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Crise institutionnelle: inaction ou complicité des garants de la constitution ?

10 mars 2023, 17:00

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Crise institutionnelle: inaction ou complicité des garants de la constitution ?

Le conflit entre le commissaire de police (CP), Anil Kumar Dip, et le Directeur des poursuites publiques (DPP), Me Rashid Ahmine, a pris de l’ampleur depuis la démarche du CP d’initier une action en justice pour contester la libération conditionnelle de Bruneau Laurette. En toile de fond, le ruling de la magistrate du tribunal de Moka jugé ultra vires, c’est-à-dire au-delà de ses pouvoirs, et les pouvoirs constitutionnels du DPP. L’objectif final de cette contestation serait-il de priver l’activiste Bruneau Laurette de son droit à la liberté ou de remettre en question les décisions du DPP sous la Constitution ? Dans ce conflit, que peut faire le président de la République, dont le rôle est d’être le garant de la Constitution? Qu’en est-il de la responsabilité de l’Attorney General de veiller à la bonne administration de la justice ?

La démarche du CP de loger une action en cour contre le DPP est une première car, en général, la police sollicite son aide en matière de poursuite. Peut-on dire que si les représentants du parquet comparaissent pour la police dans une affaire, ils deviennent son représentant légal et doivent se plier à ses ordres ? C’est ce que voudrait faire croire le CP dans son affidavit, en accusant Me Ahmine d’avoir agi en tant que prosecuting counsel au lieu de son représentant légal. Pourtant, la décision de faire appel dans une affaire est à la discrétion du DPP. Les pouvoirs constitutionnels de Me Rashid Ahmine sont donc remis en question.

La cheffe juge Rehana Mungly-Gulbul qui est à la tête du judiciaire sera appelée lundi prochain à trancher sur l’admissibilité de la demande du CP, logée de plus hors du délai de sept jours. Elle devra déterminer si cette affaire peut faire exception et si la Cour peut exercer sa discrétion pour dire qu’Anil Kumar Dip a un cas défendable. Elle s’appuiera sur des législations et affaires qui ont fait jurisprudence pour justifier sa décision. Une décision en faveur du CP ne va-t-elle pas créer un «evil precedent» dans le judiciaire ?

Respect de la Constitution

Outre l’appareil judiciaire, des attaques contre les pouvoirs constitutionnels du DPP relèvent aussi du domaine du président de la République qui, sous les articles 28 à 30 de la Constitution de Maurice, a le devoir de faire respecter et de défendre la Constitution en tant que garant des institutions de la démocratie et de la primauté du droit. Le président Pradeep Roopun a-t-il là raté une occasion en or de remplir ses fonctions et d’empêcher une entorse à la Constitution ? Celle-ci lui confère le droit d’intervenir à travers le Premier ministre pour empêcher des abus ; mais pourquoi ne l’a-t-il toujours pas fait dans ce cas précis ? Surtout quand le Premier ministre lui-même a publiquement commenté les décisions prises par nos institutions judiciaires.

«Without fear or favour»

Le bureau de l’Attorney General est la seule institution qui interagit avec les trois pouvoirs constitutionnels, à savoir le législatif (Assemblée nationale), le judiciaire (tribunaux) et l’exécutif (gouvernement/ministères). Le champ d’action de son locataire, Maneesh Gobin, est vaste quand il faut veiller à la bonne administration de la justice. D’ailleurs, le mission statement de son bureau est «to provide, without fear or favour, hatred or ill-will, to the Government sound and independent legal advice, and representation as well as to contribute in the development of a fair and just legal system and the promotion of the rule of law, in the interest of the State and the people» Hélas, cette affirmation semble creuse devant le désengagement de Maneesh Gobin à intervenir dans cette affaire pour remettre les pendules à l’heure.

Le dénouement de cette affaire semble incertain car tout porte à croire que les véritables motifs vont au-delà d’un simple conflit constitutionnel et légal. L’ingérence de l’exécutif dans les décisions du judiciaire pourrait prendre des proportions encore plus inquiétantes devant l’inaction de ceux qui ont la responsabilité et le pouvoir de changer la donne. L’absence de toute action pourrait être perçue comme une complicité. En tout cas, lundi, la décision de la Cour suprême de donner suite ou pas à la demande du CP sera certes déterminante.