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Quand la corruption sape la démocratie
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Quand la corruption sape la démocratie
L’ICAC sert-elle à protéger les ministres ?
Maurice est confronté à l’un de ses plus grands défis (qui menacent la démocratie et le développement économique) : la corruption. Alors que le monde célèbre aujourd’hui la journée internationale contre la corruption, il est grand temps pour nous de faire notre introspection, et de ne pas accréditer la thèse selon laquelle notre pays cultive désormais la canne à sucre (certes, à une échelle moindre que du temps de Malcolm de Chazal), les prejugés et... la corruption.
Il n’y a pas lieu d’être un expert en développement pour constater que la corruption, qui revêt plusieurs formes car elle est un phénomène social, politique et économique complexe, sape non seulement la démocratie (n’est-ce pas V-Dem et IDEA ?), mais impacte négativement tous les aspects de la société mauricienne. Elle demeure liée aux scandales politiques, souvent révélés par la presse, qui, à leur tour, compromettent le développement social et économique et sapent les institutions démocratiques et l’État de droit. La corruption, quand elle est endémique, aggrave la pauvreté, en facilitant l’utilisation illicite des ressources et de l’appareil d’État, en assurant le financement politique.
Pourtant, nous avons des lois sur le papier, mais qui ne sont pas appliquées, à cause du manque d’indépendance des institutions comme l’ICAC, qui deviennent alors un instrument politique au service du régime au pouvoir. Sinon comment expliquer que l’ICAC ne communique pas sur de grandes affaires qui ont provoqué la démission de ministres – Ravi Yerrigadoo dans l’affaire Yerrigadoo et Ivan Collendavelloo dans l’affaire Saint-Louis. Et quid du Premier ministre lui-même dans l’affaire Angus Road ?
Pays pauvres, pays riches
Comment s’en sortir alors ? Il faut s’unir, contre la corruption, préconisent les agences internationales. Les États, les responsables gouvernementaux, les fonctionnaires, les responsables de l’application des lois, les médias, le secteur privé, la société civile, les universités, le public et les jeunes doivent tous avoir un rôle à jouer et doivent donc s’unir, comme le rappelle la Convention de l’ONU contre la corruption (voir hors-texte plus loin). «La corruption est un mal insidieux dont les effets sont aussi multiples que délétères. Elle fausse le jeu des marchés, nuit à la qualité de la vie et crée un terrain propice à la criminalité organisée, au terrorisme et à d’autres phénomènes qui menacent l’humanité. Le mal court dans de nombreux pays, grands et petits, riches et pauvres, mais c’est dans les pays en développement qu’il est le plus destructeur. Ce sont les pauvres qui en pâtissent le plus, car, là où il sévit, les ressources qui devraient être consacrées au développement sont détournées, les gouvernements ont moins de moyens pour assurer les services de base, l’inégalité et l’injustice gagnent et les investisseurs et donateurs étrangers se découragent. La corruption est une des grandes causes des mauvais résultats économiques; c’est aussi un obstacle de taille au développement et à l’atténuation de la pauvreté», souligne, en préambule, la convention internationale, dont Maurice est pourtant signataire.
La corruption fausse le jeu des marchés, nuit à la qualité de la vie et crée un terrain propice à la criminalité organisée, au terrorisme et à d’autres phénomènes qui menacent l’humanité.»
En Afrique, plusieurs travaux ont démontré que la corruption s’attaque aux fondements des institutions démocratiques en faussant les élections, en corrompant l’État de droit et en créant des appareils bureaucratiques dont l’unique fonction réside dans la sollicitation de pots-de-vin et de dessous de table, qui vont ensuite remplir les caisses de parti. «Comment voulez-vous alors qu’un organisme comme l’ICAC, dont les dirigeants, du plus haut au plus petit, sont ‘handpicked’ par le parti au pouvoir, sévisse. On connaît tous le dicton : on ne mord pas la main qui nous nourrit, n’est-ce pas ?», confie un ancien juge à l’express.
Un entrepreneur, qui a des idées bien claires sur la pratique de la corruption, mais ne veut pas parler à visage découvert, «à cause des représailles qu’il y aura forcément», ajoute que la corruption «ralentit considérablement le développement économique en décourageant les investissements directs de l’étranger et en plaçant les petites entreprises dans l’impossibilité de surmonter les «coûts initiaux» liés à la corruption. Pas mal sont venus prospecter un partenariat stratégique, alléchés par les promesses de l’Economic Development Board, mais ils ont vite déchanté. Il suffit de voir ce qui se passe sous le vernis, dans les officines du pouvoir, là où l’opacité règne…»
Attention, si ici on focalise sur Maurice, il faut savoir que la corruption est un mal qui touche aussi bien les pays riches que les pays pauvres. Si les signes de petite corruption ne sont pas nombreux dans les pays riches, les pays pauvres ou en développement, comme le nôtre, sont soumis à l’influence de la grande et de la petite corruption, mais aussi aux conséquences de la grande corruption exercée par les pays plus riches, comme, par exemple, l’Inde ou la Chine, qui ont investi massivement à Maurice, sans que les contrats ne soient révélés au public.
Enfin, durant la pandémie du Covid-19, les projecteurs ont été braqués sur les Emergency Procurements qui ont bafoué toutes les règles de transparence et de bonne gouvernance. Des centaines de millions de roupies ont été allouées à des proches de ministres sans aucun appel d’offres, comme révélé dans l’enquête préliminaire sur la mort de l’ex-activiste du MSM, Soopramanien Kistnen; révélations ensuite confirmées par l’audacieux rapport de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath. Dans ce cas également, l’ICAC n’a pas brillé par son empressement d’enquêter sur cette affaire. «L’enquête suit son cours», répond le département de communication de la commission anti-corruption, quand on lui demande quand Yogida Sawmynaden, Ivan Collendavelloo, Ravi Yerrigadoo seront interrogés ou arrêtés.
Au niveau de Transparency Mauritius, par la voix de Rajen Bablee, l’on avance que Maurice pourrait améliorer son image si «le gouvernement implémente les projets de loi mentionnés dans le programme électoral de 2014. Entre autres, il y aurait eu des lois pour la Freedom of information, le financement des partis politiques et la méritocratie et plus de transparence dans l’allocation des contrats publics». Transparency Mauritius, comme la presse et la société civile, milite pour l’élargissement de l’espace démocratique. Mais la démocratisation a depuis cédé la place à l’autocratisation...
Pour sortir de notre «corruption endémique», les agences internationales proposent une recette universelle : notre pays devrait «renforcer les institutions chargées de maintenir l’équilibre des pouvoirs» et «soutenir la société civile et les médias libres». Sont-ce des voeux pieux ?
A l’origine de la Convention internationale
<p>Le 31 octobre 2003, l’Assemblée générale a adopté la Convention des Nations unies contre la corruption (A/RES/58/4), et a prié le secrétaire général de charger l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) d’assurer le secrétariat de la Conférence des États Parties à la Convention. Le 9 décembre a été déclaré Journée internationale de lutte contre la corruption, afin de sensibiliser le monde à ce problème et pour faire connaître le rôle de la Convention en matière de lutte et de prévention. A l’approche du 20e anniversaire de la CNUCC, en octobre 2023, l’ONU rappelle que les valeurs portées par la Convention sont plus importantes que jamais.</p>
«Qui vole un œuf,vole un bœuf»
<p>Ce vieux dicton africain signifie que celui qui commence par accepter un pot-de-vin se retrouve ensuite lié à d’ambitieux montages occultes. La corruption peut être définie comme «l’accaparement des ressources publiques par un petit nombre de personnes à des fins privées, au détriment du plus grand nombre», selon Transparency International. Qu’est-ce que la corruption? La corruption consiste en un acte par lequel une ou plusieurs personnes, occupant une fonction (dans le secteur privé ou dans la fonction publique), proposent ou acceptent de l’agent, une faveur quelconque (on parle d’avantage indu) dans le but de réaliser ou de s’abstenir de faire une mission qui entre pourtant dans leurs fonctions. Le corrupteur est celui qui propose l’acte de corruption, et corrompt. Le corrompu est la personne qui accepte la corruption, et la mise en œuvre de l’acte y afférant. D’une manière plus générale, on parle également de corruption passive et de corruption active. La corruption passive est le fait pour un agent de se laisser corrompre pour accomplir (ou ne pas accomplir) un acte de sa fonction.</p>
Quels sont les types de corruption?
Selon la Banque mondiale, il existe plusieurs formes de corruption :
- La fraude: mode de corruption où le fraudeur falsifie des documents officiels, par exemple.
- Les dessous-de-table: des versements en sommes d’argent sont réalisés au profit d’une personne titulaire d’une autorité afin de faire avancer plus vite une opération, ou de la rendre favorable.
- Le favoritisme: ce type de corruption consiste à favoriser un proche, aussi appelé népotisme (pratique courante à Maurice et dans les pays insulaires).
- Le détournement de fonds: ce mode de corruption qualifie le fait de spolier des ressources publiques.
- L’extorsion de fonds: de l’argent est obtenu par la force ou sous les menaces.
- Le blanchiment d’argent: c’est aussi un mode de corruption, sévèrement puni par la loi. Il représente des mouvements de fonds obtenus illicitement, ou des transferts de fonds illégaux afin de détourner la loi fiscale.
- Les pots-de-vin: où une personne privée promet le versement d’une commission à l’agent de l’État dès l’acceptation d’un marché public en sa faveur.
Les éléments de base de la corruption sont :
- Le monopole gouvernemental;
- Le pouvoir discrétionnaire dans l’interprétation de la «législation», dans les décisions concernant ceux qui ont droit aux prestations et ce qui constitue des documents et une procédure appropriés; et
- L’absence d’imputabilité directe.
Source : Robert Klitgaard (1988 :75),
Claremont Graduate University
Affaires pêle-mêle révélées par la presse ou sujettes à des enquêtes :
Distribution des terres de l’État à des petits copains ou petites copines par différents gouvernements depuis l’indépendance, les Rs 220 millions des coffres-forts de Ramgoolam, Affaire Bois de Rose, Affaire MedPoint, le salaire de Vijaya Sumputh au Trust Fund for Specialised Medical Care, billets à tarif réduit toujours au Trust Fund for Specialized Care, l’affaire Dufry/Frydu, le transfert de bail de Showkutally Soodhun, le recrutement contesté de Yousreen Choomka, Biscuits Hanoomanjee, Bet 365/Yerrigadoogate, Platinum Card Gate, les affaires Sobrinho, les ampoules économiques au CEB, Sniffing-Gate, Angus Road, contrat de Rs 400 millions à Liverpool FC, Affaire Bal Kuler de feu Raj Dayal, l’emprunt de Vishnu Lutchmeenaraidoo auprès de la State Bank pour spéculer sur l’or, Betamax, CT Power, Bagatelle Dam, Achat des avions d’Air Mauritius, les moto-écoles de Nando Bodha, les Covid-19 Emergency Procurements, le népotisme à la STC et dans plusieurs organismes parapublics et de régulation.
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