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Bourses d’études: un changement en profondeur est nécessaire
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Bourses d’études: un changement en profondeur est nécessaire
Chaque année, les ministres de l’Éducation successifs reviennent avec la même rengaine : les lauréats doivent revenir au pays après leurs études. S’ensuit l’éternel débat des fonds publics pour payer les études de l’élite dont la majorité ne revient pas au pays. Mais qu’estce qui pousse les lauréats à ne pas revenir au pays ? Que faudrait-il changer au système ?
Krishnee Appadoo était lauréate de la filière Arts de la cuvée 2005. Elle a décidé de poursuivre ses études en Angleterre et a opté pour LLB with French Law au University College of London. Par la suite, elle a poursuivi ses études à l’université d’Aix-en-Provence. «Je suis reconnaissante pour cette bourse car sans cette aide, je n’aurais pas pu faire tout cela», dit-elle. Après ses études, elle a commencé un mastère et s’est préparée à passer l’examen du barreau.
Mais sa santé ne lui a pas permis de compléter le barreau. Après son mastère, elle a trouvé du travail et a enchaîné les passages dans les instances internationales telles que les Nations unies et la Cour pénale internationale. En 2011, elle rentre à Maurice. «Mon retour a été motivé par la reconnaissance. Après tout ce que le pays a fait pour moi, il était temps de mettre mes connaissances et compétences acquises à disposition pour faire avancer les choses.»
La désillusion sera vite au rendez-vous. La jeune professionnelle ne s’attendait pas à avoir un travail sur un plateau, mais ne s’attendait pas non plus à faire face à tant d’obstacles. Un an après son retour à Maurice, elle passe le concours pour le poste de deuxième secrétaire au ministère des Affaires étrangères. Cela devait déboucher sur une interview pour le poste. Les semaines se transforment en mois ; rien ne se passe. Pas un appel, même pas un mail ne serait-ce que pour l’informer que sa candidature n’a pas été retenue.
En 2013, Krishnee Appadoo obtient une bourse pour un mastère en diplomatie à la School of Oriental and African Studies. Elle s’envole encore une fois avant de revenir au pays, où elle est finalement employée par une institution parapublique.
Discrimination et copinage
Là, petit à petit, Krishnee Appadoo se rend compte à quel point le problème est plus profond. En 2012, lorsqu’elle n’avait pas eu de réponse, elle avait mis cela sur le compte de candidats plus expérimentés. Mais après huit ans, son point de vue a changé. «Lorsque je prends en compte mon expérience et celle de mes amis et collègues, je suis persuadée que les jeunes qui ont du talent, de l’éthique et qui sont brillants ne sont pas valorisés à Maurice s’ils n’appartiennent pas au bon cercle.» C’est précisément ce que les jeunes lauréats craignent.
Luciano Azor est lauréat de la cuvée 2017. Pour lui, il est logique que les lauréats reviennent au pays car les études ont été financées par l’argent public. Toutefois, la question qui mérite d’être posée, selon lui, est de savoir si le pays donne envie aux lauréats de revenir. «Plus je suis l’actualité, plus je me rends compte qu’il n’y a pas de chance pour ceux qui ont des compétences. Il y a de moins en moins de méritocratie», avance-t-il sans détour.
Il estime qu’après tant d’années d’études, personne ne voudra revenir au pays pour avoir un travail en dessous de ses compétences avec un salaire dérisoire. «Cela ne s’applique pas que pour les lauréats. Il faut voir combien de jeunes quittent le pays et ne reviennent pas après les études.»
Oliver Lacaze, lauréat de la même cuvée, va plus loin. Tout d’abord, il parle du problème de mismatch. «J’ai un ami qui a fait des études en énergie nucléaire. Le marché local n’a rien pour lui.» Il précise que c’est la petite partie du problème. Un autre secteur qui ne cesse de fleurir à Maurice est la finance. Malgré les offres d’emploi, ceux qui optent pour cette filière ne rentrent pas au pays après les études.
«Mon observation est que l’herbe est peut-être plus verte ailleurs. Hors de Maurice, le salaire est proportionnel aux qualifications, il y a une offre culturelle diverse, il y a la liberté de vivre. Puis, que ce soit à Maurice, en France ou en Australie, chacun choisit la manière de mener sa vie.» Il réitère le même point que ses deux camarades: le copinage ou encore la discrimination basée sur le nom.
Tous ces problèmes ne sont pas théoriques. Krishnee Appadoo les vit. «Malgré mes compétences, je n’ai jusqu’ici jamais été consultée par les autorités sur des sujets dans mon domaine d’expertise. J’aurais aimé apporter mes compétences au service du pays. Je suis rentrée pour cela ! Alors que je suis reconnue dans les instances internationales, je vois des personnes avec bien moins de compétences nommées sur les boards et autres comités», déplore-t-elle. À l’international, c’est une autre histoire : elle vient d’avoir un fellowship octroyé par les Nations unies.
Il est clair qu’il faut du changement, et cela doit commencer par les mentalités, affirme-t-elle. «Tous les ans, les lauréats sont vilipendés car ils ne rentrent pas. Mais cette même population ne vote jamais pour que le système change afin de lui donner un environnement où elle peut évoluer sainement.» Encore une fois, elle utilise ses propres expériences pour illustrer ses propos. «Lorsque je critique une décision environnementale, je parle de la politique, pas d’un parti. Mais ici, tout est lié. Il faut que la manière de penser change avant tout.»
Justement, tous ces jeunes avec diverses compétences ne vont-ils pas aider à faire changer les mentalités s’ils rentrent ? Certes. «Mais il faut une réflexion et un plan de vie avant de vouloir changer le monde», dit Luciano Azor. Il a terminé ses études, mais sent qu’il n’a pas encore le bagage et l’expérience nécessaires pour entamer un quelconque changement à grande échelle.
Tout d’abord, il parle de l’actualité, et de ceux qui se retrouvent inquiétés par les instances du pays dès qu’ils élèvent la voix. «Mais après, ce n’est pas l’affaire que des lauréats. Le changement d’un système dysfonctionnel est l’affaire de tous.»
Quant à Oliver Lacaze, s’il pense qu’il doit rentrer aussi, le projet n’est pas pour de sitôt. «Je dois compléter mon mastère et finir mon doctorat, vu que je prévois de me lancer dans l’enseignement supérieur et la recherche.» Mais il parle aussi de changement qu’il souhaite voir, et dans un futur lointain, il compte y contribuer en se lançant en politique. Toutefois, il estime aussi qu’il faut le bagage nécessaire et une base solide avant d’essayer de changer les choses.
Voies possibles
Le problème est finalement le serpent qui se mord la queue. Il faut du changement, mais ceux qui peuvent ou souhaitent l’apporter n’auront pas leur chance de le faire s’ils rentrent au pays. Cependant, tout espoir n’est pas perdu. Oliver Lacaze rappelle que les lauréats ne représentent même pas 1 % des élèves qui prennent part aux examens du HSC. «Attention, je ne suis pas en train de cracher dans la soupe. J’ai eu ma chance et je suis reconnaissant. Mais je pense tout de même qu’il y a une valorisation trop extrême des lauréats.»
Le problème commence bien avant, précise le jeune homme, avançant qu’en School Certificate, toute l’attention se cristallise sur ceux qui ont eu six unités alors que les autres sont pratiquement laissés de côté. «Le changement qui doit opérer est que la chance doit être donnée à plus d’élèves. Un petit pas a déjà été fait dans cette direction», dit Luciano Azor. Il évoque les bourses pour le HSC Pro.
Il avance que la chance doit aussi être donnée à ceux qui choisissent des filières non-académiques. «Une société a aussi besoin d’une élite sportive et artistique. Je suis moi-même un produit du système qui force à emmagasiner le plus d’informations, mais ce n’est pas propice au changement. Je suis sûr que les fonds pour mettre cela en place existent. C’est une question de volonté.»
De toute façon, dit Krishnee Appadoo, revenir simplement pour rendre service au pays est une notion passée en 2023. Dans le monde actuel, il est possible d’aider sans être physiquement sur place. «Il faudrait commencer par la création d’un Laureate Alumni Council pour faire un “mapping” de tous les ex-lauréats qui sont à Maurice et à l’étranger afin d’avoir des informations sur leur expertise», et les solliciter en cas de besoin.
De plus, elle estime que les lauréats doivent avoir une obligation de travailler pro bono pour l’avancement du pays, peu importe leur secteur. Ce n’est d’ailleurs pas les boards et comités qui manquent dans le secteur public et para-public. «Il devrait également y avoir plus d’accès aux connaissances sur les autres bourses offertes aux diplômés qui ont brillé dans leurs études», dit-elle, rappelant qu’elle a cherché, postulé pour et obtenu des bourses, mais les jeunes Mauriciens ne sont pas au courant de cela.
Luciano Azor explique qu’au Luxembourg, il existe des bourses financées par l’État dont 50 % doivent être remboursés, et ce type de chance, pour la majorité de ceux qui ont réussi les examens mais ne sont pas lauréats, contribuerait grandement à l’avancement du pays. Oliver Lacaze, lui, estime que le problème doit être résolu en amont, avant le HSC.
En Grade 12, par exemple, il faut orienter les élèves vers leur centre d’intérêt au lieu de tous les mettre dans le même concours. C’est à partir de là que le système évoluera et se focalisera moins sur les lauréats.
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