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Le «mété tiré» du commissaire Dip en Cour suprême

9 mars 2023, 22:00

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Le «mété tiré» du commissaire Dip en Cour suprême

Dans un deuxième affidavit logé en Cour suprême hier après-midi, le CP revient cette fois sur sa demande d’extension et demande directement à la Cour de «set aside and quash» la décision de libérer Bruneau Laurette.

Le commissaire de police (CP), Anil Kumar Dip, ne sait plus sur quel pied danser pour contester la libération conditionnelle de Bruneau Laurette. Étant conscient qu’il est bien en dehors du délai pour faire appel du ruling du tribunal de Moka, le CP avait, mardi, logé une demande pour une extension afin de contester la décision de la cour. Or, hier après-midi, le CP revient à la charge avec un nouvel affidavit, demandant cette fois directement à la Cour suprême de «set aside and quash», le bail ruling du tribunal de Moka. Les manœuvres du CP pour contester la libération de Bruneau Laurette et en même temps s’attaquer au Directeur des poursuites publiques (DPP), qu’il accuse d’avoir abusé de son pouvoir constitutionnel, semblent de plus en plus déroutantes.

Sur quels conseils ou sous les ordres de qui le CP est-il en train d’agir ? Car ces épisodes de tantôt demander une extension et tantôt demander un ordre de la cour pour annuler le bail ruling sont perçus comme des actes désespérés pour arriver à ses fins. Mais quelles fins ? Remettre Bruneau Laurette en prison ou démontrer que le DPP n’a pas fait son travail ?

Quoi qu’il en soit, le nouvel affidavit du CP logé hier après-midi ne change rien du fait que sa demande est toujours en dehors du délai de sept jours pour faire appel. Car bien qu’étant le CP qui est responsable du Law and Order dans le pays, ses pouvoirs constitutionnels ne le placent pas au-dessus des lois. Dans le deuxième affidavit, le CP demande à la Cour suprême de «set aside, quash, reverse and amend» la décision du tribunal de Moka. Et aussi de renvoyer l’affaire devant le tribunal pour un nouveau ruling.

Anil Kumar Dip dit agir en tant que chef de la force policière. Pourtant, pour son action en justice, il a opté pour une avouée qui exerce dans le privé et qui n’est autre que l’avouée du Premier ministre, Me Shamila Sonah-Ori. Ce choix de représentant juridique serait-il une pure coïncidence, après que le Premier ministre a publiquement condamné des décisions qui, selon lui, encourageraient des trafiquants de la drogue ? Une question que se posent de nombreux observateurs.

Pouvoirs constitutionnels

Le délai pour faire appel de la décision du tribunal de Moka était le 27 février. Or, ce n’est que huit jours après que le CP, après avoir émis un communiqué évoquant un «evil precedent», a jugé bon de loger une demande pour une bail review, alors qu’il aurait pu le faire bien avant, comme la loi le lui permet. Pour justifier son retard dans son premier affidavit, Anil Kumar Dip évoquait des contraintes dues aux pluies torrentielles.

Mais le CP aura sans doute compris plus tard que cet argument ne tient pas la route car les pluies torrentielles ne remontent qu’à deux jours. Du 27 février au 5 mars, il a fait beau. Ainsi, dans le deuxième affidavit, il s’abstient de parler de pluies torrentielles.

Dans sa demande, le CP s’attaque directement au DPP, qui, dit-il, «has overstepped his constitutional powers under the section 72 of the Constitution». Selon le CP, le DPP aurait agi en tant qu’avocat de la poursuite au lieu de représentant juridique de la police. Pourtant, dans la pratique, c’est la police qui sollicite l’aide et les conseils du bureau du DPP en matière de poursuites et non le contraire. Cette démarche du CP serait-elle une tentative déguisée pour s’attaquer une fois de plus au DPP «through the back door», en évoquant des violations constitutionnelles ?

L’affidavit du CP reste flou quant à ses vrais motifs. En tout cas, ce sera la première fois qu’un CP loge une affaire en cour contre un DPP pour n’avoir pas suivi ses ordres. Pourtant, comme le dit si bien Anil Kumar Dip dans son affidavit, la section (4)(4) (a) de la Bail Act lui donne l’autorisation de contester un bail ruling. Donc, si le chef de la police n’était pas satisfait, l’étape suivante aurait été de loger sa demande dans le délai de sept jours.

Conditions irréalisables

Le CP va un peu plus loin dans son affidavit pour dire que certaines des conditions imposées par la magistrate du tribunal de Moka ne sont pas réalisables car il faut avoir un Judge’s Order pour pouvoir surveiller les appels de Bruneau Laurette. Or, ces conditions que conteste le CP se trouvent bel et bien dans la Bail Act, loi qui régit les décisions de la cour en matière de liberté provisoire. Le chef de la police serait-il en train de dire que ces sections de la Bail Act n’ont pas leur raison d’être car la police a ses limites ? Dans ce cas de figure, cependant, rien n’empêchait le CP de faire une demande pour un Judge’s Order afin de surveiller les appels de Bruneau Laurette. La police l’a fait dans bien des cas dans le passé.

L’affaire sera appelée devant la cheffe juge, Rehana Mungly-Gulbul, lundi. La cheffe juge, à la tête de la Judicial and Legal Service Commission qui a validé la nomination de Me Rashid Ahmine en tant que nouveau DPP, sera appelée à trancher si le CP a vraiment un «arguable case» pour qu’il lui soit accordé une exception pour loger une demande en dehors du délai et si les attaques contre le DPP sont justifiées.

Hors délais

Des avocats que nous avons contactés n’ont pas souhaité faire de commentaire sur la démarche du CP car l’affaire est désormais en cour et ce serait «subjudice». Un Senior Counsel concède cependant que la démarche du CP soulève bien des interrogations car ce n’est pas la première fois que le DPP ne fait pas appel dans un bail ruling pour une affaire de drogue. «Au lieu d’émettre un communiqué, le CP aurait dû abide by the law comme il se doit et demander une révision dans le délai prescrit», dit le Senior Counsel. Il fait aussi ressortir que dans des cas de demandes logées en dehors du délai, la cour ne fait pas de dérogation, à moins que cette affaire cause un grave préjudice si elle n’est pas entendue. Dans ce cas, dit-il, les arguments du CP ne sont pas valables.