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Jeff Manal: «La Valette mérite d’être valorisée»
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Jeff Manal: «La Valette mérite d’être valorisée»
La Ruche, centre d’éducation et de formation, située à La Valette, fête ses dix ans en organisant plusieurs activités. Jeff Manal, directeur de pédagogie et de communication à l’association Quartier de Lumière (QDL), fait le point sur le travail accompli et ce qui reste à faire.
En novembre, vous avez organisé une table ronde autour du thème «Face à la pauvreté, l’éducation favorise l’intégration sociale. Mythes ou Réalités ?» Qu’est-ce qui en est sorti de concret ?
La table ronde a permis de jeter les bases d’une réflexion autour et sur le rôle de l’éducation dans l’intégration sociale, ou pas, des enfants et jeunes en situation de pauvreté. Ces réflexions émanant de l’expérience du terrain, croisées à celles de différents acteurs socio-économiques et politiques conduiront vers des actions concrètes dans les mois et années à venir. Nous ne sommes pas des théoriciens en pédagogie de l’enseignement mais ce que nous voyons, vivons et faisons chaque jour, sur le terrain, nous amène à dire que nous sommes capables d’apporter notre pierre à la mise en place d’un système éducatif autre… Autrement dit, comment amener l’école vers les enfants et non l’inverse.
Vous proposez également une exposition dans le cadre de cet anniversaire. Pourriezvous nous en parler ?
Quartier de Lumière a toujours misé sur la capacité qu’a l’art de fédérer, de guérir et de faire sortir le meilleur de l’humain. C’est indéniable : les enfants et jeunes fréquentant La Ruche ont du talent. Ils savent nous communiquer leurs émotions à travers l’art si on leur en donne l’occasion. Plusieurs d’entre eux pourraient percer dans le milieu artistique. Il suffit de croire en eux et de leur donner la chance.
Concrètement, pour fêter les dix ans de La Ruche, nous exposons une trentaine de tableaux, ainsi que les travaux que les plus petits ont réalisés durant les ateliers de créativité. Ces derniers sont visibles jusqu’au 14 décembre. Le thème de l’expo est «Pou Grandi Azordi». Nous avons voulu que les enfants et les jeunes nous disent, à travers leurs œuvres, ce qui favorise leur épanouissement et qui leur permettrait d’entrevoir leur avenir sereinement. Nous avons aussi créé un parcours historique de La Ruche, agrémenté de photos, d’articles de presses et d’un court-métrage intitulé Lespas Lalimyer, réalisé par Gopalen Chellapermal. L’histoire de La Ruche est intimement liée à celle de Quartier de Lumière et à celle de La Valette.
En dix ans, quelle a été l’évolution de La Ruche ?
Le programme a commencé sous un chapiteau posé sur le terrain de basket-ball du village. Aujourd’hui, grâce au concours de la National Empowerment Foundation (NEF) et de nombreux sponsors, nous avons ce magnifique centre qu’est La Ruche avec un jardin d’arbres endémiques. Si, au départ, nous touchions principalement les enfants du primaire à travers des activités ludiques, aujourd’hui, nous avons un programme pour ados, qui comprend un service d’écoute et de partage, des ateliers de peinture et un jardin communautaire. Il est bon de dire que le jardin communautaire fait partie d’un plus grand projet financé par l’Organisation Internationale de la Francophonie à travers son programme «La Francophonie Avec Elles». Le titre du projet est «Autonomisation des femmes et filles-mères de La Valette» et comprend trois volets : le volet éducatif, le volet sécurité alimentaire et le volet entrepreneurial. Nous ne voulons pas lâcher les jeunes quand arrive le moment de quitter La Ruche mais les suivre encore un peu et les amener à accomplir leurs rêves et devenir pleinement autonomes.
Sur quoi axez-vous la formation des jeunes ?
Notre pédagogie repose sur quatre axes principaux : la participation active des bénéficiaires, la discipline positive, apprendre en jouant et s’amuser en apprenant. Les ateliers de peinture ne sont qu’une composante de ce que nous proposons. Nous avons aussi des cours de cuisine, de jardinage permaculture, de yoga, de musique, des activités ludopédagogiques et du soutien scolaire. Il n’en demeure pas moins que les jeunes aiment tout particulièrement les ateliers de peinture car ils leur permettent d’exprimer ce qu’ils vivent et de partager leurs rêves.
La drogue est un fléau qui gagne du terrain et touche particulièrement les jeunes. Faites-vous également face à ce problème ?
La drogue est, de fait, un fléau ! Mais abordons ce problème sous un autre angle. Je ne suis pas expert en addictologie mais je peux comprendre ce qui peut entraîner quelqu’un dans l’enfer de la drogue et plus particulièrement un jeune. À La Valette, il y a un manque flagrant d’activités. De ce fait, les enfants n’ont pas de loisirs sains (ex. il n’y a pas de bibliothèque dans le village, pas de foot, de volleyball…) et ils se retrouvent sous l’influence négative des plus âgés. L’oisiveté et le manque d’activité engendrent des maux sociaux : grossesse précoce, alcool, cigarettes… La promiscuité est présente au sein des familles, vu le peu d’espace dans les maisons, et le nombre de personnes y vivant (à 15 parfois !), d’où le risque d’attouchements et d’inceste. Je ne cherche pas à excuser mais à comprendre afin de pouvoir apporter des réponses plus adéquates.
Pour remédier à cette situation donc, nous avons mis sur pied un groupe de parole pour les adolescents. Nous mettons à contribution d’autres associations et/ou des experts dans le domaine. C’est ainsi que nous avons lancé, avec le soutien et l’apport incommensurable de Jacques Lafitte, des sessions de Life skills et de Parental skills, Aujourd’hui, sept filles ont pu compléter leur formation Projet Employabilité Jeunes du groupe Beachcomber et sont actuellement stagiaires dans un des hôtels de ce groupe.
Le Covid-19 est-il venu amplifier les problèmes à La Valette ?
La situation économique de La Valette s’est aggravée avec la pandémie de Covid19, ce qui a causé beaucoup de tort. Il est bon de se rappeler que La Valette avait aussi été décrétée zone rouge pendant 15 jours. Avec l’aide de quelques autres associations, nous avons distribué des colis alimentaires à toutes les familles. Ce fut un grand et réel élan de solidarité. Mais les plus grands maux que la pandémie a causés sont la détresse psychologique, les situations économiques encore plus précaires et le décrochage scolaire pour certains. Là, nous avons dû revoir notre mode d’opération : tenir des ateliers le matin et l’après-midi afin de respecter les règles sanitaires, tout en assurant une présence réconfortante auprès des enfants et – par ricochet – des habitants pour qu’ils ne sentent pas encore plus exclus.
Depuis dix ans que vous existez, quel a été votre plus grand défi ? Et comment essayez-vous d’en venir à bout ?
Je pourrais vous parler du transport public, du manque d’éclairage la nuit, de notre centre, qui devient de plus en plus étroit… Mais, le plus grand défi auquel nous faisons face est le regard que les autres portent sur les habitants – donc des enfants – de La Valette. Un regard qui ostracise et stigmatise ! Exposer les œuvres des enfants, les amener à découvrir que la pauvreté n’est pas une fatalité, leur dire et leur montrer qu’ils sont citoyens à part entière de ce pays… Oui, La Valette mérite d’être valorisée : les enfants et jeunes qui fréquentent La Ruche nous montrent la voie chaque jour !
Lors des anniversaires, les souhaits sont de mise. Quels sont les vôtres ?
Que La Ruche devienne une école à part entière pour les adolescents déscolarisés de La Valette – et il y en a un bon nombre – qui leur permette d’avoir un autre regard sur l’éducation et qui leur montre qu’ils sont capables de prendre part à la vie socio-économique du pays. Et, bien sûr, que nous puissions continuer ce que nous avons commencé, il y a dix ans : les ateliers et activités après les heures de classe.
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