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Les drains de la colère
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Les drains de la colère
Ce n’est sans doute pas la première, ni la dernière, scène de désolation dont nous sommes témoins depuis la fin de la semaine dernière avec les pluies torrentielles qui ont balayé les différentes régions du pays. De Bambous à La Gaulette, de Fond-du-Sac à Souillac, de Roche-Bois à Vallée-des-Prêtres, aucune région n’a été épargnée par la colère de Dame Nature. Et, comme c’est souvent le cas, devenant aujourd’hui une constante, la station météorologique de Vacoas est mise au banc des accusés, fortement blâmée par la population pour ses prévisions souvent discutables, qui causent une situation de panique dans le pays avec, à la clé, des cafouillages énormes au sein des établissements scolaires. Et, avec raison, selon la population dans sa grande majorité.
Pour le moment, le gouvernement fait ses comptes : plus de 1 200 sinistrés à ce jour, répartis dans 21 centres d’évacuation. Un nombre qui pourrait augmenter au fil des jours au terme de l’exercice d’enregistrement entrepris par des fonctionnaires de la Sécurité sociale pour évaluer les dégâts causés aux logements et aux effets mobiliers de ces sinistrés avant de chiffrer une compensation.
C’est toujours le même rituel après une catastrophe naturelle qui, depuis dix ans, frappe le pays avec une rare violence et qui continuera ainsi, sur la base de tous les rapports des institutions internationales et des experts, en raison du changement climatique et du réchauffement planétaire. Depuis les inondations meurtrières de mars 2008, à Mon-Goût, qui avait été la scène de quatre décès tragiques, dont celui d’une collégienne de 13 ans, emportée par les eaux de la rivière Citron ; sans oublier celles de mars 2013 où des pluies torrentielles baptisées par la suite «flash floods» s’étaient abattues sur la capitale, faisant 11 morts, dont six dans le tunnel du Caudan, c’est toujours l’état des drains qui est à l’origine des accumulations d’eau dans certaines régions du pays, connues comme étant à risque d’ailleurs par les autorités et dangereuses pour les habitations.
«D’un régime à l’autre, les investissements dans les infrastructures se sont multipliés mais les résultats au terme des travaux interpellent.»
Or, d’un régime à l’autre, les investissements dans les infrastructures se sont multipliés mais les résultats au terme des travaux interpellent. Du coup, on peut raisonnablement se demander s’ils ont été réalisés par des ouvriers qualifiés ou par ceux qui gagnent leur vie en mode bat baté. Sinon, comment expliquer qu’après de fortes pluies entraînant des inondations, les drains sont incapables de résister à ces torrents d’eau et doivent mobiliser sur place nos VVIP et fonctionnaires pour un nouveau constat d’infrastructures exécutées récemment pour canaliser l’eau sur certaines routes principales du pays.
Pourtant, on a eu droit au National Flood Management Programme, annoncé dans le Budget national 2021-22, étalé sur trois ans et nécessitant un investissement de Rs 11,7 milliards. Ce programme, qualifié d’envergure pour la gestion des inondations, consistera comme on peut lire à la page 6 du discours du Budget du ministre Renganaden Padayachy, «en la construction et la mise à niveau de quelque 1 500 projets de drainage à travers l’île au cours des trois prochaines années en commençant par les zones à hauts risques d’inondation…» Sans doute, on ne peut blâmer le Trésor public d’avoir investi une telle enveloppe financière dans la modernisation de l’infrastructure, qui, ajoutée à celle de l’année dernière, porte le montant à Rs 15,5 milliards. Une somme colossale !
Mais pour autant, il faut se demander où ces milliards sont drainés quand on constate les torrents d’eau qui, à défaut d’être captés pour remplir les réservoirs à sec depuis des semaines, ont fait exploser les canalisations, les routes et balayé des maisons. Cela, alors même que le programme de gestion des inondations est déjà dans sa deuxième année d’exécution. Ainsi, comme dirait l’autre, si ce ne sont pas des contrats juteux partagés entre proches du pouvoir, hier comme aujourd’hui, n’ayant aucune conscience professionnelle que de se remplir les poches au lieu de s’assurer que les travaux répondent aux exigences des autorités et aux attentes de la population, cela y ressemble en tout cas étrangement…
«Il faut se demander où ces milliards sont drainés quand on constate les torrents d’eau qui, à défaut d’être captés pour remplir les réservoirs à sec depuis des semaines, ont fait exploser les canalisations, les routes et balayé des maisons.»
Certes, les prévisions de la météo demeurent une source de polémique depuis des années à chaque évènement et ce sera ainsi au passage d’autres calamités naturelles. La station s’est sans doute basée sur des données qu’elle a jugées rationnelles pour enlever l’alerte de fortes pluies le matin du fameux jeudi 26 janvier, alors que la dégradation du temps avec des pluies diluviennes dans l’ensemble du pays aurait dû interpeller les spécialistes de la station que le pire était peut-être à venir et qu’il fallait repasser à l’alerte de fortes pluies. Pour ainsi éviter avec raison la colère des parents et des responsables d’institutions scolaires, qui ne savent à ces moments-là à quel saint se vouer.
La propagande grossière de la télévision nationale en diffusant, dimanche, les images de la détresse de la population malgache face aux récentes inondations constitue davantage de la provocation si elle veut faire croire que les séquelles d’une catastrophe naturelle ne sont pas limitées qu’à Maurice. Certainement oui, mais elle ne rassure pas pour autant ces victimes, comme cette maman qui a eu l’ingénieuse idée de prendre en photo son bébé sur un matelas flottant à La Gaulette. Une photo qui a ému plus d’un et provoqué un élan de solidarité de certaines familles prêtes à l’aider.
C’est d’ailleurs pourquoi la visite de Pravind Jugnauth au lendemain des inondations du 26 janvier, accompagné des élus de la majorité, pour un constat à Fond-du-Sac et dans trois régions de sa circonscription (n°8), ressemblait beaucoup plus à un show premier ministériel, loin de rassurer les habitants de ces zones dévastées.
On ne dira jamais assez que gouverner, c’est prévoir et que le pays est condamné à subir d’autres calamités naturelles avec pluies torrentielles et torrents d’eau. Il suffit d’un peu d’imagination et de planification pour limiter les dégâts, quitte à réunir les meilleures compétences locales, de quelque bord politique qu’elles soient, et des experts étrangers dans des domaines allant de l’urbanisme à la météorologie, en passant par le réchauffement planétaire.
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