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Jason Chellen: «A Maurice, nous avons le don de ne pas ‘‘put the right person in the right place’’»

28 août 2022, 21:37

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Jason Chellen: «A Maurice, nous avons le don de ne pas ‘‘put the right person in the right place’’»

Le chemin qui a mené à la consécration de l’Association Sportive de Vacoas-Phoenix (ASVP) dans le championnat national de handball fut semé d’embûches. Entre les difficultés liées à la situation sanitaire, l’équipe, dit l’entraîneur Jason Chellen, a été victime d’injustices. Il nous en parle dans l’entretien qui suit…

Jason Chellen, on a vu, dimanche, à travers la victoire de l’ASVP, vos qualités de tacticien…
Il faut savoir que quand on parle de tactique, ce n’est pas l’affaire d’une seule personne. Pascal Yeung Yin In et moimême discutons constamment sur les forces et faiblesses de tout un chacun. Pour le match contre le Curepipe Starlight, nous savions qu’il y aurait une prise en individuel stricte sur lui car c’est le meilleur joueur de l’équipe. Pour avoir été pendant longtemps joueur du CSSC, il connaît parfaitement cette formation. Cela dit, pratiquement toutes les équipes du championnat ont essayé cette tactique et il y avait deux options, soit on le libérait, soit il se faisait oublier loin du terrain forçant l’adversaire à jouer à cinq, créant ainsi plus d’espace pour les autres joueurs.

Quand vous adoptez une tactique, il faut bien connaître vos joueurs, leurs forces et leurs limites. Nous avions confiance en chacun d’eux. Certes, il peut y avoir des inconnus dans l’équa- tion, mais avec de l’expérience, on s’adapte. Puis, le handball, comme tout sport, est un jeu simple et compliqué à la fois. Il faut souvent apporter l’élé- ment surprise comme le fait que quand il y a eu une prise en strict sur le meilleur joueur, au lieu de le libérer, on a choisi de faire confiance aux autres et les faire sortir de leur zone de confort.

Ce titre, le 4e d’affilée de votre équipe, doit avoir une saveur particulière, après la période difficile provoquée par la Covid…
Comme tous les sportifs, on ne savait pas quand on allait jouer de nouveau. Quand on voyait les sports individuels reprendre et les sports collectifs rester en retrait, on se posait des questions. Et là, la motivation prend un sacré coup. Qui plus est, on ne savait pas si le championnat allait reprendre là où on l’avait laissé ou si on allait débuter un autre. Donc quand on gagne dimanche, le goût de la victoire est forcément différent.

Outre la situation sanitaire, vous avez aussi fait face à d’autres problèmes, comme la difficulté de trouver un terrain d’entraînement, avec l’impact que cela provoque sur l’esprit de groupe. Parlez-nous en…
Toutes les difficultés rencontrées ont été un «blessing in disguise». Notre gymnase d’entraînement était devenu un centre de vaccination. Un de nos cadres, qui est aussi l’un des meilleurs joueurs de Maurice, était et est toujours injustement sanctionné de douze matches de suspension. Quand tout cela nous tombe dessus, on se dit qu’on touche le fond. Il n’y a alors que deux possibilités : vous pouvez soit larmoyer sur votre sort soit vous relever. On a choisi de repartir de zéro et de se battre. Mais je vous avoue qu’on revient de loin. Parfois, il n’y avait que deux joueurs à des séances de condition physique au Ebène Recreational Park ou cinq joueurs sur une moitié de terrain du gymnase Palmerstone. Croyez-moi, on ne parlait même pas de titre de champion à ce moment-là. Le plus important, c’était de mettre un pied devant l’autre comme un convalescent. Il a fallu de nombreux messages chocs pour toucher l’orgueil des joueurs et réveiller chez eux les caractéristiques qui différencient un être humain lambda à un sportif qui se respecte. Heureusement qu’il y a un noyau de joueurs qui font l’âme de ce club et celui-ci ne s’effrite jamais. Tant que ce noyau est là, rien ne peut faire tomber l’ASVP.

Sinon, la consécration vous a certainement aidé à digérer la défaite face au Résidence Vallijee Lions Sports Club…
Ça aide oui, mais la digestion de cette défaite s’est faite bien avant. Vous savez, pour ce match-là, tout a été fait pour nous mettre des bâtons dans les roues. «They tried to bury us, but they didn’t know we were seeds». Cette citation nous convient parfaitement. Trois semaines avant ce match, on les bat par +15 buts en Coupe de l’Indépendance. Quand on les affronte pour notre premier match de championnat, l’équipe est au plus mal, physiquement et moralement après des décisions et actes invraisemblables. N’importe quel observateur verrait cela impossible de battre une équipe +15 et quelques jours après se faire battre par cette même équipe. Mais on savait qu’il y avait une grande injustice. C’est ce qui nous a motivés tout au long de ce championnat : se battre contre l’injustice.

Quelle est cette injustice dont vous parlez ?
Je vous explique : récemment, lors d’un match du championnat, un joueur d’une autre équipe écope uniquement d’une exclusion de deux minutes pour presque le même geste que celui de notre joueur ambidextre qui, lui, avait reçu une disqualification directe, un carton bleu et une suspension de douze matches. Sachant qu’un championnat compte sept matches, croyez-moi, cela nous a dégoûté et nous dégoûte toujours autant. Nous avons eu la rage devant ces injustices. La vérité finit toujours par triompher. Vous connaissez la meilleure ? Quand il a logé une plainte au Tribunal arbitral du Sport, certains dirigeants l’ont approché pour qu’il retire sa plainte afin d’intégrer la présélection nationale. Il l’a fait et on le comprend sur la forme parce qu’il ne peut rester inactif et Maurice a besoin de lui. Mais sur le fond, nous ne sommes toujours pas d’accord.

Je l’avais dit précédemment, il n’y a qu’une vérité en sport, celle du terrain. S’ils nous avaient battus à la régulière, on l’aurait accepté, mais cette défaite nous est restée en travers de la gorge pour ses zones d’ombres d’avant-match. Et merci à l’entourage de Résidence Vallijee Lions Sports Club d’avoir réveillé notre orgueil ce jour-là.

Qui plus est, depuis des années, c’est Nicolas Le Merle qui nous représente au sein de la fédération de handball. Toutes les correspondances lui sont adressées. Du jour au lendemain, la fédération l’informe qu’il n’est pas autorisé à être le relais entre l’équipe et elle. On reçoit même une lettre d’avertissement du comité directeur de l’ASVP, notre propre camp, pour avoir tenu des propos dans la presse. On ne sait pas rester tranquille quand on est attaqué. On n’aime pas l’injustice et nous le faisons savoir haut et fort.

Mais qui en veut à l’ASVP ? Et pourquoi ?
Au club, nous savons tous qu’un jour ça arriverait parce que comme on dit en créole, ‘zis pie ki raport frwi ki gagne cout ros’. Quand vous êtes champions plusieurs années de suite, les autres aspirent à être champions et c’est normal. Mais devenir champion par des coups bas, pour moi c’est passer par l’imposte. Si vous voulez être champion, battez le champion en titre avec son équipe au complet. Là vous pourrez dire que vous ne l’avez pas volé. Nommez des arbitres neutres pour des matches à risques. Logez tout le monde à la même en- seigne et non parce que c’est le champion qui joue, il faut nommer un binôme qui a intérêt à ce que le champion tombe. Qui en veut ? C’est simple, celui qui prend toutes les décisions, évidemment. Et ceux qui l’entourent. Vous savez pourquoi l’équipe de l’ASVP filles a été exclue du championnat, parce qu’elles ne se sont pas présentées à un match. Vous savez pourquoi ? Parce qu’il y avait des cas de Covid. Je laisse le soin au Tribunal arbitral du Sport de faire son travail parce que nous y avons référé le cas.

Certains ont une tendance à abattre, au sens figuré bien sûr, ceux qui ont une opinion contraire. On le voit en ce moment en politique. Mais ce n’est qu’un sport. On pratique le handball par passion, que tout ça reste un plaisir, sinon on n’avance pas et on perd du temps dans des querelles interminables.

Nonobstant les injustices, l’ASVP est championne. Vous avez fait de cette équipe une des forces du handball mauricien. Votre prochain défi, c’est quoi ?
Le mérite revient aussi à notre président et joueur Nicolas Le Merle qui a bâti une équipe de presque rien, combattu contre vents et marées, parfois de l’intérieur, pour en faire cette force. Il y a eu des hauts et des bas, mais le prochain défi c’est tout le temps celui qu’on n’a pas en- core réalisé. On n’a jamais joué une finale de la Coupe des clubs de l’océan Indien par exemple. Une demi-finale, si. Pour avoir déjà goûté à une finale en tant que joueur, je peux vous dire que nous n’en sommes pas loin. Donc le prochain défi c’est une finale et pour y arriver, comme vous le savez, comme tout le monde le sait, sans budget, on regarde les matches à la télé ou sur Facebook, au lieu de les vivre. Le défi donc, comme on l’a fait dans le passé, ce sera de quémander de l’argent à gauche et à droite pour réunir le budget pour la prochaine CCOI. Ainsi va la vie de sportif à Maurice qui aspire à rehausser son niveau.

On est à un an des JIOI, quelle est votre analyse de l’état de notre handball ?
Le handball mauricien n’est pas à son meilleur niveau. Quand vous battez, dans le championnat, une équipe par 60 buts d’écart, ça n’a rien à voir avec le progrès. La formule du championnat est donc à revoir avec plus de confrontations entre les équipes plus ou moins du même niveau, soit le Curepipe Starlight, l’USBBRH, Résidence Vallijee, Plaisance, Rangers et l’ASVP. On ne peut pas mettre les débutants dans le même panier. C’est les condamner et condamner le hand mauricien. Un exemple, contre Blackshield, il y avait uniquement quatre joueurs de champs en face. Nous avions pris la décision de les laisser jouer tout en travaillant notre défense et notre montée de balle. Si nous l’avions voulu, nous aurions pu les empêcher de jouer et soigner notre différence de buts. Mais quelle gloire aurions-nous eue ? Nous avons besoin de handballeurs et en les empêchant de toucher le ballon ce jour-là, cela aurait tué en eux l’envie revenir au prochain match ou tout simplement l’envie de jouer…

Quatre équipes ont disparu du paysage, Résidence Geoffroy, Moka Rangers, ASPL 2000 et l’ASVP filles. C’est un fait. En féminin justement, le constat est alarmant avec quatre à cinq équipes depuis des lustres et seulement deux de niveau convenable. Que croyez-vous pouvoir gagner ?

Donc la situation n’est guère reluisante contrairement à ce qu’on veut nous faire croire. Il n’y a pas de vision à long terme. Certains techniciens et arbitres qualifiés sont perdus dans la nature et rien n’est fait pour les ramener. N’importe qui peut organiser un tournoi. Mettre en place des projets à court, moyen et long-termes, ça, ça demande du savoir-faire. Il n’y a pas de rassembleur et c’est un fait ! Je pourrais vous parler des heures sur le hand mauricien mais on va s’arrêter là…

Espérer bousculer la hiérarchie dans la région est donc plus une chimère qu’autre chose ?
Exactement. Certes, il y a eu une stagnation générale dans l’océan Indien mais à Maurice nous avons le don de ne pas «put the right person in the right place». Soit pour une question d’ego ou pour une question d’affinités. J’avais dit en 2015 pour les Jeux à la Réunion, que Maurice ne franchirait pas la phase de poules en masculin, mais personne n’y croyait et c’est ce qui s’est passé. Est-ce que nous avons des talents ici et à Rodrigues, bien sûr. Mais pour gagner une compétition, c’est comme aller à la guerre. Vous y allez avec vos meilleurs soldats et généraux.

On n’a même pas daigné faire appel à l’entraîneur Jessie Thérèse, pour essayer de trouver une formule gagnante pour les deux parties, en tant qu’entraîneur de la sélection nationale. On a prétexté une question de budget. Je pose une seule question : combien d’argent est dépensé pour le transport au niveau fédéral et pour qui ? Croyez-vous qu’en tant que Mauricien, Jessie Thérèse n’aurait pas voulu, par sens de patriotisme, faire des efforts ? Vous seriez surpris de la teneur de sa conversation avec un dirigeant ici quand il a fallu nommer un entraîneur national. Il est assez bon pour entraîner les équipes réunionnaises depuis plus de dix ans, voire les Kreopolitains (NdlR : les Réunionnais évoluant en France) lors du Challenge Gaston Richardson à la Réunion le mois dernier, mais il n’y a qu’à Maurice qu’il n’est pas bon. Le comble !

On vous sent très remonté…
Et je n’ai pas encore terminé. Permettez-moi d’ajouter que pour gagner, il faut aussi une bonne défense. Un des meilleurs défenseurs de Maurice, Yannick Pierre, n’a même pas été appelé en présélection. Notre défense à l’ASVP se construit autour de lui. Nous avons eu la meilleure défense du championnat et il n’est pas jugé assez bon pour faire partie de la présélection. Faut-il en rire ou en pleurer ? En rire d’abord car, certains qui s’entraînent pendant les heures d’entraînement de la présélection viennent de commencer à jouer. En pleurer ensuite car des millions de roupies des contribuables seront englouties dans la préparation, de stages etc. et tout cela, sachant que ce ne sera pas la meilleure armée qui ira à la guerre. Des Jeux se préparent sur quatre ans. Il ne nous reste qu’un an. Il faudra limiter la casse…

Jason Chellen, vous visez ici clairement les dirigeants de l’AMH et le staff technique nationale…
Je ne mange dans la main de personne. C’est pourquoi je peux me permettre de dire tout haut ce que je pense. Je ne suis pas le seul à savoir qu’il y a un ras-le-bol car ceux à l’AMH ont clairement failli à leur tâche. Déjà, rien n’a été fait pour remplacer les membres démission- naires et tout d’un coup, on voit la nécessité de les remplacer quand, récemment, il n’y a plus de quorum. Quand on est élu au sein du comité, c’est pour servir le handball et non se servir du handball.

Vous pouvez élaborer ?
Où est le championnat jeune ? Où sont ces handballeurs dont les équipes ne participent plus au championnat ? Comment canaliser les jeunes issus des établissements scolaires quand les clubs mêmes peinent à fonctionner ? Que ce soit pour des problèmes de finance ou de disponibilité de gymnase. Allez voir, qui et combien de clubs utilisent le gymnase de Phoenix ? Tous les clubs parlaient de manque d’entraînement pour cause de manque de terrain durant le championnat. Est-ce qu’il y a eu une utilisation uniforme ou arbitraire ?

Quant au staff technique national, chacun a le droit d’entraîner qui il veut et comme il veut. Je respecte le travail qui est fait, parce que je sais que cela demande de l’implication mais qui sont les entraîneurs ? Qu’ont-ils accompli ? Qu’ont-ils gagné ? Sur quelles bases ont-ils été jugés aptes à prendre les rênes ? N’allez pas croire que je vise le poste. Je n’ai clairement pas le temps pour ça, mais je pose les mêmes questions que tout le monde se pose. Pourquoi le meilleur entraîneur mauricien qu’on n’ait jamais eu, Jessie Thérèse, celui qui a fait gagner l’or à la sélection des -21 ans, il y a quelques années, lors de l’IHF Trophy qui regroupe les pays de l’océan Indien, celui qui entraîné la JSB à la Réunion depuis des années, celui qui a reçu toutes les formations de la Fédération française de handball n’a même pas été interviewé pour le poste ? Je veux voir le handball prospérer parce que j’aime le hand et mon pays. Mais quand je vois des injustices, excusezmoi, je ne peux me taire !