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Centrale thermique à gaz: un bras de fer qui risque de coûter cher aux consommateurs
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Centrale thermique à gaz: un bras de fer qui risque de coûter cher aux consommateurs
Lancé par Ivan Collendavelloo mais mis de côté par le ministère des Finances en 2018, le projet de production d’électricité en utilisant le gaz liquéfié refait surface. Mais le retard accumulé risque de faire monter la facture pour sa mise en place.
Le gaz comme combustible pour produire de l’électricité revient sur le tapis. Une première tentative chapeautée par l’ancien ministre de l’Énergie, Ivan Collendavelloo, a été sabordée en 2018 par le ministère des Finances. Le projet est présenté cette fois-ci par son successeur, Joe Lesjongard. Le Conseil des ministres a soutenu le dossier de ce ministre présenté vendredi. Il s’agit de la construction d’une Liquid Natural Gas (LNG) Thermal Power Plant sur un terrain identifié dans la région portuaire, tandis qu’un comité se penchera sur plusieurs aspects du projet. Ses membres auront à identifier les fournisseurs du Liquid Natural Gas, la méthode pour le transfert du gaz sur la terre ferme et la construction de cette centrale.
Pour le projet lancé sous Ivan Collendavelloo, il s’agissait d’une Combined cycle gas turbine nécessitant un investissement entre Rs 6 milliards et Rs 8 milliards. D’après un expert, il s’agit du même projet car une centrale thermique au «single cycle» (sans un cycle combiné) n’en vaut pas la peine. Avec une Combinend cycle gas turbine, la chaleur produite par les deux turbines à gaz transformera l’eau en vapeur pour faire fonctionner une troisième turbine. Il est plus économique pour produire 120 MW. L’annonce du Conseil de ministre surprend plus d’un. D’abord, le Central Electricity Board (CEB) avait lancé un «request for information» pour la production d’électricité en utlisant le LNG à partir d’une centrale thermique montée sur une barge, en mai.
Quelques mois plus tard, le ministère propose un projet à terre. Le député de l’opposition, Osman Mahomed, a suivi ce dossier. «Le ministère de l’Énergie change son fusil d’épaule cinq mois après. Le CEB doit rendre son rapport après cet exercice de request for information. Est-ce qu’il n’y a eu aucun intérêt pour la construction d’une centrale sur barge ? En tout cas, nous constatons que le ministre de l’Énergie n’est pas constant dans son approche, que ce soit pour la gestion de l’eau ou de l’électricité. Il a fallu cinq mois pour un changement de stratégie. Je me demande si ce nouveau projet n’est pas un effet d’annonce comme tant d’autres», dit-il.
Pour sa part, un ancien président du conseil d’administration du CEB affirme que dès le départ, il savait que la production d’électricité sur barge n’était pas économiquement viable. «Il faut un gros investissement pour ce type de centrale thermique avec beaucoup d’inconvénients.»
Par ailleurs, Osman Mahomed rappelle que le gouvernement n’a jamais rendu public le rapport complet fait par la firme Potten and Partners sur l’utilisation du LNG. Ce rapport, dit-il, a coûté Rs 60 millions. L’ancien ministre Ivan Collendavelloo avait expliqué au Parlement pour quelle raison le rapport n’allait pas être rendu public, mais il avait déposé le résumé à la bibliothèque de l’Assemblée nationale en 2019. La firme consultante avait recommandé de ne pas aller de l’avant avec le LNG car le pays risquait de se retrouver en difficulté pour l’approvisionnement de ce combustible en raison de la faible consommation de ce gaz à Maurice. Il était estimé qu’en 2023, le pays aurait besoin de 152 kilotonnes de LNG par an et un maximum de 365 kilotonnes.
Pour en revenir au projet de la LNG Thermal Power Plant, un expert en énergie travaillant avec des firmes privées explique que le CEB n’a d’autre choix que de se tourner vers le LNG, mais il regrette que ce projet ait pris du retard. D’après ses renseignements, des ingénieurs du CEB étaient arrivés à la conclusion que le pays ne pourra pas uniquement compter sur l’énergie éolienne et solaire pour satisfaire la consommation locale en raison de la «production irrégulière» de ce type d’énergie. «Il leur faut du baseload, c’est-à-dire, de l’électricité à portée de main, pour satisfaire la demande quand elle est grande. C’est difficile d’intervenir rapidement avec l’énergie verte quand il y a une grosse demande. Il n’y a qu’avec l’énergie fossile que nous pouvons le faire à Maurice. Le LNG est le moins polluant comparé au charbon ou l’huile lourde.» Concernant la crainte émise dans le rapport Potten and Partners, il affirme qu’il faudra engager un petit méthanier pour acheminer le LNG à Maurice, mais il exprime quand même des craintes en raison de la concurrence mondiale (voir plus loin).
De plus, l’expert en énergie indique que le CEB ne peut plus compter sur ses turbines âgées de plus de 25 ans qui arrivent à la fin de leur cycle de vie. La centrale de Fort-George a cinq moteurs avec une capacité totale de 135 MW. L’un des moteurs est pratiquement hors service, avec des fissures notées à sa base de soutènement. Deux autres moteurs sont âgés de plus de 35 ans. De plus, le CEB risque de se retrouver avec un déficit de 180 MW avec la fin de contrat avec les producteurs indépendants d’ici l’année prochaine et l’arrêt de l’utilisation du charbon. «Il n’a pas le choix. Cette nouvelle centrale pourra lui fournir 120 MW d’électricité.»
Toutefois, le CEB et, par ricochet, les consommateurs risquent de le payer cher en raison du bras de fer entre le ministère des Finances et Ivan Collendaveloo. Le CEB voulait emprunter Rs 1,2 milliard pour la première phase de la Combinend cycle gas turbine en 2018. Le secrétaire financier, Dev Manraj, avait émis une circulaire pratiquement au même moment, soit en décembre 2018, exigeant des corps parapublics de chercher l’aval du ministère des Finances avant d’emprunter.
Le Central Procurement Board avait même choisi une société pour réaliser ce projet, mais il attendait que le CEB démontrât qu’il avait les fonds nécessaires pour aller de l’avant avec ce projet pour divulguer le nom de la firme choisie. Les lettres de la direction du CEB envoyées au ministère des Finances étaient restées sans réponse. Il semblerait que ce fût un ancien homme fort du bureau du Premier ministre qui avait fait pencher la balance en faveur du secrétaire financier.
D’après de nouvelles estimations, apprend-on, le coût du projet, c’est-à-dire rien que les turbines et les infrastructures, serait estimé entre Rs 8 milliards et Rs 10 milliards. «Le prix du LPG a pris l’ascenseur depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine. De plus, il est difficile d’en trouver sur le marché car des pays européens ont signé de gros contrats avec de nouveaux fournisseurs comme le Qatar et l’Australie. Il est vrai qu’il pourrait y avoir une baisse du prix du LPG si le climat géopolitique est favorable, mais Maurice sera dans l’obligation de signer un contrat de 15 à 20 ans, comme les autres pays l’ont fait», déclare l’expert en énergie. De plus, l’électricité produite par LNG coûte Rs 10 kilowatt/heure, sans compter les autres frais.
Par ailleurs, d’aucuns se posent la question. Comment le CEB financera-t-il ce projet ? Il avait une réserve de Rs 7 milliards quand la construction d’une centrale thermique LNG avait été évoquée une première fois. Cependant, il a été découvert au cours de cette année que le CEB a un déficit de Rs 3 milliards. En somme, déclare l’expert en énergie, s’il n’y avait pas ce bras de fer entre Ivan Collendavelloo et le ministère des Finances, ce projet aurait atteint un stade avancé.
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