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Daniel Guimaraes: «La crise sanitaire a impacté la confiance des jeunes dans le métier de l’hôtellerie»
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Daniel Guimaraes: «La crise sanitaire a impacté la confiance des jeunes dans le métier de l’hôtellerie»
Le directeur des opérations océan Indien du «Club Med» estime que ce serait une rhétorique inutile de mettre Maurice, les Seychelles et les Maldives sur la même échelle de valeurs et insiste sur la façon dont cette crise a démontré que l’industrie touristique n’est pas à l’abri des secousses géopolitiques, sanitaires et économiques. Quant au recours à la main-d’oeuvre étrangère dans cette industrie, Daniel Guimaraes rappelle que le «Club Med» a toujours favorisé une politique de mixité internationale et une mobilité de la main-d’oeuvre à travers ses établissements dans le monde. Il annonce l’ouverture prochaine d’une école de formation.
Depuis la réouverture des frontières le 1er octobre 2021, la reprise du tourisme s’est enclenchée à Maurice avec, toutefois, des arrivées en dents de scie. Entre-temps, les autorités ont fixé l’objectif d’un million de touristes d’ici la fin de l’année. Quel est votre regard sur cette reprise ? Estimez-vous que cet objectif est réalisable, compte tenu de la conjoncture économique internationale qui est toujours fragile ?
Nous avons remarqué qu’à l’île Maurice comme sur les autres destinations que, dès que le voyage devient possible, les gens viennent en vacances. Même si nous n’avons pas encore totalement atteint le niveau de 2019 (pré-Covid) ; la reprise est forte sur nos marchés européens, la France n’est qu’à -5 % du pré-Covid et le remplissage de nos resorts pour la période des vacances de la Toussaint est de 90 %.
La clientèle d’Afrique du Sud n’est pas encore tout à fait de retour compte tenu du retard de l’ouverture des frontières en raison des conditions sanitaires. Le marché chinois demeure fortement contraint par les restrictions de voyage. Les bookings de dernière minute progressent et sont une opportunité pour amplifier les tendances positives actuelles. Nous sommes confiants en la reprise car nous avons le produit qui correspond aux attentes des clients qui sont en quête de vacances «esprit libre». 53 % de nos clients sont de nouveaux clients.
En ce qui concerne l’objectif d’un million de touristes fixé par le ministère du Tourisme, j’estime qu’il sera largement atteint. L’île Maurice a tous les atouts pour réussir. Cela s’explique également par une meilleure desserte aérienne de Maurice en cette fin d’année, surtout en provenance d’Europe et d’Asie.
Nos opérateurs, comme des spécialistes de ce secteur, aiment se référer aux deux principaux compétiteurs de Maurice, soit les Maldives et les Seychelles, par rapport à la reprise touristique. Or, les statistiques montrent que ces deux destinations, qui ont ouvert leurs frontières bien avant Maurice, sont sur le point de réaliser leur performance pré-Covid. Comment analysez-vous cette situation. Est-ce que cette comparaison tient toujours vu la spécificité de chaque destination ?
Certes, les Seychelles et les Maldives ont rouvert leurs frontières avant et sont en avance, mais chaque pays profitera de la reprise car l’envie de voyager est plus forte que jamais. La reprise pour Maurice se fait de façon satisfaisante comme je vous l’ai mentionné plus tôt. Les destinations sont différentes en termes de clientèle, d’expériences proposées, mais elles se complémentent. Ces trois destinations sont aussi différentes, notamment à l’égard du coût du transport aérien et de l’hébergement, avec une desserte sur le long courrier totalement ouverte à la concurrence n’ayant pas un service de leur compagnie nationale, dans les types de marchés à l’instar des Maldives qui s’appuient bien plus sur une clientèle asiatique que Maurice et les Seychelles. Ce serait une rhétorique inutile de mettre ces trois destinations sur la même échelle de valeur en matière d’industrie hôtelière.
Concrètement, comment le «Club Med» s’est organisé pour répondre à cette reprise tant sur le plan opérationnel que sur celui de l’organisation du personnel ?
Depuis l’été 2020, le Club Med a réagi de façon rapide pour adapter son offre en termes de flexibilité commerciale et de sécurité sanitaire, avant et pendant le séjour. Dans tous les resorts opérés par le Club Med, un large choix d’activités a été repensé ainsi que l’offre de restauration. Les mesures sanitaires en place ont été renforcées et communiquées de façon compréhensible auprès des clients. Ce protocole strict, baptisé «Ensemble en Sécurité», a permis la mise en place et le respect de nouvelles règles sanitaires sans pour autant nuire à l’expérience client. Nous avons aussi profité de la fermeture de nos établissements pour effectuer des travaux de rénovation et ainsi maintenir nos infrastructures dans les meilleures conditions.
Sur le plan des ressources humaines, nous avons tiré profit de ces arrêts forcés pour maintenir notre personnel à un haut niveau de compétences. Durant la période de fermeture de nos resorts à Maurice, nous avons mis en place des formations autour de plusieurs thèmes. Tout d’abord, la formation à la sécurité, celle autour de la relation client afin de renforcer le service tout en favorisant le développement des compétences de nos différents métiers et ensuite une formation Éco-Gestes à nos employés pour qu’ils puissent évoluer dans la sobriété énergétique.
On a aussi poursuivi nos actions liées à la non-utilisation du plastique dans nos opérations. Nous ne nous arrêtons pas là pour autant car nous travaillons actuellement sur la deuxième phase de ce vaste programme de formation. Afin de former de nouveaux talents, nous allons bientôt mettre en place une école de formation Club Med à Maurice, basée sur des principes du On the Job Training, en partenariat avec le ministère du Tourisme. Nous voulons également renforcer notre posture haut de gamme tout en proposant des formations Exclusive Collection pour développer l’exigence du service et faire de chaque employé un designer d’expérience client.
En parlant des ressources humaines, vous n’êtes pas sans savoir que le secteur a perdu en une année, de mars 2020 à mars 2021, plus de 4 000 personnes dans le sillage du Covid et se retrouve aujourd’hui confronté à un manque de bras pour soutenir sa croissance. Cela à tel point que les opérateurs ont décidé d’avoir recours à la main-d’oeuvre étrangère. Comment expliquezvous que les jeunes aujourd’hui ne souhaitent plus faire carrière dans ce secteur ? Est-ce que le recours à la main-d’oeuvre étrangère est la seule solution pour suppléer à ce manque d’effectifs ?
Il faut l’admettre, la crise sanitaire a impacté la confiance des jeunes dans le métier de l’hôtellerie. Il s’agit d’un phénomène mondial, pas uniquement propre à Maurice. Cette crise nous a démontré, si besoin était, que notre industrie est très sensible à toutes les secousses géopolitiques, sanitaires et économiques. Mais il faut éviter de se laisser envahir par un sentiment de désabusement. Il faudra vite mener des campagnes pour démontrer à quel point notre métier est exaltant mais surtout noble. Dans un contexte social où le nombre de demandeurs d’emploi augmente, il faut vite rassurer les jeunes de prendre goût à des carrières dans notre secteur d’activité. Le savoir-faire ainsi que la personnalité des Mauriciens sont connus sur le plan international.
Il y a également leur adaptation à plusieurs types de clientèles, leur souci du travail bien fait, leur dextérité, leur application au service, leur spontanéité, leur côté humain ainsi que la quête perpétuelle de vouloir toujours progresser dans leur métier. Autant d’atouts qui nous encouragent à chercher ces jeunes talents et à leur offrir une carrière.
D’ailleurs, le Club Med le fait quotidiennement avec ses campagnes continues de recrutement et de formation. Je prends pour exemple notre récente campagne dans les centres commerciaux du pays, où nous sommes allés vers les jeunes pour leur présenter la palette de métiers dans le tourisme et les opportunités que nous offrons. Il est loin le temps où les jeunes frappaient aux portes de nos hôtels pour rechercher un emploi. Aujourd’hui, il faut effectuer la démarche inverse, c’est-à-dire aller vers eux et les convaincre que nous faisons l’un des plus beaux métiers. Travailler au Club Med permet de booster ses compétences en s’adaptant à tous les métiers, à apprendre sur le terrain, à acquérir des expertises et à améliorer son employabilité. C’est aussi une occasion de s’étonner, se dépasser, voire se surpasser pour devenir un leader, en étant audacieux et en inspirant les autres. Dans la vie de tous les jours, c’est la convivialité, l’esprit d’équipe, l’ouverture d’esprit et la possibilité de tisser des liens.
Plusieurs voix se sont élevées ces dernières semaines face à la démarche de l’industrie touristique de privilégier l’emploi des travailleurs étrangers, arguant que la traditionnelle hospitalité mauricienne, qui a fait la force et le succès de cette industrie, ne peut être incarnée par des Bangladais, des Indiens ou d’autres nationalités étrangères de la région. Que répondez- vous à cette problématique ?
Dès son arrivée à Maurice en 1973, le Club Med a été le précurseur en la matière et avait proposé des postes à tous les niveaux pour un travail à l’international. Nous avons toujours favorisé une politique de mixité internationale et une mobilité de la maind’oeuvre à travers nos nombreux resorts dans le monde. Aujourd’hui, le Club Med emploie plus de 300 Mauriciens dans plusieurs de ses resorts à travers le monde, plus d’une centaine en France dont plus de 20 % sont des chefs de service. Cet échange à l’international est une formation en soi et permet aux Mauriciens d’acquérir une expérience inédite. Offrir sa différence et accueillir celle des autres est une des valeurs fondamentales au Club Med. Nous sommes près de 25 000 employés à travers le monde ; nous regroupons plus de 100 nationalités, et parlons plus de 30 langues. Nous mettons en valeur les contributions culturelles des membres des équipes et des clients, car elles sont les sources d’un épanouissement personnel et d’une meilleure capacité à vivre ensemble.
Comment votre établissement est-il en train de gérer cette pénurie aiguë de main-d’oeuvre dans ce secteur et quid de votre stratégie de formation ?
Travailler au Club Med permet d’améliorer ses compétences, d’avoir des opportunités de développement. Nous ne proposons pas que du travail, nous offrons une life-changing experience. Au Club Med à Maurice, comme je vous l’ai dit plus tôt, nous allons bientôt ouvrir une École de formation pour les métiers de l’hôtellerie, une institution pour développer les compétences mauriciennes, augmenter l’employabilité de la population et développer une stratégie pour mettre en valeur le savoir-faire mauricien. Cette école sera aussi ouverte aux personnes extérieures au Club Med, pour qu’elles puissent y acquérir une formation qui permettra d’ouvrir les portes d’une carrière soit au sein d’un de nos resorts ou ailleurs. Nous nous sommes fixé cette mission pour mieux servir cette industrie à Maurice à un moment où tous les efforts doivent être déployés. Le Club Med souhaite ainsi développer un partenariat avec les autorités compétentes en matière de formation hôtelière pour parfaire cette stratégie et sa mise en oeuvre.
Comment se porte le «Club Med» aujourd’hui, à Maurice et ailleurs dans le monde ?
Le Club Med est le leader mondial des séjours de vacances haut de gamme tout compris et expérientielles pour les familles et les couples actifs. Au 1er semestre 2022, notre groupe a vu son volume d’affaires augmenter de plus de 300 % comparé au 1er semestre 2021, où les stations de ski étaient fermées en France, et où le voyage à l’international était largement restreint. Au total, le Club Med enregistre un volume d’affaires de 811 millions d’euros au 1er semestre 2022, inférieur de seulement 10 % à celui de la même période en 2019. Le rebond du Club Med témoigne de la pertinence de sa stratégie gagnante, désormais basée sur quatre piliers : le haut de gamme avec l’esprit Club Med qui se traduit par un parc composé de 95 % de Resorts premium et Exclusive Collection ; Glocal, qui combine une approche globale avec un focus local en termes de marchés, de produits et de destinations ; Happy Digital pour continuer la transformation numérique pour améliorer l’expérience client et celle des collaborateurs dans les resorts et bureaux ; et enfin Happy to Care, qui vise à prendre soin de l’environnement et des communautés, avec la mise en place de nombreuses mesures en faveur d’un tourisme responsable.
Par ailleurs, depuis 2019, les deux villages de l’île Maurice, La Pointe-aux-Canonniers et La Plantation d’Albion, se sont engagés dans une démarche partenariale avec Agrisud International. L’objectif est de mettre en place des chaînes d’approvisionnement locales socioécoresponsables. Parmi nos nouveaux partenaires, il y a le groupe de planteurs Magic Earth Mixed Farming au sein duquel Christopher et sa femme Aurélie, agriculteurs à Baie-du-Tombeau, nous fournissent chaque semaine fruits et légumes variés qui alimentent une partie de nos buffets et qui régalent nos clients à la Pointe-aux-Canonniers.
Pour le moment, vous êtes présent à Albion et à Pointe-aux-Canonniers. Envisagez-vous d’autres projets d’investissement en termes de rénovation ou d’expansion. Quel est le montant d’investissements injecté à ce jour dans les opérations mauriciennes ?
Depuis son installation à Maurice dans les années soixante-dix, l’île Maurice a toujours été une pièce importante dans le dispositif mondial du Club Med et cette destination demeure toujours aussi stratégique aujourd’hui. Nous avons toujours amélioré le resort à la Pointe-aux-Canonniers à travers les années et ce Village nous a permis d’ouvrir le premier resort de la gamme Exclusive Collection à Albion. Durant tout ce parcours, nous avons travaillé étroitement avec les autorités et nos partenaires pour valoriser l’île Maurice sur la carte mondiale du Club Med.
Si on revient sur la situation actuelle, malgré la crise Covid et le contexte économique précaire, le Club Med a continué à investir dans cette destination historique et stratégique avec des budgets importants pour la période 2020-2025. L’investissement au resort d’Albion s’élève à un peu plus de Rs 300 millions. D’ailleurs, nous comptons bientôt inviter tous nos partenaires à un autre événement de réouverture et leur faire découvrir les améliorations apportées à ce produit de luxe ainsi que les nouvelles facilités installées. Au Club Med La Pointe-aux-Canonniers, l’investissement a été de l’ordre de Rs 170 millions en sus du budget important alloué lors de la rénovation complète en 2018. L’amélioration et le développement de nos produits sont une politique continue suivant la demande de notre clientèle et les nécessités du service.
Le développement de nouveaux projets hôteliers se heurte depuis quelques années aux pressions des militants écologistes qui rappellent l’urgence de trouver un équilibre pour préserver l’écosystème environnemental. Comment vous y trouvez-vous face à ces urgences environnementales ?
Depuis sa création, le Club Med s’appuie sur des valeurs et des pratiques respectueuses de l’environnement et des personnes qui nous accueillent. Comme je l’ai déjà mentionné, Happy to Care est l’un des quatre piliers de la stratégie Club Med. Nous sommes présents sur des lieux de rêve et sommes conscients de leur fragilité. Nous veillons à ce que nos resorts s’intègrent dans le paysage et fassent partie d’un patrimoine naturel exceptionnel et préservé. Nous proposons des séjours «certifiés durables» grâce à l’écocertification de la construction et de l’exploitation de nos resorts. Dans nos objectifs, nous visons une certification de 100 % des resorts avec Green Globe en 2022.
À l’heure actuelle, près de 90 % des resorts sont certifiés. Nous avons pris des engagements concrets et proactifs, en éliminant l’ensemble des produits en plastique à usage unique, en réduisant le gaspillage alimentaire et en mettant en avant le bien-être des animaux. Le Club Med propose de plus en plus d’activités pour découvrir la nature à l’état pur, go green et nous augmentons nos achats locaux avec le programme Green Farmers. Ainsi, nous avons lancé depuis quelques années le projet social Agrisud au travers de la Fondation Club Med. Ce projet vise à soutenir des producteurs et exploitants agricoles respectant l’environnement. Nous voyons déjà les fruits de cette démarche à Maurice où plusieurs agriculteurs avec des pratiques soutenables fournissent leurs produits à nos deux resorts.
Par ailleurs, la plus grande inquiétude pour le Club Med actuellement est la situation inquiétante de l’érosion de la plage à Albion. Sur l’ensemble des points mesurés, la perte se situe sur une fourchette entre 40 cm et 3,80 m en l’espace de six ans (surface de plage entre les bâtiments des suites et le début de falaise ou talus). Le phénomène d’érosion de la plage publique d’Albion, située en dehors du Club Med, s’est aussi fortement aggravé. Pour notre part, nous finançons des études par des experts pour déterminer l’impact à long terme de ce phénomène. Mais sans une action commune entre les autorités et le Club Med, la plage risque fortement de disparaître d’ici quelques années.
Vous avez également la responsabilité du «Club Med Seychelles». Comment les opérations seychelloises se portent 18 mois après l’ouverture ? Estimez-vous que le produit touristique seychellois est comparable à celui de Maurice ?
Compte tenu des circonstances dans lesquels notre resort Exclusive Collection aux Seychelles a été ouvert, nous ne pouvons qu’être satisfaits du chemin parcouru. La crise sanitaire a malheureusement retardé ce vaste projet mais avec le soutien des pouvoirs publics et de nos partenaires, nous avons pu franchir de nombreux obstacles. Le taux d’occupation moyen depuis l’ouverture est de 69 %. Sur 2021-2022, les nouveaux clients représentent 51 % de notre clientèle.
Cela dit, les spécificités des Seychelles sont bien différentes de celle de Maurice. La question de la main-d’oeuvre, les coûts des opérations et les dispositions administratives sont autant de défis pour nous. Mais je peux dire que nous les relevons avec efficacité grâce à notre savoir-faire mondial, grâce à nos relations plus que cordiales avec les autorités publiques qui nous ont soutenus depuis le début du projet et qui continuent à le faire encore aujourd’hui. C’est aussi une évidence que la réouverture des frontières aux Seychelles dès mars 2021 a fortement contribué à donner une grande impulsion au démarrage de nos opérations. Je dois aussi souligner que l’apport de nos employés mauriciens a énormément compté pour l’ouverture de ce resort.
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