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Sri Lankais réfugiés à La Réunion: l’asile politique navigue en eaux troubles à Maurice

19 septembre 2022, 21:00

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Sri Lankais réfugiés à La Réunion: l’asile politique navigue en eaux troubles à Maurice

Le samedi 17 septembre, l’«Imula 242 GLE», bateau de pêche sri lankais, a accosté au Port Ouest à l’île de la Réunion. À son bord : 46 passagers, dont deux femmes et six enfants, qui y ont été recueillis. Or, ce navire repéré au sud de Saint-Brandon depuis le 13 septembre a mis les autorités mauriciennes en état d’alerte. Pourquoi ces réfugiés n’ont-ils pas été recueillis par Maurice ? N’est-il pas temps d’adopter un cadre d’asile politique si des étrangers sont en détresse ?

Depuis samedi, 38 hommes, deux femmes et six enfants sri lankais, voyageant à bord de l’Imula 242 GLE, ont trouvé refuge à l’île soeur. Ils sont actuellement pris en charge par les services de l’État réunionnais. Selon Réunion la 1ère, après un premier bilan médical, certains de ces réfugiés ont été placés en zone d’attente dans les locaux de la Police aux Frontières, à l’aéroport Roland-Garros, et d’autres à l’hôtel Le Sélect, à Saint-Denis, lieu où d’autres migrants furent accueillis dans le passé. Comme ces derniers sont en situation irrégulière, ils devraient saisir l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, pour une demande d’asile. Une démarche déjà entamée par 273 migrants ayant accosté à La Réunion à bord de sept embarcations depuis mars 2018, indique le groupe médiatique réunionnais. 

Or, le 13 septembre, l’Imula 242 GLE n’a pas échappé aux écrans des radars mauriciens. L’embarcation a été détectée au sud de Saint-Brandon, donnant lieu à une alerte des autorités mauriciennes. Selon les informations, elle n’avait pas le droit de pêcher dans nos eaux. Et le fait d’avoir à son bord femmes et enfants suscitait des interrogations sur tout trafic ou autre activité illicite. «Il y a eu une prise de contact entre les occupants du bateau sri lankais et la police mauricienne. Nous avons effectué un monitoring du navire qui mettait le cap sur La Réunion, qui a finalement recueilli les passagers. C’est lorsqu’il y a des immigrés clandestins ou des étrangers sans passeport sur notre territoire que nous pouvons prendre des actions», déclare l’inspecteur Shiva Coothen, responsable du Police Press Office. 

Pas de cadre juridique 

Justement, en termes d’actions, Maurice a-t-elle l’obligation de recueillir des immigrants comme ceux du bateau sri lankais ? D’après Erickson Mooneeapillay, avocat et directeur de Dis-Moi Maurice, l’île n’est pas signataire de la Convention de Genève, en date du 28 juillet 1951. Celle-ci régit les conditions et procédures permettant à un État d’accorder le statut de réfugié aux personnes qui en font la demande. Donc, en l’absence de cette ratification de la Convention, Maurice n’accorde pas de statut de réfugié aux étrangers requérant l’asile politique. D’ailleurs, l’île ne possède pas de cadre juridique pour traiter de telles demandes, confirme-t-il. Ce qui implique un risque de refoulement de tout migrant. 

Puisque Maurice n’accepte pas les réfugiés, fuit-elle devant ses responsabilités du point de vue des droits humains, au cas où ces migrants sont en détresse ? Alain Malherbe, professionnel de l’industrie maritime, souligne que «Maurice aurait pris ses responsabilités envers ces réfugiés si ces derniers avaient évoqué le souhait de débarquer à Maurice». Or, questionnés par les autorités mauriciennes, «ces passagers clandestins ont dit qu’ils étaient en route pour La Réunion, et non pour Maurice». «Il y a une forte migration de Sri Lankais sur La Réunion et pas mal d’entre eux sont installés là-bas. La France accueille elle aussi pas mal de clandestins», observe-t-il. 

Madun Dulloo, avocat et ancien ministre des Affaires étrangères, appelle à considérer plusieurs facteurs. D’abord, il importe d’avoir tous les détails relatifs au bateau, son occupation et ses activités. «Il y a la question de sécurité de Maurice, d’où le besoin d’identifier l’origine de l’embarcation et ses accréditations. A-t-il à son bord des terroristes ou s’adonne-t-il à des activités anormales ? C’est pour cela que nos autorités locales ont pris du temps pour analyser cela. Les relations entre les pays doivent aussi être considérées», affirme-t-il. Des éléments qui doivent être confirmés et contrevérifiés car, dans le passé, des contradictions subsistaient quant au port d’origine d’un bateau, rappelle-t-il. 

Droits humains, citoyenneté… 

L’ancien ministre estime que les droits humains et la question de citoyenneté entrent en jeu lorsqu’il s’agit d’asile politique. Une préoccupation partagée par Erickson Mooneeapillay. «Les droits humains, qui sont d’ailleurs des droits universels, doivent primer. Je pense qu’on devrait prendre en charge ces personnes puis les rapatrier dans leurs pays respectifs ou les rediriger vers des États pouvant les recueillir», explique-t-il. Hélas, sous le système actuel, tout réfugié voulant demander l’asile politique peut se retrouver en détention. Ce fut d’ailleurs le cas de six Irakiens en 2009, ainsi que pour d’autres précédents (voir hors-texte). 

Techniquement, poursuit l’homme de loi, Maurice n’a pas de responsabilité légale vis-à-vis des demandeurs d’asile. Quid de l’obligation morale ? «Nous sommes signataires d’autres Conventions de droits humains, dont la Charte universelle des droits de l’homme. On oublie trop facilement que nous sommes aussi issus de familles de migrants. C’est de l’hypocrisie de refuser de prendre en charge des réfugiés en détresse alors que nous avons ratifié les accords pour les droits humains», répond le responsable de Dis-Moi Maurice. 

Par conséquent, notre État doit-il adhérer à la Convention de Genève et autoriser le traitement des demandes d’asile politique ? L’avocat recommande que cet aspect fasse l’objet d’un référendum afin d’en mesurer toutes les implications. Entretemps, il souligne que l’association Dis-Moi milite pour un tribunal de l’immigration et un centre de placement pour ces personnes non documentées, à l’exemple des réfugiés qui n’auraient pas de papiers officiels, au lieu de les traiter comme «des criminels». «Évidemment, comme tout pays qui se respecte, on pourrait faire passer le droit humain élémentaire avant toute chose. Et ce, en considérant l’asile politique ou le droit de réfugié à un être humain qui le demande», soutient Alain Malherbe. 

Quant à l’activiste Bruneau Laurette, il affirme que, hélas, le pays ratifie des conventions qu’il n’applique pas au final. Aussi, insiste-t-il, il faut revoir les choses d’une perspective humaine vu que les cas de demandeurs d’asile sont plus récurrents. «Il faut considérer les deux dimensions, soit pour se protéger des envahissements ‘des migrations illégales’ ou pour établir un cadre d’asile politique comme nous savons que le Sri Lanka et d’autres pays peuvent en faire la demande.» 

Pour cela, il plaide pour une révision de certaines clauses des conventions, surtout en lien avec les droits de l’homme. Et si les demandeurs d’asile sont en situation de détresse, Maurice doit-il prioriser leur accueil ? «Nous devons voir cela dans sa globalité, aussi bien dans le cadre juridique qu’humain. Par exemple, en établissant un contexte bien défini ou à travers des conventions que nous pouvons ratifier avec certains pays. Ainsi, si nous recevons des demandes d’asile politique de ces pays, on pourra les considérer selon ces accords. On doit éviter et éliminer tout type d’emprisonnement et d’oppression. Un demandeur d’asile est quelqu’un qui a besoin d’aide avant tout.»
 

89,3 millions de réfugiés dans le monde en 2021 
Combien de réfugiés y a-t-il à travers le monde ? Selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, plus de 89,3 millions de personnes dans le monde ont été forcées de fuir leur foyer en 2021. Ces données ont été publiées en juin 2022. Selon cet organisme, la Turquie a accueilli près de 3,8 millions de réfugiés, soit la plus importante population réfugiée au monde. La Colombie est classée comme deuxième pays d’accueil, avec plus de 1,8 million de personnes, suivie de l’Ouganda et du Pakistan, avec 1,5 million de réfugiés chacun. Enfin, on trouve l’Allemagne, avec 1,2 million de réfugiés.

 

Ces étrangers refoulés sur le sol mauricien 
Historiquement, certains étrangers ont cherché refuge dans notre île… en vain. Par exemple, en mars 2009, six Irakiens fuyant leur pays natal s’étaient munis de faux passeports pour venir à Maurice. Après leur arrivée, ils ont été placés en détention à la prison centrale de Beau-Bassin. Suivant l’intervention de la branche locale d’Amnesty International, ils ont été libérés et se sont réfugiés aux États-Unis. En 2010, une Congolaise de 20 ans, arrivée à Maurice le 27 janvier, a été déportée le lendemain. Elle avait fui la République démocratique du Congo car sa vie était en danger. Après avoir atterri à Maurice le 27 janvier, dans l’espoir d’y obtenir l’asile politique, elle a été arrêtée peu après étant donné que ses papiers n’étaient pas en règle. Arrestation également pour 17 Congolais, qui se disaient persécutés dans leur pays d’origine. Ainsi, en novembre 2018, ces derniers, qui avaient atterri à Maurice avec leur passeport en main, ont été interpellés par le Passport and Immigration Office avant leur détention et comparution en cour. En avril 2019, cette fois-ci, un Congolais faisant partie d’un groupe de 12 ressortissants de ce pays, a regagné une nouvelle terre d’accueil en Europe. Et un autre est reparti au Congo. Ces 12 réfugiés avaient été arrêtés entre 2016 et 2018, selon les médias locaux. Ils avaient alors été incarcérés à la prison de Beau-Bassin. Réclamant une protection internationale comme réfugiés politiques, les dix autres étaient en attente d’un pays d’accueil.