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Construction: comment une entreprise blacklistée par la Banque mondiale déjoue les lois mauriciennes
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Construction: comment une entreprise blacklistée par la Banque mondiale déjoue les lois mauriciennes
Amendée l’année dernière, la loi régissant la reconnaissance et l’enregistrement des entrepreneurs en construction devait, entreautres, empêcher que les compagnies blacklistées par la Banque mondiale ne puissent opérer à Maurice. Mais à malin, malin et demi. Avec quasiment le même nom, les mêmes têtes, mais officiellement une «autre» entité, la branche mauricienne d’une compagnie chinoise sanctionnée par la BM a obtenu sa précieuse certification du Construction Industry Development Board.
EN 2014, la Banque mondiale (BM) sévit contre une entreprise chinoise, un monstre de l’ingénierie et la construction mondiale qui compte, dans son portfolio, la construction de dizaines d’hôtels luxueux aux quatre coins du monde et de nombreux projets publics. La BM reproche à China Jiangsu International Economic and Technical Cooperation Group Ltd (CJIETCG) d’avoir menti sur ses expériences passées pour décrocher un contrat d’irrigation et de drains en Ethiopie que la BM finançait. Verdict : un debarment ; comprenez une exclusion automatique de la compagnie, ses subsidiaires, sister companies, et toute société ayant un lien direct et indirect avec elle, de tout projet qui serait financé par la BM dans n’importe quel pays du monde.
La branche mauricienne de CJIETCG n’est initialement pas affectée par cette sanction car, d’abord, elle n’a pas de contrat public et encore moins ceux financés par la Banque mondiale, et, ensuite, rien dans la loi mauricienne ne lui interdit d’opérer à Maurice puisqu’elle dispose de son permis du Construction Industry Development Board (CIDB), l’autorité régulatrice des entreprises de la construction. Ainsi, CJIETCG poursuit ses activités à Maurice et agit comme main contractor ou le sub contractor sur des projets aussi grands que les Villas Valriche, la 2e phase de 1 Cybercity, la construction du nouveau bâtiment du cabinet d’audit EY, et les rénovations d’hôtels comme le Sugar Beach ou La Pirogue. Sauf qu’en 2021, le parlement mauricien amende la CIDB Act. Parmi les changements majeurs : être blacklisté par la Banque mondiale équivaut à une non-éligibilité au permis CIDB.
C’est un coup de massue pour CJIETCG qui se retrouve à devoir, sans permis du CIDB, se contenter de projets valant moins de Rs 1 million, une peccadille. Elle demande une révision de cette décision au conseil d’appel du CIDB mais perd encore. Exit China Jiangsu du territoire mauricien et de l’industrie de la construction, du moins officiellement.
Car une autre compagnie, cette fois, du nom de China Jiangsu Mauritius Constructions Ltd (CJMCL), est toujours bien présente et dispose bien d’un permis du CIDB pour opérer. Elle est même en train de recruter massivement à l’étranger ces jours-ci. La ressemblance ne se limite pas au nom. La compagnie bannie par la Banque mondiale et celle enregistrée à Maurice et qui n’a officiellement rien à voir ont une adresse commune, soit rue Ste Thérèse, Curepipe. On y retrouve également les mêmes têtes. Zhao Chenxi et Ni Wefeng les deux «authorised agents» de la compagnie internationale à Maurice, sont actionnaires minoritaires de China Jiangsu Mauritius. L’actionnaire majoritaire lui, c’est un Mauricien (juste ce qu’il faut pour pouvoir aspirer à une certification du CIDB comme compagnie locale) un certain Nabeel Bhunnoo, dont le profil LinkedIn le décrit comme un employé de la grande compagnie internationale. «Nous sommes une autre entité», assure-t-il à l’express. Face à nos questions sur son profil LinkedIn, puis sur les mêmes noms qui figurent sur les corporate data des deux entreprises, Nabeel Bhunnoo explique «qu’il peut y avoir des ressemblances, mais la compagnie chinoise n’a absolument rien à voir avec nous. Nous avons pu démontrer au CIDB que légalement, sous la Companies Act, nous sommes des entités qui ne sont pas liées, ni directement, ni indirectement».
Ce que confirme Ram Bahadoor, directeur du CIDB. «Nous sommes tenus par les lois du secteur de la construction et nous avons banni l’entreprise blacklistée par la Banque mondiale. Nous ne pouvons rien contre une autre entreprise avec des noms similaires, des têtes similaires si elle démontre que d’un point de vue corporate, elle n’est pas liée à l’autre. My corporate suspicions ne suffisent pas. Le CIDB n’a pas un mandat forensic pour retracer d’éventuels ultimate beneficiairies s’il y en a. C’est à la Mauritius Revenue Authority de s’intéresser au Tax Return de l’actionnaire majoritaire par exemple pour connaître les dividendes qui lui sont payés.» «Y a-t-il eu une pression politique», lui demande-t-on. «Non. De toute façon avec moi, ça ne marcherait pas», renchérit Ram Bahadoor. «D’ailleurs il faut que vous fassiez ressortir que le CIDB, après une analyse juste, équitable et légale, lui a livré un permis de ‘Grade H’» conclut-il.
En effet, avec ce permis (celui au plus bas de l’échelle), China Jiangsu Mauritius ne peut travailler que sur des projets dont la valeur totale ne dépasse pas Rs 20 millions, ce qui est très loin des projets habituels de la compagnie-mère quand elle était présente à Maurice.
Nabeel Bhunnoo assure que la compagnie chinoise n’a pas une seule roupie dans son entreprise. «Nous avons recommencé from scratch. Nous avons acheté les équipements de la compagnie chinoise de nos propres fonds.» Pense-t-il avoir exploité un loophole dans la loi mauricienne en passant de simple employé à actionnaire ? «Non j’ai simplement sauvé 100 emplois mauriciens.»
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