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Xavier-Luc Duval: «L’opinion publique est saturée par le nombre de scandales et d’abus»
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Xavier-Luc Duval: «L’opinion publique est saturée par le nombre de scandales et d’abus»
Le plus grand danger que court le pays, selon le leader de l’opposition, serait que les Mauriciens s’habituent à cette succession ininterrompue de scandales et qu’ils finissent par intérioriser tout cela comme étant normal, fatidique. C’est la raison pour laquelle l’opposition doit pouvoir redonner confiance au public afin qu’on reparte sur de nouvelles bases, avance Xavier-Luc Duval.
Votre Private Notice Question (PNQ) sur les «ti papyé» a fait mouche. Or, depuis, plus rien... L’opposition ne fait-elle pas de suivi ?
Nous sommes dans une situation où beaucoup d’institutions ne fonctionnent pas à Maurice. Dans un pays démocratique, après avoir soulevé un problème comme cela, la police, l’Independent Commission Against Corruption et même la Financial Intelligence Unit auraient déjà pris la relève pour ouvrir une enquête. L’affaire sniffing a connu le même sort et je persiste à dire que c’est une affaire très grave, de même que celle du Molnupiravir. Tous tombent aux oubliettes parce que la grande parade du Premier ministre consiste à dire «atann nou pou gété». Et on sait très bien que rien ne va se passer et que les gens, après, vont se concentrer sur autre chose, il y a tellement d’autres scandales. Seul un changement de régime permettra de faire la lumière sur les dizaines, voire la cinquantaine d’autres dossiers.
Celui du «ti papyé» justement est passé du Commerce au PMO. Pourquoi selon vous ?
En effet, le dossier aurait été transféré au Prime Minister’s Office (PMO) mais je n’ai pas la confirmation. Ce qui est surprenant, c’est qu’il y a eu des allégations selon lesquelles c’est le neveu d’un haut gradé du PMO qui est un associé du fameux Augustin, qui est venu récupérer la lettre et que dans le dossier, il y aurait la signature de cette personne, qui aurait réceptionné la lettre. Tout cela confirme qu’il y a eu maldonne. On ne s’attend pas à ce qu’il y ait des poursuites criminelles car tout est sous le contrôle du gouvernement ; mais que le public soit suffisamment wise et fasse le bon choix quand le moment sera venu de voter. Nous sommes dans la même situation que la presse, nous dénonçons et après un certain temps, tou ress lamem...
Pourtant, le PM parle toujours de son combat inlassable contre la drogue…
Personne ne croit ce qu’il dit.
La preuve irréfutable que nous perdons tous les jours le combat contre la drogue c’est que personne ne conteste le fait que le prix de l’héroïne sur le marché mauricien a connu une baisse considérable alors que celui du synthétique est stable. Cela veut dire qu’il y a suffisamment ou même plus de drogue qu’auparavant. Personne ne croit à cette lutte sans merci. Seule certitude : le prix du cannabis, lui, a augmenté car il est facilement identifiable par les autorités.
Que pensez-vous des grandes saisies restées sans suite, qui ont fait l’objet d’une PNQ d’ailleurs ? Quid de la réponse d’Obeegadoo qui a dit que la police a pu retracer le parcours de la marchandise dans l’affaire tractopelle ?
Dans l’affaire tractopelle, je n’ai pas plus d’informations que cela. Ce que je sais, en revanche, c’est que la cocaïne est en grande demande aujourd’hui dans les quartiers huppés. Dans les 120 cas des plus grosses saisies de drogue depuis 2017, il n’y a eu que trois suspects qui ont été traduits devant la justice. Pour les autres, les enquêtes sont en cours d’investigation à la police, au Forensic Science Laboratory ou dans d’autres cas on attend la réponse du Directeur des poursuites publiques... C’est quand même très choquant, surtout concernant les plus gros cas, dont l’affaire des bonbonnes de gaz, celle de Pointe-aux Canonniers et bien d’autres.
La faute à la police donc ?
L’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) n’est plus «fit for purpose». Pas moins de 90 % des Mauriciens pensent que la police plante de la drogue chez les gens. La confiance envers la police est complétement détruite.
Vous iriez jusqu’à réclamer le démantèlement de l’ADSU ?
Je demande qu’on applique les recommandations du rapport Lam Shang Leen. Un rapport qui a coûté beaucoup d’argent...
Autre dossier brûlant. Qu’en est-il du projet de 12 000 logements ? Quelles sont vos propositions à ce sujet ?
Hier (NdlR, mercredi), le ministre Obeegadoo est venu avec un nouveau tender pour 1 900 logements. Vous vous rendez compte, de 12 000 logements à 1 900 maisons ? C’est à se demander aujourd’hui ce qui va se passer avec le reste. C’est la preuve irréfutable que c’est de l’amateurisme, de l’incompétence au niveau de l’État. La vérité c’est quoi ? C’est que quelqu’un d’une famille à revenu moyen ne pourra emprunter plus d’un million de roupies, peu importe le logement que l’on propose. Il ne faut donc pas dépasser Rs 1 million. Le gouvernement a proposé Rs 12 milliards de subventions. Ce qui veut dire que l’on ne peut pas dépasser Rs 2 millions par maison. Or, d’après les plans qui ont été produits par le ministère du Logement et la New Social Living Development Ltd (NSLD), quand on a ouvert les enveloppes contenant les réponses aux appels d’offres, le prix moyen d’une maison était environ Rs 6 millions et cela pour la construction uniquement.
Il faut ajouter à cela les frais professionnels et autres. Donc Rs 7 millions au total pour une maison, ce qui veut dire que le gouvernement aurait dû subventionner Rs 6 millions par logement. C’est fou ! Je n’ai jamais vu cela. Nous parlons là non pas d’une subvention de Rs 12 milliards mais de six fois plus. Soit de Rs 72 milliards. Mo pa koné si Rutnah kapav konfirm sa sif-la... C’est là pour moi le summum de la stupidité. Alors que le gouvernement a des conseillers professionnels, il aurait dû savoir que leur plan – un joli plan hein – était complètement inapproprié pour l’objectif qu’il avait, c’està-dire le vendre à ce prix-là. En sus, créer 900 unités, 600 ou même 500 dans un seul quartier, équivaut à créer un ghetto. Faire croire que des gens vont acheter des maisons à des prix faramineux, dans des endroits qui sont amenés à devenir des ghettos, c’est une bêtise, un gaspillage. Et Rs 920 millions ont été payées aux conseillers professionnels jusqu’ici. Sans oublier que certains des terrains achetés ne sont pas appropriés car il y a des caves là-dessus. On parle de quelque Rs 1.5 milliard jetées à l’eau jusqu’ici. Et là, il faut recommencer presque à zéro.
Selon nos renseignements, le gouvernement peine aussi à trouver des terrains pour la construction de ces maisons…
Oui. Il a fallu annoncer, pour des raisons politiques, le projet de 12 000 logements. Mais il faut être en mesure de les construire, d’avoir de la place pour ; et on met la pression sur tout le monde. Résultat des courses : on n’a absolument rien. Du coup, retour à la base, soit les maisons de la National Housing Development Co. Ltd.
Aller de l’avant avec un tel projet, n’est-ce pas risqué finalement ? Le ministre Obeegadoo maintient pourtant sa position.
Li pé al dé lavan ? Il tourne en rond oui ! Lors de la PNQ, il a essayé de sauver la face, mais personne n’est dupe. D’ailleurs, c’est le matin de la PNQ qu’il a annulé les appels d’offres. Venir dire qu’il donne des garanties lors de la PNQ, c’est juste pour la forme mais dans les faits, j’ai la certitude que nous n’aurons pas 12 000 maisons. Si la NSLD construit 1 200 maisons jusqu’en 2024, ce sera déjà beaucoup.
Parlons des prix des carburants…
La situation est claire. D’un côté il y a le prix du brut sur le marché international et celui du raffinement et du transport vers Maurice. Le tender que l’on fait concerne le raffinement et le transport uniquement. Puis, tout le monde le sait, plus de la moitié du prix des carburants concerne les taxes. Des taxes, dont certaines n’ont aujourd’hui plus de raison d’être. Comme la taxe pour du oil storage, pour lequel le gouvernement a ramassé des milliards de roupies alors que rien n’a été construit. Il y a aussi la taxe sur le vaccin. Je m’accorde à dire que le carburant est la vache à lait du gouvernement. Cet argent est souvent gaspillé. On peut débattre longtemps sur ce sujet. Notamment sur le fait que plus le prix augmente, plus la TVA grimpe et celle-ci est imposée sur d’autres taxes.
L’opposition ne dénonce pas la dernière trouvaille du gouvernement : pas de Parlement les mardis. Préfère-t-elle cette situation que d’avoir à siéger et à poser des questions ?
Il y a deux avantages pour le gouvernement à ne pas faire siéger le Parlement les mardis. Premièrement, il n’y a pas de Parliamentary Questions des députés mais moi, je suis obligé de soumettre ma PNQ à 9 heures pour qu’ils répondent en fin d’après-midi, au lieu de 11 h 30. Donc cela leur accorde un très long moment pour préparer la réponse à la PNQ. Bon, il y a eu plusieurs excuses qui sont plus au moins valables. Mais pour cette semaine (NdlR, la semaine écoulée), cela n’a pas été le cas, on a pris l’excuse d’une réunion des ministres de la Justice à Maurice. Moi-même j’y ai été invité et cela a eu lieu à 19 heures. C’est clair que cela arrange le gouvernement. Nous dénonçons tout cela mais comme pour toute chose, que pourrons-nous faire de plus ?
Qu’en est-il de la façon dont le PM réponde à vos questions ?
Ah oui ! Vous savez, il y a des principes sacro-saints lors des débats parlementaires. Premièrement, ne jamais mentir. Même dire que l’on ne sait pas quand on sait, est un mensonge qui n’est pas acceptable dans le système westminstérien. Il y a même un ministre de l’Intérieur en Angleterre qui a dû démissionner car il avait prétendu ‘ne pas savoir’. Mais à Maurice, c’est monnaie courante. Tous les ministres prétendent ne pas être au courant et mentent. Est-ce que quelqu’un de sensé va croire qu’Obeegadoo a décidé d’annuler tous les appels d’offres sur les maisons sans connaître les prix de ces maisons ?
Qu’avez-vous à dire du comportement de Sooroojdev Phokeer ces derniers temps au sein de l’hémicycle ?
Pour moi aujourd’hui et pour le pays, le plus grand danger est que le gouvernement use et abuse de tous les «loopholes» dans notre Constitution, des standing orders et de nos lois. Le speaker utilise un standing order dont personne ne se servait avant – le 77 – pour prétendre qu’il a le droit de faire n’importe quoi. Le gouvernement essaie aussi de tout cacher, de se cacher, derrière la clause de confidentialité ; il y a le dossier Agalega, le coût réel du Metro Express et tant d’autres. On nous fait croire qu’il y a eu 200 réunions du High Powered Committee sur le Covid-19 et qu’il n’en existe aucun procès-verbal. Le gouvernement pense qu’en faisant cela, il va échapper à tous les contrôles du Parlement. Il y a cependant des failles dans nos lois qui lui permettent de contrecarrer la démocratie et la transparence.
Par ailleurs, je pense que l’opinion publique est saturée par le nombre de scandales et d’abus. Le plus grand danger pour Maurice, c’est que la population s’y habitue comme l’être humain s’habitue à tout, et qu’elle prenne tout cela comme étant normal, inévitable presque, comme un destin fatidique. La tâche de l’opposition, qui est de redonner confiance aux Mauriciens, est de démontrer que nous ne sommes pas comme eux. Nous sommes différents. Nous ne sommes pas parfaits. Certainement, nous avons fait des erreurs, c’est humain ! Nous avons une autre vision, une autre philosophie sur la manière de diriger le pays, sur le respect des lois et des traditions démocratiques. Avec nous, les choses vont changer.
Les municipales ou même les élections générales, c’est pour bientôt ?
Il y a des rumeurs selon lesquelles l’affaire au Privy Council (NdlR, concernant la plainte de Suren Dayal) constituerait une menace pour le gouvernement et que les législatives seraient pour bientôt. Mais encore une fois, les rumeurs sont là depuis longtemps. J’ai eu une rencontre avec Rezistans ek Alternativ et il est clair qu’il faut revoir nos règles concernant la Constitution et les lois électorales. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser au seul Premier ministre la discrétion d’appeler les citoyens aux urnes avec seulement un mois de préavis. Où est la démocratie ? Lui, il sait quand vont se tenir les élections, il s’y prépare et choisit ses candidats. On réclame d’ailleurs les élections municipales et générales au vu de la situation dans le pays. Toutefois, la vérité c’est qu’on ne sait pas quand elles seront organisées. Le danger c’est que l’on finisse comme certains pays africains où les élections sont remportées purement grâce l’argent.
Après les anomalies décelées grâce à des législatives de 2019, comment veiller à ce que cela ne se reproduise pas ?
Dans d’autres pays, l’Electoral Supervisory Commission (ESC) agit en temps réel pour empêcher les abus venant des médias comme dans le cas de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC). On prend des actions tout de suite. Mais ici l’ESC n’a pas pour habitude de le faire, elle est remplie d’agents politiques du MSM. On ne peut pas compter sur des free and fair elections par rapport à ce qui s’est passé en 2019. La MBC a été un agent politique et une bonne partie de la population rurale s’est laissé influencer quand la station de radiotélevision nationale a pris le parti du gouvernement. Cela a faussé le jeu. C’est aussi la raison pour laquelle on se tourne vers le Privy Council. Nous n’avons pas obtenu satisfaction devant les cours mauriciennes.
Votre avis sur les comptes de la Banque centrale ?
J’ai soulevé le dossier de la Banque de Maurice (BoM) à plusieurs reprises au Parlement et ailleurs. J’avais écrit au Fonds monétaire international (FMI), aux auditeurs de la BoM et j’avais bien fait comprendre que ce qui se passait était dangereux pour l’avenir de cette banque. Le FMI avait d’ailleurs repris cela dans son rapport et avait demandé au gouvernement de se défaire de la Mauritius Investment Corporation (MIC) et de renflouer le capital de la BoM. Rs 158 milliards ont été dépensées pour financer les activités fiscales du gouvernement, alors que cet argent provient en majorité des profits sur papier, pas de vrais profits, liés à l’appréciation du dollar vis-à-vis de la roupie, ce qui augmente la valeur des actifs à l’étranger. Mais si demain le dollar devait baisser vis-à-vis de la roupie, cette valeur-là serait détruite. Ce qui s’est passé c’est que tout cet argent représente des jeux d’écriture liés à l’appréciation du dollar vis-à-vis de la roupie. Désormais, le profit artificiel créé a été transféré au gouvernement et à la BoM. Du coup, il y a un trou. Ce trou-là fragilise et fait que techniquement, la BoM est en faillite. Ce n’est pas Duval qui le dit mais le FMI, qui a demandé de renflouer le capital. Mais le gouvernement est très têtu.
J’ai des informations confirmées selon lesquelles une grande banque étrangère a été approchée par la BoM pour un prêt de plus d’un milliard de dollars pour les besoins de l’économie mauricienne. Mais cette banque étrangère a refusé et a demandé à des banques commerciales de garantir la BoM. Voilà la situation absurde dans laquelle ce gouvernement irresponsable nous a placés.
Si une banque commerciale était dans cette situation de «negative equity», la BoM n’aurait-elle pas déjà suspendu sa licence ?
Depuis longtemps. Il y a des minimum capital requirements. Mais il y a pire. La BoM tolère la fraude, la corruption... Le FMI a dit noir sur blanc qu’il faut améliorer la gouvernance au sein de cette institution.
Sinon que ce passe-t-il au sein de l’entente de l’Espoir ? Aurions-nous droit à d’autres changements ?
Mon souhait personnel est qu’éventuellement toute l’opposition se retrouve sur la même plateforme avec un programme commun pour les élections générales et municipales. Chaque chose en son temps.
Mais comme il n’y a pas encore d’échéance, il est clair que chacun essaie de se positionner. Je pense que la population est impatiente de voir se concrétiser cette grande entente.
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