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Il était une fois le… Touni Minwi

26 février 2023, 18:00

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Il était une fois le… Touni Minwi

Le passage de Freddy – de par sa puissance et sa trajectoire – a ravivé les souvenirs d’un autre «monstre» : Hollanda. Dans le sillage de ce cyclone dévastateur naquit une légende…

C’était en février 1994. Maurice bravait un des pires cyclones de son histoire. Hollanda atteignait son intensité maximale à minuit, le 10 février, faisant deux morts, 1 300 sans-abri et détruisant le réseau électrique. C’est alors qu’une bonne partie du pays était dans le noir qu’un nouveau phénomène a vu le jour : Touni Minwi… Psychose et terreur s’ensuivirent.

Comparée à un «loup-garou», cette créature étrange, mi-homme nu, mi-bête, s’enduisait d’huile, selon des témoignages, sautait de toit en toit pour s’introduire dans les maisons pour terroriser femmes, hommes et enfants… Il se «transformait» alors en un gros chien noir, avant de disparaître dans la nuit. Il avait été aperçu surtout dans la région de Lallmatie, mais aussi dans la capitale, selon les dires de plusieurs personnes. La «nouvelle» s’étant répandue comme une traînée de poudre, tout le monde s’empressait de rentrer à la maison, de peur de croiser la route de «l’animal féroce» à visage humain.

«Je me souviens que beaucoup de gens disaient l’avoir vu, et les nouvelles circulaient vite. Nous devions être à l’intérieur à 18 heures… Chaque nuit, je faisais mes prières avant de dormir pour qu’il ne vienne pas dans notre maison», raconte un habitant de la région de Lallmatie, âgé de 62 ans. Avec le recul, notre interlocuteur avoue qu’en fin de compte, il s’agissait plutôt d’une fable, fabriquée par certains à l’imagination fertile. «Ti fos sa. Une fois l’électricité rétablie plus tard dans le pays, nous n’avons plus jamais entendu parler de Touni Minwi. Bien que nous pensions à l’époque que ce phénomène était bien réel.»

N’empêche, il n’y a pas de fumée sans feu dit-on. S’agissait-il d’un voleur ? En tout cas, à l’époque, certains y croyaient dur comme fer et l’hystérie collective aidant, des Mauriciens réagissaient en formant des groupes de vigilance pour patrouiller dans les rues et rechercher ce Touni Minwi. Rafick, âgé de 66 ans, un habitant Plaine-Verte, témoigne. «J’avais la trentaine à l’époque. Mes amis et moi faisions le guet pendant la nuit, espérant pouvoir identifier cette chose et lui mettre la main dessus. Nou ti pé fer létour partou. Nous étions munis de bâtons en bois au cas où. Bann kamarad ti pé dir zordi nou gagn li, nou bat li. On le recherchait dans chaque rue, à pied, à moto. Mé létan alé, gété, zamé pann trouv nanié. On a beaucoup ri…»

Certains ont tout de même ri jaune à cause de Touni Minwi. Même les journaux en parlaient alors ; la thèse étant qu’il pouvait s’agir de l’œuvre d’un farceur, d’un pervers ou d’un cambrioleur qui se badigeonnait d’huile pour mieux se glisser dans les maisons. Jetant de l’huile sur le feu, des plaisantins passaient des d’appels téléphoniques et changeaient leur voix pour faire croire qu’il s’agissait de Touni lui-même…

Dans une étude relative à ce dossier, intitulée Werewolves and warning signs: Cultural responses to tropical cyclones in Mauritius, les auteurs affirment que ce type de réaction possède des origines culturelles profondes. En raison de la dégradation matérielle provoquée par les cyclones, ceux-ci sont devenus des éléments essentiels de la culture vernaculaire – de la mythologie à la musique – et des éléments constitutifs du paysage littéraire du sud-ouest de l’océan Indien. Par exemple, à la suite du cyclone Carol en 1960, le chanteur Serge Lebrasse a écrit A Cause sa Siklon la, qui évoque la lutte quotidienne des Mauriciens et met en lumière la vie fragile des pauvres. Le ségatier John Kenneth Nelson a également écrit une chanson similaire, Cyclone Gervaise, après le passage de ce cyclone en 1975. On se souvient également de Hollanda, du groupe Cassiya…

Par ailleurs, les loups-garous font souvent leur «apparition» après les cyclones, notamment dans les livres pour enfants. Et le phénomène ne date pas d’hier. Par exemple, à la fin du XIXe siècle, Le Folklore de L’île Maurice était publié pour la première fois, incluant une histoire en créole à propos d’un homme qui se transforme en loup grâce au vaudou malgache et terrorise les femmes.

D’ailleurs, ceux qui étaient encore enfants ou adolescents à l’époque d’Hollanda se souviennent encore de Touni Minwi. «C’était plutôt un épisode amusant pour nous. Dans de nombreuses cours, les gens plaçaient des bouteilles en plastique remplies d’eau pendant la nuit, en supposant que la lumière de la lune s’y refléterait et ferait fuir la bête. Nous en profitions, nous, pour éclater des pétards afin qu’il s’enfuie au cas où il penserait à venir», raconte Steffan, un trentenaire qui habite les Plaines-Wilhems. «Au fur et à mesure que nous avons grandi, cela est devenu une simple tactique pour renforcer la discipline chez les enfants… Rant dan lakaz sinon Touni Minwi pou kokin twa…» Touni Minwi remplaçait alors parfois le fameux Bolom Sounga, qui fait lui aussi partie du folklore…

Toujours est-il que la peur entourant Touni Minwi était telle que des réunions entre les chefs religieux et la police furent organisées pour tenter de ramener le calme au sein de la population. Le Central Electricity Board a, pour sa part, été contraint d’accélérer ses efforts pour rétablir l’électricité. Au fur et à mesure que la lumière revenait, les histoires sur le Touni Minwi – ou le loup-garou de Lallmatie comme le surnommaient certains – se raréfiaient… La police, elle, bien qu’aux aguets, n’a pas vraiment enquêté.

Ce qui est certain, c’est que la légende de Touni Minwi court toujours…