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Père Jacques-Henri David: «Les Agaléens sont là pour éviter tout accaparement étranger»
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Père Jacques-Henri David: «Les Agaléens sont là pour éviter tout accaparement étranger»
Curé de la paroisse St-Michel à Grand-Gaube, il offre aussi un soutien spirituel aux gens de la mer et à leurs familles, qu’ils soient Mauriciens ou étrangers en difficulté à Maurice. Revenant d’une visite pastorale à Agaléga, il nous fait un constat sans langue de bois de la réalité des îles et de leurs habitants.
Vous rentrez d’Agaléga, où vous étiez depuis Noël. En un mois, avez-vous vu une évolution rapide des travaux en cours ?
J’ai été envoyé en mission à Agaléga par l’Évêque pour célébrer Noël, un temps fort dans la vie de l’Église pour affirmer sa foi en l’incarnation. C’est aussi un temps de célébration des sacrements, qui marquent les étapes dans la croissance de la foi chez les croyants – baptême, confirmation, eucharistie, mariage, etc. C’est donc une visite pastorale pour renforcer leur recherche spirituelle et répondre à leurs questions ainsi qu’un temps de ressourcement avec les soeurs des Filles de Marie, qui animent l’Église à Agaléga.
Quelle ont été vos premières impressions à la vue des infrastructures, jetée, piste, tour de contrôle, bâtiments… ? Avez-vous pu parler aux gens d’Afcons ?
En débarquant au Port-Saint-James, à La Fourche, le roman de Rabelais, Pantagruel et Gargantua, est remonté dans ma mémoire. Je me suis retrouvé devant un développement excessif et démesuré pour une si petite île. Toutefois, nous ne pouvons qu’admirer l’ampleur du travail abattu tout en faisant front à la pandémie du Covid et aux caprices de la mer. Les travaux sont au stade des finitions, la fin étant prévue avant la fin de mars. Les ouvriers indiens qui terminent leur contrat de travail avec Afcons sont en train d’être rapatriés.
Quand ont-ils commencé à partir ? Comment partent-ils ? Via Maurice ?
Chaque bateau ramène à Maurice une centaine de travailleurs qui prennent la correspondance par le premier avion pour l’Inde. Ils ont tous hâte de retrouver leur famille. Beaucoup sont contents de leur expérience et souhaitent renouveler leur contrat pour travailler ailleurs sur un autre gros chantier. J’ai entre autres rencontré des cadres, qui ont tous travaillé dans d’autres pays. Il faut reconnaître qu’Afcons a l’expérience pour gérer la relation entre la communauté locale et ses travailleurs.
Comment les dortoirs et infrastructures temporaires quittent-ils Agaléga ? Vont-ils à Maurice ?
Il y a une devise chez les scouts qui dit : «Un scout ne laisse pas de traces.» De même, Afcons ne laisse pas de traces ; toutes les vieilles ferrailles sont ramassées pour être recyclées en Inde ; les dortoirs sont démontés ; tout est en train d’être collecté dans un souci du respect de l’environnement.
Les Agaléens peuvent-ils se déplacer librement ? Le visage d’autres parties de l’île a-t-il changé ? Les maisons et bâtiments des Agaléens sont-ils bien entretenus ? Par qui ?
Les habitants d’Agaléga ont pris conscience qu’ils habitent maintenant sur une restricted island et ils commencent à découvrir qu’il y aura des restricted areas à l’avenir. Comme partout ailleurs, les aéroports et ports sont des endroits contrôlés avec des normes de sécurité internationales. Comme les Agaléens sont des employés de l’Outer Islands Development Corporation (OIDC), qui dépend du bureau du Premier ministre, ils sont conscients que leur avenir dépend de l’avenir de cette dernière. Donc, l’état de leurs maisons et des infrastructures des îles du Nord et du Sud reflètent l’état d’âme de l’OIDC. Ainsi, l’OIDC et les habitants semblent être en mode attente. Les premiers ministres indien et mauricien ont déjà bien fait comprendre que nous sommes dans le cadre du secret d’État. Face à l’inconnu, on ne peut donc que rêver que l’île soit un haut lieu de transbordement pour l’industrie de distant fishing (pêche hauturière), en regardant les cold rooms ; ou une île de réhabilitation pour grands malades, en épiant le futur hôpital.
Les îles d’Agaléga sont deux cocoteraies et la vie des habitants employés pour maintenir ces cocoteraies et pour l’entretien des îles tourne donc autour de leur emploi. La pêche n’est qu’une activité secondaire pour la consommation de la communauté. Les habitants pensent que leur présence sur l’île est un service à la République car, si elle était déserte, beaucoup de pays seraient intéressés à l’accaparer en raison de sa position centrale dans l’océan Indien. Ce ne sont pas les cocos d’Agaléga qui intéressent le gouvernement mais la présence de ses habitants. Alors, on leur accorde les services de santé, d’éducation et de communication comme le téléphone et l’Internet, pour qu’ils restent sur l’île. Nous comprenons que le traumatisme de la déportation des Chagossiens hante encore les Agaléens bien que chaque île possède sa spécificité.
Quant à l’archipel de St-Brandon, que vous inspire cette volonté du gouvernement de s’offusquer du bail accordé à Raphaël Fishing, alors qu’il n’a rien pu faire pour le «Yu Feng» et induit la population en erreur en sous-entendant la souveraineté (ce qui n’est pas le cas puisque l’État mauricien y est bien souverain…) ? N’y a-t-il pas un paradoxe à vouloir reprendre des îles (pas toutes gérées par Raphaël Fishing) d’une compagnie mauricienne, qui a pu les préserver comme sanctuaire naturel, alors que l’on octroie des permis de pêche dans notre ZEE à des sociétés étrangères et que nos garde-côtes sont incapables de contrôler la pêche illégale ?
Saint-Brandon a sa particularité et elle est convoitée par les «pêcheurs de banc» ; des accidents sont restés dans la mémoire des pêcheurs de Saint-Brandon, tel le naufrage de King Fish II et V en février 2007. J’ai vu à la MBCTV la déclaration d’un ministre et c’est comme la bande dessinée Iznogoud : «Je veux être Calife à la place du Calife». Nos îles et îlots – Bénitiers, Raphaël, et autres – bien que gérés par des particuliers, sont tous la propriété de l’État. À Saint-Brandon, il y a déjà la présence de la SMF, de la garde-côte et de la météo ; il n’y manque que la Riot Unit ! Des surveys sont faits et l’OIDC a un oeil sur Saint-Brandon aussi. À mon avis, l’intervention du ministre est un pari sur Raphaël Fishing qui fait penser au cas du Mauritius Turf Club. Le système reste et les acteurs changent. Saint-Brandon est une île convoitée par l’industrie de la pêche.
Pour des insulaires, sommes-nous vraiment un peuple de marins ? Cela fait-il la différence avec les gens des îles éparses (voire de la côte à Maurice) ? Selon vous, qui animez l’Apostolat de la mer, y a-t-il une réelle compréhension de l’océan depuis les bureaux feutrés de la capitale ?
Nos politiciens nous ont habitués à faire valoir leurs actions en faveur de leur circonscription. Petit à petit, le sens de l’État s’est effrité et le côté de Maurice comme État archipel est loin à penser. Même en traversant le Chien de Plomb, nous ne voyons plus la mer. En nous concentrant seulement sur la circonscription, nous sommes en train de nous enfermer. Donc, je me rends compte que parler de solidarité avec les gens de la mer, c’est comme parler une langue étrangère.
S’il y a une chose que nous enseignent les marins, c’est bien la solidarité, la fraternité en mer. Peu importe la nationalité, les circonstances (on le voit avec les migrants dans la Méditerranée ou le sauvetage des pêcheurs du «Yu Feng» par Raphaël Fishing…), on se doit d’aider un bateau en détresse. L’égoïsme et les intérêts de ceux qui sont terre à terre sont-ils compatibles avec ces valeurs universelles ?
Stella Maris/Apostolat de la mer est une organisation d’Église avec son siège au Vatican, dont la mission est de veiller au bien-être des gens de la mer. Nous collaborons avec d’autres organisations, telles que l’ITF, le BIT et la FAO… Tous les pays ont les mêmes problèmes quand il s’agit d’intervenir en faveur des marins, qui sont des migrants par leur profession. Nous sommes témoins de la lourdeur de la bureaucratie. Nous voyons des marins retenus à terre sans salaire pour un temps indéterminé juste parce qu’ils ont été témoins d’un incident. Bien que les marins contribuent à un fonds de solidarité à chaque escale dans certains ports, la priorité pour les aider promptement ne suit pas par manque de considération envers les gens de la mer. Dans tous les pays, les pêcheurs sont traités en dernier quand il s’agit de développement ; et l’île Maurice n’y fait pas exception. Dans la région de l’océan Indien, les Seychelles représentent le seul pays à avoir signé la Fishing Convention 2007. Donc, faire les Mauriciens prendre conscience que nous sommes un peuple qui dépend de la mer est certainement un travail de longue haleine.
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