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Mᵉ Robin Ramburn: «même si Pravind Jugnauth dissout l’assemblée nationale, le conseil privé peut bien écouter l’appel de Suren Dayal»
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Mᵉ Robin Ramburn: «même si Pravind Jugnauth dissout l’assemblée nationale, le conseil privé peut bien écouter l’appel de Suren Dayal»
Cette semaine a été éminemment polico-politico-judiciaire. Il coule de source que notre invité devait être du sérail légal. Le «Senior Counsel» Robin Ramburn jette un regard critique sur les événements de la semaine. Il nous permet de faire d’une pierre deux coups, car il est aussi l’avocat de Suren Dayal qui conteste l’élection de Pravind Jugnauth au Conseil privé du roi Charles III. Autant en profiter pour entrevoir le déroulement de cette affaire. Prudent – mais pas totalement muet – sur le sujet, l’avocat en dit assez pour qu’on anticipe une âpre bataille à Londres.
Nous avons été témoins cette semaine de l’escalade entre le commissaire de police (CP) et le Directeur de poursuites publiques (DPP) quand ce dernier a décidé de ne pas donner suite à l’avis d’appel de la libération sous caution de Bruneau Laurette. Le CP a répliqué avec un communiqué qui a été largement commenté. Comment voyez-vous tout cela ?
Dans une démocratie, chacun a le droit à son opinion. Le DPP occupe un poste constitutionnel, le CP aussi et ils ont chacun ce droit. Est-ce bon de les jeter en pâture au public comme ça, c’est un autre débat. Cela dit, soyons très clair. Le CP est là pour mener des enquêtes, les diligenter, faire ce qu’il doit faire pour que la police assure le good order of society d’après le rule of law. La tâche qui incombe au DPP, c’est de voir si le travail effectué par la police sous l’ordre du CP a été bien fait, s’il y a suffisamment de preuves mises devant lui pour qu’il puisse engager un procès qui a une chance d’aboutir. C’est très simple. C’est prévu par la loi. Ça a été toujours comme ça et ce sera toujours comme ça.
Mettons-nous à la place des deux hommes. Le DPP a un jugement devant lui. Il doit le décortiquer ; voir les témoignages soumis à la cour par les policiers qui ont mené l’enquête. Ce jugement a été émis par une cour de justice impartiale et qui a écouté en toute connaissance de cause toute l’affaire. Cette cour a appliqué tous les principes de droit qui prévalent. Si le DPP était résolu à faire libérer l’accusé, comme certains veulent faire croire, il aurait pu ne pas objecter au ruling le jour même où il a été rendu. Mais dans sa sagesse, il a décidé de prendre connaissance de tous les faits, tous les tenants et aboutissants du procès et décider s’il doit engager l’État. Parce que finalement c’est l’État qui doit payer tout ça. Ce sont les taxpayers qui auraient payé si le DPP avait fait appel du ruling devant la Cour suprême. Le DPP doit décider si cela vaut la peine de dépenser l’argent du taxpayer pour une affaire qu’il risque de perdre. Je crois qu’il a agi à tête reposée, en analysant tout ce qu’il y avait et il a pris la décision qui s’imposait dans les circonstances.
Le CP de son côté n’est pas un juriste. Je suis navré, mais c’est comme ça. Toutes ses décisions doivent donc passer par le DPP. S’il n’est pas d’accord – et il y a des précédents pour cela – il peut retenir les services d’un autre avocat et se passer du DPP. Mais le DPP, là encore, en tant que procureur de l’État a droit à un véto. Dans l’affaire de Satyajit Boolell, le précédent DPP, la police avait retenu les services d’un avocat privé. Si le commissaire n’est pas d’accord, qu’il aille le challenge.
«Je suis navré de le dire ainsi, mais le CP n’est pas un juriste !»
Le «high risk of absconding» que concède la magistrate en émettant son ruling en faveur de la libération de M. Laurette, n’aurait-il pas pu constituer un «solid ground of appeal» du DPP pour faire appel ?
Je vous pose la question en concédant de mon côté que vous n’êtes pas avocat dans cette affaire dont vous ne maîtrisez pas tous les tenants et aboutissants. Merci de le préciser. J’ai suivi l’affaire comme tout le monde en lisant les journaux. J’ai aussi lu le ruling de la magistrate. Ce que j’ai vu en tant qu’homme de loi, c’est que cette dernière a reconnu la possibilité et les risques et qu’elle donne en toute logique des mesures qui vont «mitigate». La question fondamentale que tout le monde semble oublier, on est en train de parler de quoi là ? Il est question de la liberté d’un individu qui jouit, selon la Constitution, de la présomption d’innocence. M. Laurette et tout autre individu est présumé innocent «until proven guilty». Il revient à la poursuite de prouver qu’il est coupable. N’oubliez pas que tous les dictats que nous avons, même du Privy Council, dans les affaires de bail, c’est que «bail is the norm, jail is the exception».
Le CP dramatise quand il déclare que tous les trafiquants de drogue «pou rétrouv zot lor koltar»…
(Il nous interrompt). Ce qu’il ne faut pas faire, c’est dramatiser et généraliser. Chaque cas a ses spécificités. Tous ceux à qui la cour a refusé une liberté conditionnelle ont toujours eu le droit de demander un review à la Cour suprême. Ce n’est pas le ruling de la magistrate dans l’affaire Laurette qui vient de leur donner ce droit. Les particularités de l’affaire Laurette serviront de précédent pour eux ? C’est incorrect de dire ça. Chaque décision de justice est prise selon les circonstances et les faits de chaque affaire.
Quand le CP affirme que des présumés trafiquants arrêtés avec moins de drogue sont toujours «on remand», cela trahit donc une volonté propagandiste ?
Écoutez, je ne suis pas là pour faire le procès du CP. Il est assez grand pour savoir ce qu’il est en train de dire. Je ne vais pas faire de commentaires sur ce qu’il sait et ce qu’il ne sait pas. Bien sûr qu’en tant que CP, il doit savoir beaucoup plus que moi. Maintenant s’il s’avère que c’est une propagande, c’est dommage.
Vous avez cité un peu plus tôt le cas du précédent DPP, Satyajit Boolell, qui a les relations familiales que l’on connaît (il est le frère d’Arvind Boolell). On pensait que les relations entre le pouvoir et le DPP allaient se normaliser avec l’arrivée d’un nouveau DPP. Vous ressentez une continuité des difficultés à cohabiter ?
Je ne sais pas si c’est une difficulté à cohabiter, mais tout DPP qui se respecte ne va pas se laisser marcher sur les orteils. C’est son pouvoir. À la fin du jour, c’est sa décision qui compte. Le DPP n’est pas là pour être assujetti aux directives de qui que ce soit. Tout comme le CP n’est pas censé prendre des directives de qui que ce soit. Il doit travailler en son âme et conscience selon les directives de la Constitution. Seulement pour les policy matters, chacun se réfère à son ministre concerné. L’Attorney General pour le DPP, et le ministre de l’Intérieur pour le CP. Leur cohabitation n’est pas censée être difficile. Les policiers font leur enquête et envoient leur dossier au DPP en lui disant «advise us». Le DPP peut estimer qu’en termes de law of the country, il n’y a pas suffisamment de preuves pour aller de l’avant avec un procès.
«Une fois nommé, le cp possède toute la liberté. Hélas, aujourd’hui, la perception est différente.»
Quand vous considérez les événements de cette semaine, puis la volonté du gouvernement à un moment d’introduire une «prosecution commission» pour mitiger les pouvoirs du DPP et tous les autres événements politico-judiciaires, vous considérez que ce régime-là tente d’exercer une pression particulièrement accrue sur les autres pôles de pouvoir, notamment le judiciaire ?
La meilleure chose qui puisse arriver à Maurice, c’est que les politiciens restent en dehors du judiciaire et de la police. Qu’ils n’interviennent pas. Laissez ces institutionslà fonctionner. Ils sont constitutionnellement équipés pour agir en toute indépendance et n’ont pas besoin des politiciens pour leur dire quoi faire. Quand je dis politiciens, je parle de tous les bords. Je ne suis pas en train de pointer du doigt qui que ce soit pour quelque action que ce soit. On ne peut pas mettre une commission pour superviser le travail du DPP. C’est un poste constitutionnel.
Mais depuis des générations – prenez ça comme une observation subjective si vous voulez – nous n’avons pas eu de police indépendante. Elle a toujours été à la solde du pouvoir, notamment du Premier ministre et ministre de l’Intérieur. C’est un problème constitutionnel ?
Non. Absolument pas. La Constitution confère tous les pouvoirs au CP, une fois nommé, pour qu’il soit indépendant. Ce sont ceux qui occupent le poste qui doivent être forts. Les hommes font l’institution. Un CP n’a aucune raison de se sentir redevable au Premier ministre. Il ne devrait même pas prendre des directives de lui pour les recrutements et promotions.
Le cercle vicieux commence cependant par le fait que c’est le Premier ministre qui nomme le CP…
(Il nous interrompt). Mais une fois nommé, le CP possède la liberté d’agir. Ce système a fonctionné dans le passé. Malheureusement maintenant, la perception est différente. Cette perception est-elle alimentée par la manière dont les affaires sont traitées ? C’est à vous de juger. Ce n’est pas à moi de le dire.
Les CP ont donc du mal à assimiler leurs pouvoirs ? Vous avez vous-même eu des clients qui ont été victimes de répression policière.
Monsieur. (Il rit). Ça, c’est au commissaire de répondre, pas à moi. Mais je dois concéder que la perception est ainsi. On ne peut que constater. Ce n’est pas à nous de répondre. Mais heureusement qu’on a toujours nos cours de justice.
«Même en tant que «senior counsel», je ressens les effets de la cherté de la vie.»
Justement, les cours de justice aujourd’hui sont-elles les seules institutions et pôles de pouvoir qui fonctionnent face à l’autocratie ?
C’est toujours le dernier rempart, et heureusement d’ailleurs. Si un citoyen se sent lésé par des décisions administratives de l’exécutif, ou encore de la police, au moins il sait qu’il peut frapper à la porte du judiciaire et celui-ci va intervenir selon la loi. Cela a fonctionné jusqu’à présent à Maurice et je ne vois aucune raison pour que cela change. En plus, si on n’est pas d’accord avec la lecture du judiciaire mauricien, il y a toujours le recours possible au Privy Council.
Vous êtes aussi l’avocat de Suren Dayal, dont l’appel du rejet de la pétition électorale sera entendue par le «Privy Council» bientôt. D’abord, avons-nous une idée du calendrier ?
On a déjà tout logé. Nous sommes en train de faire toutes les procédures nécessaires et incessamment, l’affaire sera listée (NdlR : la date sera fixée). On a aussi demandé une expedited hearing. Demande à laquelle on a droit au Privy Council. Mais bien sûr, il faut que tout soit d’abord prêt en amont et c’est là qu’on nous donnera une date.
Votre client a essuyé un sérieux revers en Cour suprême. Tous les «grounds» ont été rejetés par les juges qui ont écouté l’affaire. Pourquoi l’issue serait-elle différente au «Privy Council» ?
Parce que les juges ont mal jugé. En droit, je crois qu’ils ont fait erreur. Vous entendrez bientôt les débats au Privy Council. Mais à mon avis, si on applique le précédent du cas Ringadoo vs Ashok Jugnauth, vous obtiendrez la réponse. Je pense qu’on a suffisamment de grounds pour remporter cette affaire au Privy Council.
Sur une échelle de 1 à 10 vous êtes…
(Il nous interrompt) Je ne vais pas spéculer. L’affaire est en Cour et je m’en tiens à ça. Vous m’avez demandé pourquoi je pense que the outcome would be different et je vous ai dit que je pense que les juges ont mal jugé. Je m’en tiens à cela. Vous n’obtiendrez pas plus de moi. Je vais arguer devant la Cour, et pas ici.
En tant qu’homme, l’immensité politique de cette affaire – pouvant invalider l’élection de Pravind Jugnauth, voire le rendre inéligible au prochain scrutin – vous expose-t-elle à une pression supplémentaire ? Ou arrivez-vous à la traiter froidement comme un robot ?
C’est business as usual. Une affaire comme une autre. Un client est venu me voir, il a retenu mes services et je fais mon travail, un point c’est tout. L’identité et les fonctions de l’autre partie me sont égales. J’ai pris cette affaire parce que je pense qu’il y a suffisamment de grounds pour aller de l’avant et on verra. Cela ne me dérange absolument pas et je ne ressens nulle pression. On est formé pour ce genre de travail et on ne personnalise pas les débats. Des affaires comme ça, j’en ai fait, et j’en ferai beaucoup d’autres. L’aspect politique et la personne ne me dérangent absolument pas.
Les rumeurs que le Premier ministre dissoudrait l’Assemblée nationale avant que l’affaire ne soit entendue ou jugée à Londres pour éviter justement les conséquences politiques désastreuses au cas où il perdrait. Ca fait quoi de savoir que vous travaillez peut-être pour rien ?
Ah non ! Pas du tout. Qui vous dit que s’il dissout l’Assemblée, l’affaire ne sera pas entendue et jugée ? De toute façon, comme vous le dites, ce sont des rumeurs et on ne va pas spéculer sur des rumeurs.
Même s’il n’y a pas de «live issue» (NdlR : Pravind Jugnauth ne serait plus Premier ministre, l’assemblée élue en 2019 n’existerait plus et le «Privy Council» ne pourrait pas donc rendre vacant le siège du PM actuel), le Privy Council peut écouter l’affaire ?
Mais absolument. Pourquoi pas ? Parce que cela va servir de guidance pour de futures élections. (Il arrête de parler comme pour dire qu’il ne souhaite pas en dire plus à ce sujet).
Vous êtes aussi l’avocat de Cader Sayed Hossen dans sa pétition électorale…
(Il nous interrompt) Je fais partie du panel, mais dans cette affaire, c’est Me Gavin Glover qui leads the case.
À un moment, on a entendu que votre client aurait pu retirer l’affaire. Du moins, il y aurait eu un certain lobby en ce sens. Vous en avez été témoin ?
Non. Pas à ma connaissance.
C’est la dernière pétition électorale toujours en suspens devant la Cour suprême. Les chances de gagner sontelles toujours réelles au vu de l’échec de toutes les autres pétitions électorales ?
La déontologie m’empêche d’en parler car l’affaire est devant la Cour.
D’un point de vue plus général et moins légal, à la veille du 55e anniversaire de l’indépendance, que pense le citoyen que vous êtes de l’état du pays ? Par exemple, sur le coût de la vie. Un «Senior Counsel» devrait bien gagner sa vie, mais malgré cela, ressentez-vous les effets de la vie chère ?
Eh ben, bien sûr, mon cher ami. Comme n’importe quel citoyen pour moi aussi, it pinches. Nous payons tous l’essence au même prix. Moi en tant qu’avocat, il faut que je circule beaucoup. Vous imaginez ce que cela me fait. En termes d’alimentation et tout ce que nous consommons, presque tout est importé. Vous avez vu le taux du dollar ? Bien sûr que je suis impacté comme tous nos concitoyens. Oui, je ressens la cherté de la vie. Par contre, je me demande comment font ceux qui sont moins favorisés que moi. Je me pose sérieusement la question et je me fais du souci.
Dans votre domaine, une centaine d’avocats prêtent serment tous les ans. La concurrence s’amplifie. Cela vautil toujours le coup de devenir avocat ?
C’est difficile, bien sûr. Quand j’ai commencé il y a 33 ans, c’était déjà difficile. Si vous entrez dans cette profession en croyant que du jour au lendemain vous allez strike gold, ce n’est pas vrai. Nous sommes tous passés par des débuts difficiles. On a eu à toil (NdlR : traduction de souffrir et travailler dur) pendant cinq, six ans. Mais il faut être assidu, il faut être honnête envers soi-même et reconnaître qu’on ne sait pas tout. Il faut aller demander conseil aux Seniors et apprendre de ses erreurs. On est humain, on est sujet aux erreurs. Il faut apprendre, mais pas au dépens de ses clients. Cela prend du temps.
Vous pensez que Maurice est toujours une terre d’opportunités avec une échelle sociale accessible à tous ?
Je pense que oui. Nous avons l’éducation gratuite et je crois que la mobilité sociale existe toujours. L’éducation gratuite, certes, ne résume pas tout. Chaque citoyen doit faire son effort personnel car there’s no free lunch. Je crois toujours dans le hard work, et je pense qu’il paie toujours à la fin du jour.
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