses. «Tout a été fait dans la transparence et aucun distributeur n’a été privilégié à l’issue de cet exercice. C’est sur la base de son offre qui est de loin la meilleure, soit moins chère par rapport à ses compétiteurs que la société Moroil a décroché le contrat.»
«Disruptors»
Rajiv Servansingh se défend que la STC agisse comme un compétiteur dans le secteur commercial. «Il est vrai que nous sommes un opérateur commercial si on se limite à notre rôle d’importateur et de distributeur des produits sensibles. Nous intervenons à 10 % du marché de ces produits dits sensibles et nous n’avons pas la prétention de nous substituer au rôle du secteur privé. Notre seul souci est d’éviter des risques de cartellisation dans un secteur privé où une poignée d’opérateurs peuvent potentiellement déséquilibrer le marché. Dans un sens, nous nous positionnons comme des disruptors.»
Certes les 400 000 litres sont insuffisants pour fournir un marché où la consommation mensuelle d’huile tourne autour de 1 million à 1,5 million de litres. «Cette cargaison d’huile, destinée principalement aux consommateurs disposant d’un faible pouvoir d’achat, aurait suffi si certains clients n’avaient pas bougé de gamme, passant de l’huile de tournesol à celle végétale qui bénéficie d’une subvention de la STC», insiste le MD de la STC. Selon un simple calcul, celle-ci subventionne l’huile Smatch à plus de Rs 13 millions par mois. «Nous allons étudier le marché et voir comment résoudre cette pénurie d’huile, conscient qu’à l’échelle mondiale, des signes tangibles ont montré qu’en Égypte et en Ukraine, qui exporte 20 % d’huile de tournesol dans le monde, il y aurait une stabilité du prix de vente.»
Le positionnement de la STC dans une économie mixte signifie que des services et produits essentiels proviennent aussi bien de fournisseurs publics que privés. L’économiste Pierre Dinan cite les soins de santé, l’éducation du primaire au tertiaire, le transport public, la fourniture de l’eau et la radiophonie, entre autres. Ce qui donne la possibilité à chaque Mauricien, dit-il, d’exercer un choix. Toutefois, quand il s’agit de certains services comme l’électricité et l’audiovisuel, ce sont les fournisseurs privés, selon l’économiste, dans le premier cas, qui sont obligés de vendre leur production au CEB, seul organisme habilité à fournir du courant électrique à la population. Alors que dans le deuxième cas, l’obligation à tout Mauricien de payer la redevance à la MBC équivaut à une quasi-imposition de l’audiovisuel officiel à toute la population. «Ce modèle commence à prendre l’eau grâce aux avancées technologiques des réseaux sociaux», note Pierre Dinan.
Pour autant, l’huile et le lait étant des produits essentiels, la STC a un rôle à jouer, s’il est démontré que des prix excessifs sont pratiqués par des importateurs abusant de situations de monopole ou de quasimonopole. Pierre Dinan estime qu’il faut trouver la bonne formule pour que l’intervention de la STC soit respectueuse des règles de la concurrence, et cela dans l’intérêt des consommateurs. Car octroyer seulement à la STC le droit d’importer l’huile comestible ou le lait, afin de neutraliser les abus des importateurs en place, «c’est remplacer un cartel par un monopole, si l’exercice ne se fait pas dans la transparence». D’où la formule à privilégier est celle où la STC ferait un appel d’offres transparent à tous les importateurs – existants et à venir – afin que le contrat soit offert publiquement à celui dont l’offre est la plus favorable à l’intérêt des consommateurs mauriciens.
Bien entendu, le prix réclamé ne doit pas être le seul critère pour arrêter le choix final. Car il faut se méfier des importateurs sans scrupules qui feraient une offre dérisoire en première année pour s’octroyer le marché mauricien, déjouant ainsi les importateurs sérieux et crédibles, et qui leur laisserait, dans les années subséquentes, le champ libre à pratiquer des prix abusifs. «La réputation commerciale de ceux qui répondent aux appels d’offres est un critère déterminant dans le choix final», insiste l’économiste.
Faut-il que l’intervention de la STC soit limitée dans le temps seulement ? À cette question, Pierre Dinan soutient que quand «la situation inflationniste actuelle se sera décantée, il est fortement souhaitable que nous laissions fonctionner le système actuel, la STC se réservant le droit d’intervenir en cas d’abus. C’est le modèle de l’économie mixte souligné plus haut».
Ex-économiste en chef à la Competition Commission of Mauritius, Rajeev Hasnah épouse certaines idées émises par Pierre Dinan. En termes des droits à la concurrence, la STC peut intervenir sur le marché vu qu’elle s’est livrée à une transaction commerciale, comme d’autres opérateurs. Cependant, là où le bât blesse, elle ne peut pas prôner deux systèmes quand il s’agit de sa décision d’allouer le contrat de Smatch à un seul opérateur. «Soit on accorde les subsides à toutes les sociétés de distribution ou la STC assure un contrôle total sur le produit subventionné, en l’occurrence l’huile Smatch. Il n’y a pas d’autres voies intermédiaires; sinon le bras commercial du pays se retrouverait responsable de pratiques d’anti-competitive market disruption.»
Quoi qu’il en soit, la STC parviendra difficilement à faire l’unanimité dans le monde des affaires, aujourd’hui, car des dossiers brûlants l’attendent alors même qu’elle traîne depuis plus de deux ans des casseroles financières.
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