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Angelo Mars: «La stigmatisation cause énormément de tort»
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Angelo Mars: «La stigmatisation cause énormément de tort»
La vie offre parfois, au détour d’un événement, de belles histoires à raconter. Comme celle de cet ado, fils d’ouvrier, devenu le premier lauréat de Résidence Barkly. Le jeune homme, souriant, humble et courtois qui «Sant l’amour» de Kaya (voir sur lexpress.mu) a plusieurs cordes à son arc ou plutôt à sa guitare. S’il est sur une autre planète depuis que les résultats ont été annoncés, il garde les pieds sur terre…
Cela fait quoi de se dire que l’on est lauréat ?
C’est extraordinaire, je suis à court de mots.
Ça bouffe quoi un lauréat ? Du lion ? Ça dévore des livres ?
(Rires) J’aime la pizza et alors là, toutes les pizzas. J’ai même essayé d’en préparer. En fait, j’aime bien les pâtes aussi. Eh oui, j’aime lire.
Sinon tu es fan de séries ou de films ?
Je ne regarde pas beaucoup la télé... Je suis plutôt abonné aux médias et je suis les actualités locales et internationales de très près via les outils informatiques. Pour me détendre j’aime regarder des documentaires, des vidéos humoristiques et des émissions musicales.
C’est rare chez les jeunes de ton âge, surtout aujourd’hui où le fait d’avoir un smartphone peut très vite faire basculer dans l’addiction numérique...
La technologie est un outil qu’on doit savoir utiliser. Toute chose en excès nuit et je le sais !
On dit souvent que les jeunes sont insouciants, irresponsables, coupés de la réalité et accros à la technologie, tu arrives à te situer dans cette génération ?
Oui et je ne suis pas d’accord avec ces étiquettes qu’on nous colle sur le dos. Tout est une question de choix et il suffit de trouver un juste équilibre. C’est vrai que nous avons nos défauts, mais tout le monde a été jeune et ceux qui nous critiquent n’étaient pas parfaits non plus que je sache. Beaucoup de jeunes ont simplement besoin de sentir qu’ils ont leur place dans cette société et là sans doute, ils quitteront les écrans, les addictions pour s’épanouir dans la réalité et montrer leur potentiel.
Tu as grandi dans ce que tu appelles fièrement une cité ouvrière – Barkly – où malheureusement le fléau de la drogue s’est emparé de beaucoup de jeunes et même d’enfants. Comment as-tu fait pour ne pas te laisser tenter ?
C’est grâce à l’éducation et le sens de discernement que m’ont inculqué mes parents. La famille a un rôle clé à jouer. Il faut comprendre que la plupart du temps, ce sont justement des problèmes familiaux qui exposent les jeunes aux fléaux et qui engendrent encore plus de conflits et de douleurs; c’est un cercle vicieux. Mais on ne peut montrer personne du doigt, tout le monde n’a pas la même chance. Je ne dirais pas non plus qu’il faut surveiller ses fréquentations car l’on peut côtoyer tout le monde ; on ne doit mettre personne de côté, rejeter qui que ce soit, mais il faut simplement ne pas se laisser influencer et savoir discerner le bien du mal.
Tu as avoué suivre de près l’actualité ; quand tu vois des jeunes qui se laissent tenter par l’argent facile, tu en penses quoi ?
C’est la nature humaine. Certains basculent dans l’illégalité pour le plaisir certainement mais il y en a aussi qui le font par manque d’options. En fait, la question que tout le monde devrait se poser, c’est pourquoi l’argent facile intéresse de plus en plus les jeunes? N’est-ce pas la faute à l’exclusion sociale? La marginalisation?
Après la proclamation des résultats vendredi, tu as parlé d’endroits que l’on stigmatise justement, comme celui où tu as grandi ? Cette stigmatisation, tu l’as ressentie aussi ?
Définitivement ! La stigmatisation cause énormément de mal. C’est un fléau social et je dirais même une des racines de l’exclusion sociale. «Insuffler» un manque de confiance à une partie de la population est ce qui rapproche les gens des fléaux comme la drogue justement. Il y a la pauvreté aussi, tous les Mauriciens ne sont pas égaux devant la misère. En tant que petit pays d’Afrique, Maurice a beaucoup avancé économiquement, mais nombreux sont ceux qui sont restés sur le banc de touche. Tout le monde ne profite pas de la richesse engendrée par la croissance.
Comment cela a été pour toi d’évoluer dans un collège où, l’on ne va pas se mentir, beaucoup d’élèves ont déjà tout ce dont ils ont besoin pour réussir ?
Cela a été un peu plus compliqué, c’est vrai. Je ne parle de soutien car mon collège, mes professeurs et surtout mon recteur m’ont très bien accompagné. J’ai aussi eu la chance d’avoir de très bons amis. Mais la situation n’était pas aussi simple. Comme les autres élèves n’ont pas le même mode de vie, la manière de voir et d’approcher les choses était différente. Certains ne connaissent pas la dure réalité de la vie, n’ont pas côtoyé des fléaux sociaux de près. Donc ce n’était pas toujours facile d’interagir...
Alors que tu entamais ta dernière année, ton papa, qui travaille dans la construction, a eu un grave accident. Comment as-tu vécu ce cauchemar ?
C’était une épreuve difficile. Remplie d’incertitudes. Je m’inquiétais beaucoup pour mon papa et j’avais des difficultés à me concentrer en classe. C’était aussi difficile parce qu’on a cru qu’il ne pourrait plus travailler. Je me suis demandé si je pourrais continuer à prendre des cours particuliers et j’ai ressenti une certaine pression. Mais heureusement que graduellement il a commencé à récupérer et là je me suis senti soulagé.
Tu en as bénéficié toi-même mais tu as aussi été bénévole quant à un projet qui aide les familles vulnérables issues de ta localité, qu’est-ce que cela t’a apporté ?
J’ai été davantage exposé à la dure réalité, aux inégalités. J’ai essayé de me mettre dans la peau de ceux qui sont exposés à toutes sortes de fléaux, tout en étant moi-même un enfant qui vient d’une famille soudée, mais qui n’a pas les poches pleines. Cela m’a encore plus motivé à donner le meilleur de moi-même, pour moi-même, ma famille mais aussi pour les autres. Je voulais montrer que ce n’est pas l’endroit d’où on vient qui compte, je voulais être un exemple pour que les autres voient qu’on peut progresser.
Tu dis vouloir changer les choses. Penses-tu que la politique pourrait t’intéresser plus tard ?
(Rires) Un bon politicien ne choisit pas de faire la politique mais c’est la politique qui le choisit. Aujourd’hui, je ne peux donc pas vous répondre par oui ou par non. Si je ressens l’appel de l’estrade dans les années à venir, je me lancerais mais ce n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant. Je ressens une forte envie d’aider mon pays et la communauté mais cela peut se faire autrement que via la politique ; il y a le social aussi. Demain, si mes finances me le permettent, I really want to give back to society.
Tu veux donc rentrer au pays après tes études ?
Certainement! Je souhaite rentrer si je trouve l’opportunité que je cherche.
Pour en revenir à la politique, en tant que jeune, qu’est-ce qui cloche selon toi à Maurice et que doit-on faire pour changer le système ?
Premièrement, ce qui cloche selon moi c’est l’âge moyen de nos politiciens. Les partis n’accueillent pas suffisamment de jeunes. Deuxièmement, on ne va se le cacher, la politique basée sur l’ethnie pose un véritable problème. Certes, cela s’est amélioré comparé à avant mais il y a encore un gros travail à faire. Ajoutez à cela les money politics et on a l’impression que la politique à Maurice est devenue un business…
Tu vas désormais te rendre en Angleterre pour étudier la finance. T’avais quel âge quand tu t’es dit que tu la voulais cette bourse ?
J’avais 6 ans. J’étais en train de regarder la proclamation des lauréats aux infos. J’ai demandé à maman ce qui se passait, pourquoi ils étaient si contents et elle m’a expliqué ce que c’était qu’un lauréat. Depuis ce jour, c’était mon rêve d’en devenir un…
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