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Séparation des pouvoirs: quand l’Attorney General tente d’outrepasser ses droits…
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Séparation des pouvoirs: quand l’Attorney General tente d’outrepasser ses droits…
Le rapport de l’enquête judiciaire sur l’assassinat de Soopramanien Kistnen a provoqué un séisme dans la classe politique. Le lendemain de sa révélation, Maneesh Gobin a tenu une conférence de presse et, dimanche, il a émis un communiqué. Lundi, il a animé un autre point de presse. Dans le milieu judiciaire, les propos de l’Attorney General (AG) font sourciller, alors que la volonté de mainmise de l’exécutif s’affermit.
Danger constitutionnel
Après avoir qualifié la fuite de «honteuse», l’AG a émis un communiqué pointant du doigt le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) et a fait savoir qu’il aura une «consultation with the Honourable Chief Justice to address the issue whether the Judicial and Legal Services Commission ought to take such actions as appropriate (…)». Phrase que Parvez Dookhy, juriste et avocat, digère mal. Il rappelle que le rôle de l’AG est bien défini dans la Constitution. «Il est le Principal Legal Advisor du gouvernement et il fait partie de l’exécutif. La Constitution est exhaustive sur sa position, il n’y a pas d’interprétation possible.» Il n’est pas ministre de la Justice.Rajen Narsinghen avance le même point : la loi suprême du pays stipule que cette fonction peut être tenue par un membre non-élu pour une raison bien précise. «Le conseiller légal du gouvernement doit être un avocat de calibre et solide. S’il n’y en a pas parmi les membres élus, le gouvernement peut faire appel à un membre extérieur pour le conseiller. C’est ça la logique derrière ce poste.» Cela met en lumière un autre problème. «Déjà que Maneesh Gobin détienne un autre portefeuille n’est pas normal. Comment Maneesh Gobin, AG, peut conseiller Maneesh Gobin, ministre de l’Agro-Industrie ?» se demande Parvez Dookhy.
Au-delà de ces fonctions, les juristes sont d’avis que solliciter une consultation avec la cheffe du judiciaire à Maurice dépasse ses compétences et s’avère une entorse au principe de séparation des pouvoirs. «Ce communiqué n’a pas de sens car il vient lui-même affirmer qu’il va s’immiscer dans les affaires de la justice, bafouant ainsi le principe de séparation des pouvoirs», fustige Rajen Narsinghen.Le communiqué mentionne aussi la Judicial and Legal Service Commission (JLSC). «Cette instance est totalement indépendante, elle a plus d’indépendance que le Public Service Commission. L’AG ne peut en aucun cas suggérer des sanctions ou autre. En ce qui concerne le judiciaire, il ne peut que s’occuper de policy matters, par exemple, la réparation des bâtiments.»
Les problèmes d’ingérence ne s’arrêtent pas là. Le communiqué précise aussi que les interested parties peuvent demander des «appropriate remedies against the purported findings of the District Magistrate». Ce conseil à peine voilé, avance Parvez Dookhy, est vraisemblablement à l’attention de la police. «Le but est de neutraliser le rapport. S’il y a un tel recours, plus rien ne pourra être fait avec ce rapport jusqu’au jugement.» Mais même là, le problème de séparation de pouvoirs se pose. «Comment se fait-il qu’il s’ingère dans le fonctionnement de la police et il le dit publiquement ? Cette force n’est pas sujette aux conseils de l’AG», se demande Rajen Narsinghen.
La question qui se pose, depuis le communiqué, est de savoir si une personne peut demander une révision judiciaire d’un rapport d’une enquête judiciaire. Parvez Dookhy estime qu’en théorie, cette demande est possible. «Les parties peuvent demander si le magistrat a outrepassé ses compétences, ou si les conclusions ne tiennent pas la route.» Cependant, si en théorie cette possibilité existe, Rajen Narsinghen explique qu’il est peu probable que la permission soit accordée pour une telle demande. «Ce n’est pas un rapport non motivé. Tous les témoins ont été entendus, les ramifications ont été démontrées, les conclusions sont solides. Puis, il ne faut pas oublier qu’un magistrat est souverain concernant son raisonnement légal.»
S’approprier des pouvoirs de la Cour suprême
Une autre bataille, toujours sur la séparation des pouvoirs, se profile. Le Law Practitionners (Disciplinary Proceedings) Bill sera bientôt présenté à l’Assemblée nationale. Cette loi donnera à l’AG le pouvoir de sanctionner tous les avocats : ceux du privé, du parquet et du bureau du DPP. «Après avoir voulu créer un DPP parallèle, désormais, le gouvernement veut créer un bâtonnier (président du Bar Council) parallèle», avance Parvez Dookhy. Selon lui, cette loi est très dangereuse car les avocats sont souvent appelés à défendre leurs clients contre l’administration ou l’État. «Or, un avocat ne peut pas avoir peur. Là, l’État a le droit de sanctionner.» Il rappelle que l’AG est membre de l’exécutif et ne peut pas avoir le droit de sanctionner le judiciaire et selon lui, cela vise plus particulièrement les avocats du bureau du DPP. «Lorsqu’on se souvient de la chronologie des choses, cela s’inscrit dans la même lignée.»
Le pouvoir de sanctionner les hommes de loi réside dans le Bar Council et la Cour suprême, rappelle Rajen Narsinghen. «Les sanctions légères sont données par le Bar Council. Pour les fautes graves, c’est la Cour suprême qui juge en siégeant comme une Disciplinary Court.» De ce fait, s’octroyer le pouvoir de sanctionner les avocats est un cas flagrant d’appropriation des pouvoirs de la plus haute instance judiciaire de Maurice.
Ce que dit la loi
Les enquêtes judiciaires puisent leur légitimité dans la District and Intermediate Courts (Criminal Jurisdiction) Act. Cette loi octroie au DPP le pouvoir de demander à un magistrat de procéder à une enquête dans le cas d’un suicide, mort suspecte ou décès en prison, un cas «where the death of a person may have been due to unnatural causes», entres autres. Le magistrat peut convoquer des témoins, infliger des amendes en cas de non-présence et doit soumettre un rapport au DPP. À noter que la loi ne dit pas que ce rapport doit être confidentiel, ou que sa diffusion constitue un délit.
La tentative avortée de l’exécutif pour contrôler le judiciaire en 2016
<p>Avoir un œil sur le pouvoir judiciaire semble être depuis longtemps une préoccupation du gouvernement. C’est en 2015 que le gouvernement annonce le projet de loi pour la création d’une <em>Prosecution Commission</em>. Il vise à rendre le DPP <em>«accountable»</em> de ses décisions de recommander à la justice d’abandonner des poursuites pénales ou de les maintenir, ou encore de ses décisions d’instituer ou non des poursuites pénales. Si le DPP ne porte pas l’affaire en cour de justice, il aura à répondre à une instance supérieure, lui imposant de revoir ses décisions.</p>
<p>Le 27 février 2016, le Conseil des ministres arrive avec la <em>Prosecution Commission</em>, dont l’objectif est de placer le bureau du DPP sous la tutelle du bureau de l’<em>Attorney General</em>. Cette décision, qui est grandement contestée par le DPP, est alors contestée en cour. Dans sa plainte, le DPP, Mᵉ Satyajit Boolell, explique clairement que c’est un «improper motive» du gouvernement. Selon lui, cette Prosecution Commission a pour but de diluer les pouvoirs du DPP et de le rendre redevable envers l’exécutif, ce qui <em>«affectera son indépendance».</em></p>
<p>Dans cette action engagée par Mᵉ Satyajit Boolell en Cour suprême, il explique que la décision du Conseil des ministres de placer son bureau sous la tutelle de l’<em>Attorney General </em>serait contraire à l’article 72 (6) de la Constitution. Ledit article impose au DPP le devoir d’empêcher une quelconque institution d’avoir le contrôle de son bureau. De ce fait, le DPP argumente que la décision du Conseil des ministres est<em> «anticonstitutionnelle».</em></p>
<p>Les hommes de loi du DPP ont aussi fait ressortir que cette démarche du gouvernement «n’est pas tout à fait innocente». Certains de ses membres ont fait comprendre que la création d’une<em> Prosecution Commission</em> est en partie motivée par les charges provisoires rayées contre Navin Ramgoolam. Mᵉ Boolell estime que les pouvoirs qu’il détient, selon l’article 72 de la Constitution, sont remis en question avec une telle commission.</p>
<p>Cette décision a fait l’objet d’une <em>Private Notice Question</em> le 14 décembre 2016, où le leader du Mouvement militant mauricien, Paul Bérenger, a attiré l’attention du Premier ministre sur le fait que «<em>ce gouvernement n’a aucun mandat pour amender la section 72 de la Constitution par rapport aux pouvoirs du DPP».</em> Paul Bérenger lui a aussi rappelé que toutes les décisions du DPP sont sujettes à des Judicial Reviews, et que la démarche du gouvernement est «<em>inacceptable»</em>. Ce projet de loi avait également conduit le PMSD à démissionner du gouvernement, toujours en décembre 2016.</p>
<p>Ainsi, les maintes tentatives du gouvernement, perçues comme une violation du principe de séparation des pouvoirs, ont été vaines.</p>
<p><strong>Rapport d’enquête judiciaire sur Kistnen. Une rencontre avec la cheffe juge attendue</strong></p>
<p>La cheffe juge, Rehana Mungly Gulbul, qui rentre au pays ce week-end, après avoir été élevée au rang de Bencher de la Honourable Society of the Middle Temple mardi, aura du pain sur la planche dès son arrivée. Maneesh Gobin a exprimé le souhait de la rencontrer relativement à la publication dans la presse d’extraits du rapport de l’enquête judiciaire sur la mort suspecte de l’agent du Mouvement socialiste militant Soopramanien Kistnen, d’autant plus qu’elle est aussi la présidente de la JLSC et que c’est un document de cour qui est en circulation.</p>
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<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="342" src="/sites/lexpress/files/images/cheffe.jpg" width="584" />
<figcaption>La cheffe juge devient la première femme mauricienne Bencher de la Honourable Society of Middle Temple</figcaption>
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<p>Cette rencontre pourrait être lourde de sens car l’<em>Attorney General</em>, qui fait partie de l’exécutif, semble vouloir interférer avec le pouvoir judiciaire. La cheffe juge devra déterminer si la JLSC pourrait prendre les actions qui s’imposent au cas où il y aurait eu un manquement à l’éthique et une faute professionnelle d’un officiel quelconque.</p>
<p>C’est au cours d’une cérémonie grandiose que la cheffe juge a été élevée au rang de Bencher mardi, sous les yeux de son époux, Mᵉ Raouf Gulbul, et de leurs deux enfants. Des membres importants du système judiciaire du Royaume-Uni étaient présents pour honorer les nouveaux Benchers. Les <em>Masters of the Bench</em> ou<em> Benchers </em>sont responsables de la gouvernance de l’Inn de Middle Temple.</p>
<p><strong>Law practitioners Disciplinary Proceedings Bill :le projet de loi sous le feu des critiques des juristes</strong></p>
<p>Le<em> Law Practitioners Disciplinary Proceedings Bill</em> n’est pas très bien accueilli parmi les juristes. Avec la mise sur pied d’un tribunal, ce projet de loi vise l’instauration de nouvelles dispositions pour l’institution et la conduite de procédures disciplinaires à l’encontre des praticiens du droit, ainsi que concernant le pouvoir octroyé à l’<em>Attorney General </em>(AG) de prendre des actions contre des avocats, avoués et notaires.</p>
<p>Le projet de loi stipule que toute personne lésée par un acte accompli par un avocat, dans l’exercice de sa profession, peut porter plainte auprès de l’AG, du<em> Bar Council</em>, de la Chambre de notaires et de la <em>Mauritius Law Society</em>. La JLSC enquêtera sur tout avocat ou avoué du bureau du DPP ou tout<em> State Counsel.</em></p>
<p><strong> Le rôle de l’AG en tant qu’investigateur</strong></p>
<p>Ainsi, en ayant le pouvoir d’ouvrir une enquête contre tout homme de loi dans le privé, l’AG communiquera à ce dernier la nature de la plainte portée contre lui, avant de le convoquer. Si la thèse de «<em>serious misconduct</em>» est établie, l’homme de loi pourrait faire l’objet d’un comité disciplinaire devant un L<em>aw Practitioners Tribunal</em>. Ce tribunal sera présidé par un juge ou un juge à la retraite, qui sera nommé par le chef juge, après consultation avec l’AG et le juge, assisté d’un homme de loi.</p>
<p>Sollicité par <em>l’express,</em> le <em>Senior Counsel </em>Mᵉ Sanjay Bhuckory se dit très suspicieux de ce projet de loi et de son timing, au vu du récent communiqué de l’AG, qui, avance-t-il, démontre une certaine propension à museler le barreau libre et indépendant. Quant à la composition du tribunal mise en avant par ce projet de loi, il est d’avis qu’il faut à tout prix éviter de nommer un ex-juge comme président. Il y a un risque réel que ce dernier soit à la solde de l’exécutif. <em>«Il faut que ce soit un juge en poste, comme c’est le cas en Angleterre. Quant aux membres du tribunal, il faut impérativement qu’ils soient tous choisis après consultation du Bar Council et des Senior Counsels car, qui mieux que nous savons qui, parmi nous, sont vraiment impartiaux et aptes à juger nos pairs.</em>»</p>
<p>Son confrère Me Jim Seetaram estime que le bill est présenté en guise de «gagging order» qui sera émis pour museler les membres du barreau. <em>«Notre liberté d’expression sera en jeu étant donné qu’on ne pourra pas, de par cette loi, donner un avis légal impartial ou exprimer notre opinion. Nous serons under scrutiny. Avec le timing qui coïncide avec le communiqué de Maneesh Gobin dans l’affaire Kistnen, on se demande si l’introduction de ce projet de loi n’a pas été planifiée. On sent le parfum de la vengeance.»</em> C’est un pouvoir accru donné à l’AG. Si la sanction disciplinaire implique également une suspension de l’homme de loi, une amende, une réprimande ou une compensation monétaire, Jim Seetaram soutient que l’avocat sera traité comme un criminel dans un procès.</p>
<p>Mᵉ Pazhany Rangasamy, lui, a déclaré : «<em>Je ne suis pas d’accord pour la simple raison que nous sommes des membres enregistrés de la Mauritius Law Society, et qu’elle a la compétence inhérente de suspendre un avoué ou de renvoyer son cas au chef juge pour des mesures disciplinaires. Il peut être radié de la liste des avoués ou suspendu temporairement en tant qu’avoué. Les nouveaux pouvoirs conférés à l’AG seront anticonstitutionnels. Il nous sera difficile de pratiquer sans crainte. Nous serons à la merci du gouvernement au pouvoir.» </em></p>
<p>Au niveau de la Chambre des notaires, Me Nicolas Boullé confie qu’une réunion a eu lieu hier après-midi à ce sujet. Le Bar Council se réunira demain pour un exercice de consultation entre Mᵉ Yatin Varma et ses membres, Mayuri Bunwaree-Ramlackhan, Hisham Oozeer, Avinesh Dayal, Tawheen Choomka et Bishan Ramdenee.</p>
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