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«Dépression post-partum: parlez-en, vous n’êtes pas seuls»
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«Dépression post-partum: parlez-en, vous n’êtes pas seuls»
La dépression post-partum touche de nombreuses mères après la naissance de leur enfant, et parfois même les pères. Qu'est-ce que le post-partum et la dépression du post-partum? Quelle est la différence avec le baby blues ? Quels sont les signes à surveiller? Comment s’en sortir? Le point avec Manon Maujean, psychologue clinicienne et psychothérapeute chez C-Care Darné.
Qu’est-ce que la périnatalité?
La périnatalité représente l’ensemble des processus liés à la grossesse et à la naissance d’un enfant. En effet, la période périnatale commence dès la réflexion autour de la contraception, en passant par le désir de concevoir (impliquant parfois des troubles de la fertilité, PMA – Procréation Médicalement Assistée).
Cette période implique aussi la grossesse et les différentes épreuves pouvant être rencontrées lors de cette dernière (diagnostic anténatal, interruption médicalisée de grossesse, vomissements incoercibles, deuil périnatal, accouchement traumatique, grossesses gravidiques, dépression du post-partum etc.) et pour finir, elle s’étend jusqu’à l’accouchement et les premiers mois de la vie du nouveau-né, impliquant des remaniements identitaires des nouveaux parents en devenir.
En tant que psychologue spécialisée en périnatalité, une partie de mon travail réside en la réalisation d'une certaine prévention, mais il consiste avant tout à proposer un soutien psychologique et psychothérapeutique durant toute la période périnatale aux différentes personnes éprouvées par les évènements. Cet accompagnement peut se faire directement avant l’arrivée d’un enfant, pendant la grossesse, directement en chambre à la clinique, en unité de soin intensif auprès des nouveau-nés ou encore après la naissance, en cabinet libéral.
L’arrivée au monde d’un enfant et le passage vers cette parentalité nouvelle n’est, de ce fait, pas toujours un long fleuve tranquille. Cette étape, peut engendrer de réels bouleversements dans la vie psychique des parents en devenir, des futures mères ainsi que des futurs pères, pouvant ainsi venir déstabiliser l’équilibre familial et inscrire le couple dans une grande vulnérabilité psychique et venir ainsi impacter le lien parent-enfant, nécessitant un véritable soutien émotionnel et accompagnement psychologique.
Qu'est-ce que le post-partum et la dépression du post-partum (DPP) ?
Avant de parler de dépression du post-partum, il me semble important de définir le post-partum, encore aujourd’hui très peu connu. Cette notion désigne la période qui suit l’accouchement. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, « il commence une heure après la délivrance (l’éjection du placenta après la naissance du bébé) et s’étend sur six semaines. Certains soignants estiment qu’il prend fin avec ce que l’on appelle le retour de couches ». Cependant ma pensée rejoint celle de la sage-femme Anna Roy qui s’applique à dire que le post-partum est propre à chaque femme, sa durée ne peut être tangible et peut s’étendre jusqu’aux trois années suivant l’accouchement. En effet, cela demande du temps de se réinventer au niveau corporel, conjugal, du travail, identitaire, de la sexualité, familial, de la vie quotidienne, puisque toutes ces différentes sphères se retrouvent impactées par l’arrivée au monde d’un enfant.
Pour parler de la dépression du post-partum, il est essentiel de la différencier du baby blues.
Le baby blues touche un grand nombre de femmes, c’est une réaction passagère liée aux différents changements physiologiques, hormonaux et une fatigabilité accrue que la grossesse, l’accouchement et les premiers pas en tant que parent peuvent engendrer. Les symptômes sont multiples et apparaissent généralement lors des premiers jours suivant l’accouchement. Le baby blues, il se caractérise par différents symptômes tels que le ressenti d’une profonde tristesse, un sentiment de vulnérabilité intense, une anxiété, une irritabilité, un changement d’humeur, un trouble du sommeil et des troubles de la concentration. Il est important de prêter attention à ces différents symptômes, mais ils ne s’inscrivent pas dans le temps. En effet, la durée du baby blues peut varier de quelques heures à une quinzaine de jours et les symptômes parviennent à s’apaiser sans forcément faire appel à une aide extérieure.
La dépression du post-partum aussi appelée dépression postnatale est, quant à elle, plus conséquente et grave, puisqu’il s’agit d’un trouble dépressif, elle nécessite, de ce fait, une prise en charge immédiate. Elle survient après l’accouchement et peut se manifester à tout moment au cours de la première année de vie du nouveau-né.
Quels sont les signes de la dépression post-partum ?
La dépression du post-partum peut se définir par l’apparition de différents symptômes:
- Un sentiment de profonde tristesse (sans raison apparente),
- Une hyper-vulnérabilité associée à des crises de pleurs inexpliquées et sans élément déclencheur,
- Une perte de l’estime de soi dans son rôle de parent, avec un sentiment de dévalorisation importante,
- Une apathie dans tout ce qui concerne la prise en charge de son enfant et un désintérêt pour les activités appréciées auparavant,
- Un sentiment de culpabilité lié à la sensation de ne pas éprouver d’amour pour son bébé,
- Un épuisement conséquent et un trouble du sommeil (insomnie ou hypersomnie),
- Une irritabilité, colère, peur,
- Une anxiété et des angoisses importantes notamment dans tout ce qui implique la prise en charge de l’enfant,
- Une difficulté, incapacité ou refus de s’occuper de son bébé et de soi,
- Impact dans leur relation avec leur nourrisson,
- Un impact au niveau du corps avec : un trouble de l’alimentation, perte ou prise de poids importante,
- Un repli sur soi, pouvant aller jusqu’aux idées suicidaires
À la différence du baby blues, nous parlons de dépression du post-partum, lorsque plusieurs de ces symptômes s’inscrivent dans le temps et ne s’estompent toujours pas au bout de deux semaines. En fonction des personnes, les symptômes peuvent être plus ou moins nombreux, mais la prise en charge précoce est primordiale afin de préserver et maintenir le lien parent-enfant.
Dans certaines situations plus rares, qui toucheraient une à deux naissances sur mille, cela peut évoluer vers une psychose puerpérale. Une notion qui peut faire peur, mais dont il est, à mon sens, important d’en parler. Dans ce cas, la dépression peut alors s’associer à des idées suicidaires, pouvant être accompagnées de comportements violents ou en décalage avec la réalité, et des hallucinations avec l’idée de faire du mal à son bébé. Mais il est important de se rassurer; avec une bonne prise en charge psychiatrique, les recherches sont encourageantes et montrent que les choses peuvent rapidement s’apaiser et rentrer dans l’ordre.
Quelles sont les causes de la dépression du post-partum ?
L’étiologie exacte de cette maladie reste encore méconnue et peu repérée. Elle surviendrait chez 10 à 15 % des femmes et pourrait toucher l’ensemble de ces dernières après leur accouchement, pouvant apparaître lors de la première grossesse, comme des suivantes.
Cependant, de nombreux spécialistes s’accordent à dire que la dépression post-natale n’est pas le résultat d’une seule cause, mais peut résulter d’un ensemble de facteurs :
- Physiologiques,
- Bouleversement hormonal pendant la période puerpérale
- Changements de vie,
- Environnementaux,
- Bouleversements identitaires,
- Deuils,
- Trouble du stress post-traumatique,
- Annonce d’un handicap, ou maladie infantile
- Un terrain dépressif,
- Antécédents familiaux,
- Environnement non soutenant,
- Faible estime de soi,
- Difficultés ou traumatismes liés à la grossesse
Par conséquent, les femmes qui se retrouvent davantage exposées à ces facteurs sont plus à risque de développer une dépression du post-partum.
Il me semble important de ne pas oublier de prendre en considération les souffrances des pères dans la clinique de la périnatalité. Tout comme les mères, les hommes aussi peuvent souffrir de dépression postnatale. Leurs symptômes sont toutefois moins apparents que chez les femmes, mais restent bel et bien existants et importants. Ainsi, il est primordial d’y prêter également attention. Leur détresse se manifeste davantage par :
- Une irritabilité aiguë;
- Un sentiment de tristesse profonde avec des pleurs incontrôlées;
- Un sentiment d’impatience important;
- De l’anxiété, des angoisses;
- Émergence de violence conjugale
- Abus de substances illicites.
Selon certaines études, au cours des trois premiers mois suivant la naissance du nouveau-né, 8 % des pères seraient concernés par la dépression du post-partum. Les causes pour les hommes de développer ces symptômes sont diverses. Cela peut être lié à différents facteurs comme :
- Des antécédents et terrain dépressif,
- Le fait de n’avoir pas désiré devenir père,
- Avoir des difficultés au niveau des relations sociales,
- Avoir un environnement peu soutenant,
- Souffrir de troubles anxieux,
- Avoir une faible estime de soi,
- Un niveau socio-économique bas,
- Des difficultés dans la relation conjugale
Les conséquences de la DPP sur la famille et le traitement
La dépression postnatale vient altérer l’estime de soi du parent, l’amène à douter de ses capacités à prendre soin de son bébé, venant altérer son plaisir à le faire. De ce fait, cela peut avoir un véritable impact sur les interactions parents-enfant, raison pour laquelle une prise en charge précoce de cette maladie est primordiale.
Les dyades mère-enfant et père-enfant, ainsi que la triade parents-enfant se retrouvent en grande souffrance pouvant ainsi entraver le lien d’attachement. Par conséquent, les études s’accordent à dire que la dépression du post-partum touche autant la mère, le père et l’enfant. La dépression des parents peut avoir un impact sur du long terme sur le développement cognitif, social et affectif de l’enfant, si la famille n’est pas prise en charge rapidement.
Malgré tout le soutien familial des amis, des groupes d’entraide qui sont tout à fait essentiels, la dépression du post-partum nécessite une attention et une intervention médicale immédiate. Il est important de pouvoir en parler à un professionnel de la santé (exemple : médecin, psychologue, infirmier(e), sage-femme, etc.). Par la suite, ce professionnel vous accompagnera au mieux dans les démarches à entreprendre, selon l’ampleur des symptômes dépressifs. Plus cela va être pris en charge précocement, et moins la prise d’antidépresseurs ou de médicaments sera forcément nécessaire. Parfois une psychothérapie peut suffire dans le cas d’un diagnostic précoce, parfois une hospitalisation est nécessaire, cela varie d’une situation à l’autre.
Pour prévenir cette dépression, il est important d’essayer de repérer les signes d’anxiété ou dépressifs durant la grossesse ; pour cela il est donc nécessaire de connaître les symptômes de cette dernière, ainsi que les facteurs pouvant favoriser son apparition afin d’être vigilant. Ce travail de prévention doit s’effectuer autant auprès des mères que des pères. Préparer les couples et prévenir des enjeux psychiques liés à l’arrivée au monde du bébé, peut aider dans ce travail de prévention.
Mon rôle en tant que psychologue sera de les accompagner au mieux à traverser cette épreuve en les aidant à mettre des mots sur leurs maux.
Quels conseils donneriez-vous à un couple ?
Si je pouvais donner un conseil, je dirais qu’il est important de ne pas culpabiliser et il est aussi essentiel de veiller à ne pas culpabiliser les parents non plus, ils apprennent et font de leur mieux. Il n’y a pas une seule bonne manière de faire en tant que parent. Il est nécessaire de leur apporter un soutien et une bienveillance et de les rassurer. Chaque ressenti est légitime et propre à chacun. N’ayez pas peur de demander de l’aide, ou d’encourager votre proche en difficulté à demander de l’aide également.
Pour conclure, que diriez-vous ?
La clinique de la périnatalité est à ce jour encore trop peu développée et peu mise en lumière. Aujourd’hui, de trop nombreux sujets concernant ce champ d’intervention restent encore tabous (comme les troubles de la fertilité, les fausses couches à titre d’exemples) ou sous-diagnostiqués comme l’est la dépression du post-partum.
À Maurice, tous les patients que j’ai pu accueillir en libéral m'ont dit n'avoir jamais reçu de soutien psychologique, malgré les grossesses et accouchements parfois traumatisants, les fausses couches, les deuils périnataux et les dépressions post-partum par exemple. C'est donc, seuls, que les mères et les pères mauriciens semblent depuis des années faire face aux diverses souffrances que peut engendrer la naissance d'un enfant.
Je suis convaincue qu’un grand travail de prévention est à réaliser, afin de conscientiser la population, la société et les professionnels de la santé, sur les différents risques liés aux différents processus de la grossesse, afin d’encourager chaque femme, homme, couple à mettre des mots sur leurs maux et à oser entamer une démarche de soins pour leur bien-être. La santé mentale ne devrait pas être moins importante que celle physique.
L’OMS insiste sur l’importance de prodiguer des soins de qualité aux femmes et aux nouveau-nés (mais n’oublions pas les pères) au cours des premières semaines suivant l’accouchement et souligne l’urgence de proposer dans la période postnatale, un accompagnement physique et un soutien psychologique.
De ce fait, lors de l’apparition des premiers symptômes, il ne faut pas hésiter à s’orienter dans un premier temps vers son médecin, afin qu’il puisse mettre un mot sur vos souffrances, poser un diagnostic et vous proposer un traitement précoce adapté à votre situation. Cet accompagnement médical ne peut se dissocier à mon sens, d’un accompagnement psychologique.
Les couples traversent aujourd'hui l'un des plus gros bouleversements de leur vie. Ils ont besoin de temps pour trouver un équilibre et de nouveaux repères avec cette nouvelle arrivée. À mon avis, est-il impératif que chaque pays puisse venir repenser le sens d'un congé parental aussi court et les différentes préoccupations liées à la santé et au bien-être des futures générations de bébés et de parents ?
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