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Société: comment reconnaître un chatwa
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Société: comment reconnaître un chatwa
Sa langue présente des traces de bottes ou de souliers vernis, qu’il lèche avec plus de conviction et d’assiduité que Mia Khalifa face à une stalactite bien en chair dans les films pour adultes. Quand il est énervé, on peut apercevoir un peu de venin à la commissure de ses lèvres tremblantes de rage frustrée. Caché derrière un faux profil, il s’exprime souvent dans un patois plus difficile à déchiffrer que l’ordonnance d’un médecin sous ecstasy.
Tapi derrière une touffe tel un prédateur à l’affût d’une biche dans la savane, il tisse sa toile sur le Web. Souvent «faceless», il hésite à montrer son vrai visage, pâle ou foncé. Sa photo de profil sur les réseaux sociaux ? Un acteur avec qui il n’a de ressemblance que le gros orteil à l’ongle mycosé. Ou alors une voiture de sport que ce roder bout espère avoir un jour peut-être, s’il fait bien son boulot ingrat. Le nom de ce serpent qui change d’avis, d’opinion, de camp, de costume aussi souvent qu’un caméléon change de couleur : le chatwa. Comment reconnaître cette vipère, qui représente un danger pour la faune pensante endémique ?
D’abord, d’où vient ce mot qui fait aussi souvent le va-et-vient dans les conversations que les opposants au pouvoir aux Casernes centrales ? Selon l’historien Jocelyn Chan Low, le chatwa est le descendant direct du roder bout. «Avant, dans les années ‘70, il y avait des agents qui étaient payés pour le travail qu’ils faisaient. Et puis, il y avait les vrais militants, ceux qui se battaient avec conviction pour une idéologie. Aujourd’hui, ce sont les money politics qui font la loi. Sakenn protez so montagn. Le chatwaisme et la corruption font bon ménage.»
Pas très futé, selon d’autres experts, les arguments «petits poids» du chatwa-chaînon-manquant consistent à dénigrer les personnes, le physique, l’appartenance ethnique, la race, le statut social, entre autres. Son revolver verbal fétiche : les préjugés aussi vieux que le fusil moyenâgeux retrouvé chez Bruneau Laurette. Les mots qu’il mitraille, l’Homo Chatwaus Sans Cervelus les maîtrise mal ; ses écrits sur Facebook ou ailleurs ressemblent souvent à des dessins préhistoriques, difficilement décodables, à tel point que même les scientifiques de la NASA, pourtant habitués à déchiffrer le langage extraterrestre, ont déposé les armes. Les cartouches, comme les neurones du chatwa, sont visiblement limitées.
Si les balles du chatwa ne sont pas dans son pantalon ou sous sa jupe, on les retrouve ailleurs, au-dessus de son menton, dans le tunnel obscur qui lui sert de cavité buccale. Sa luette s’agite, son épiglotte s’enflamme, son amygdale s’immole et l’appendice charnu qu’est sa langue s’agite telles les hélices d’un moulin quand on parle de sa religion, de sa foi, de «so bann». Le chatwa brasse alors du vent, souvent sans qu’il n’ait lu les articles de presse qu’il critique, sans comprendre une situation, sans savoir de quoi il s’agit. Censeur, encenseur, moralisateur, ‘pédagogue’, pédant, il s’octroie un doctorat en déballage de non-sens.
Loin d’être une lumière, le chatwa se fait tout de même un devoir d’éclairer les autres de sa substantifique moelle. On le voit souvent à l’écran, sur la MBCC (Mauritius Broadcasting Chatwa Corporation). Il a les yeux révulsés, son esprit étroit rapetisse, ses points de vue sont aussi coincés que le derrière de Kim K. entre deux chaises sur lesquelles on assoit les petits en maternelle.
En l’absence de matière grise, il broie du noir, de l’orange, du rouge, du bleu, du mauve, du vert, du jaune, dépendant de son humeur. Espérant obtenir des avantages en espèces, en nature, en backing ou autre, le chatwa vénère les politiciens et élus, qu’il qualifie parfois de «nou lérwa» ou «nou Bondié».
Tiens, qu’en pensent-ils justement ? En mars de cette année, le ministre Bobby Hurreeram – que certains ont osé traiter de gopia – affirmait que chatwa est un mot «vulgaire». C’était après que 500 cartes de pêcheurs ont été délivrées par le gouvernement. Certains intervenants avaient dénoncé le fait que parmi les bénéficiaires, se trouvent des colleurs d’affiches et des chatwa – mot qu’on évitera ici d’employer au pluriel de par sa nature singulière. Il peut toutefois se conjuguer au féminin, les «chatteswa» étant également nombreuses.
Lui affectionne particulièrement ce mot. Roshi Bhadain, qui nous a répondu par texto, explique qu’un chatwa, c’est «enn scorpion ki pou pik ou pou dé sou, dé kas. Chatwa pa pran kont lintéré personn apart limem. Linn fini vann so nam o diab».
Qu’importe le genre, les chatwa ont-ils une conscience, des scrupules? Not even a jhant, assure le député Shakeel Mohamed. Pour lui, le chatwa est une «puce qui n’hésite pas à changer de chien», pourvu qu’il remplisse sa gamelle. «Il y a les upgraded chatwas qui utilisent la technologie, d’autres sévissent en groupes. Il y en a au sein de tous les partis politiques.» Le chatwaisme, selon lui, était cependant loin d’être répandu au temps des ‘anciens’, «comme SSR, sir Satcam, sir Abdool, sir Gaëtan. Les gens, les freedom fighters, se battaient pour de vraies et nobles causes». Désormais, les chatwa sont partout, même au Parlement. «Il n’y a qu’à voir les discours, lus, préparés à l’avance. Où sont les débats, les échanges d’idées ?» Shakeel Mohamed évoque aussi le «chatwaisme inversé». C’est-à-dire ? «Si le chatwa est prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut auprès du politicien, le contraire est aussi vrai. Le politicien encourage le chatwa dans sa voie pour obtenir des voix.»
Quid de ceux qui retournent leur veste, qui virent de bord, qui basculent de l’autre côté ? Nous avons posé la question à celui qui avait été élu, dans un passé pas si lointain et à l’unanimité, Chatwa de l’année par des internautes. Celui qu’on ne présente plus – Oliver Thomas – n’a pas souhaité commenter l’affaire. «S’il vous plaît gardez-moi loin de tout ça, vous voyez que je ne fais plus de politique en ce moment.» Mais ? Ahhh… Ok…
Cherchons ailleurs. Qu’en est-il de la police, que certains disent à la solde du pouvoir ? Sont-ils au sommet de la pyramide du chatwaisme ? Le responsable de la cellule de communication de la police, l’inspecteur Shiva Coothen, assure de sa voix de stentor : «Je ne connais pas ce terme.» Roder bout alors ? «Non, je ne connais pas non plus. Je respecte l’opinion des autres mais je ne souhaite pas donner la mienne sur ce mot.»
En tout cas, quel que soit son mode de communication, son mode opératoire, le chatwa 2.0, le chatwa lite, le chatwa Pro Max, ou encore le chatwa en herbe, pour ne citer que ces espèces-là, ont tous le mérite d’être déméritants.
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