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Sharon Ramdenee: «Le jugement de la Cour du COMESA est un répit tant attendu»
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Sharon Ramdenee: «Le jugement de la Cour du COMESA est un répit tant attendu»
La Cour de justice du COMESA a suspendu la subvention du gouvernement mauricien à la State Trading Corporation. Cela, suite à une action entamée en cour par la compagnie Agiliss, qui dénonçait une concurrence déloyale. La «Chief Executive Officer» (CEO) d’Agiliss, Sharon Ramdenee, soutient que «ce jugement est un répit pour la compagnie». «Nous aurions été en mesure de proposer l’huile à Rs 63.»
Comment accueillezvous le jugement de la cour de justice du COMESA (Marché commun de l ’ Afrique orientale et australe) ?
La décision d’accorder Rs 500 millions en subvention à une seule huile et un seul opérateur comestible a été prise en juin 2022. Cela fait donc presque neuf mois que tous les autres opérateurs d’huile sur le marché mauricien souffrent d’une inégalité des conditions de concurrence. Pendant ces mois, la viabilité de nos entreprises et de tous nos employés a été mise en danger. Aujourd’hui, nous accueillons ce jugement comme un répit longuement attendu. Agiliss commercialise l’huile depuis plus de dix ans, et elle représente 35 % de notre chiffre d’affaires. Nous employons plus de 350 personnes; ce sont 350 familles qui dépendent de l’entreprise. On comprendra donc que ce jugement vient comme un baume pour toute notre communauté, ainsi que pour les autres opérateurs du privé.
Cependant, ce sentiment ne sera que passager. L’injonction met la situation en pause, le temps que les autorités prennent des décisions à plus long terme. Nous attendons donc de voir comment cela se décantera. Le dialogue entre public et privé reste plus que jamais nécessaire, et je reste convaincue qu’ensemble on se donnera les moyens de trouver les meilleures stratégies qui bénéficieront à la fois aux consommateurs, aux entreprises et au gouvernement.
■ Qu’est-ce qui a motivé cette action en justice ?
Le 7 juin 2022, lorsque les autorités annoncent la mesure budgétaire consistant à octroyer la subvention uniquement à la STC, ce sont tous les opérateurs du privé qui se voyaient, d’un instant à l’autre, couper l’herbe sous les pieds. Jusqu’à cette décision, le subside sur l’huile comestible concernait le produit plutôt que l’opérateur, ce qui faisait que tous les importateurs d’huile comestible pouvaient offrir la bouteille d’huile à un prix compétitif sur le marché. Nous avions donc immédiatement écrit au gouvernement, exprimant nos inquiétudes que ce subside favorisait un compétiteur au détriment de tous les autres, ce qui mènerait à une distorsion du marché, et qui, à long terme, fragiliserait la fourniture d’huile comestible sur tout le marché.
Nous n’avions regrettablement pas eu de réponse, ce qui nous a motivés, quelques semaines plus tard, à renvoyer une lettre demandant au gouvernement de revenir au subside précédent qui touchait tous les opérateurs équitablement. Nous avons aussi fait plusieurs demandes de rencontre. Malheureusement, aucune de nos lettres ou demandes n’a été prise en considération.
Lorsque le gouvernement est quand même allé de l’avant, annonçant le prix de l’huile commercialisée par la STC à Rs 75, malgré nos inquiétudes, nous avons dû nous tourner vers d’autres instances, notamment la cour de justice du COMESA. Cela n’a pas été une décision facile. Nos relations avec le gouvernement ont toujours été et restent encore caractérisées par le dialogue ouvert et le but commun de mieux servir le pays. Mais devant l’injustice que nous avons ressentie dans cette affaire, faire appel à la justice était le dernier recours qu’il nous restait.
■ Pourquoi pensezvous que la décision de la STC n’a pas été judicieuse ?
Il n’y a pas à chercher loin pour voir que la décision de la STC n’a pas été très judicieuse : voyez les difficultés dans le passé à acheminer la commande passée auprès de l’Inde depuis plus de deux mois, ou encore la confusion causée par le «double prix» de Rs 75 et Rs 110 pratiqué pour un même produit… Bien sûr, la STC doit avoir un droit de regard sur le riz ration, la farine, le gaz ménager, les produits pétroliers, qui sont des produits subventionnés, mais cette incursion «élargie» dans l’importation n’est pas normale.
Le food commodities trading a ses particularités, demandant une compréhension de la dynamique du marché, laquelle s’acquiert avec l’expérience. Un acteur aguerri sait qui sont les meilleurs fournisseurs, comment négocier, à quel moment acheter, qui est en train d’acheter et où, quelles récoltes ont été bonnes et moins bonnes. Il connaît les ins and outs du marché pour assurer la continuité, avoir les réseaux et la capacité à négocier les meilleurs prix. L’huile a la particularité d’exiger une grande agilité ; il faut agir vite. Les prix à l’achat varient de jour en jour. Or, le fonctionnement d’un corps paraétatique, avec ses procédures parfois lourdes, n’est pas adapté.
«Aujourd’hui, les signaux sont positifs, du côté de l’Égypte, de l’Ukraine… on ne va jamais retrouver l’huile à Rs 40, mais le prix va potentiellement baisser.»
À terme, cette décision de la STC est au détriment des consommateurs autant que des opérateurs et même du gouvernement. Si ce subside exclusif avait perduré, nous aurions vu les autres marques rapetisser, voire disparaître sur le marché, réduisant le choix pour le consommateur. Et la STC, n’étant pas taillée pour le food commodities trading, n’aurait pas pu, à terme, subvenir aux besoins du marché.
■ Auriez-vous été en mesure de proposer un prix plus compétitif ?
Un chiffre ? Aujourd’hui , nous comprenons que la STC bénéficie d’un subside de Rs 25. Ce même subside permettrait à Agiliss de vendre son huile à Rs 63, ce qui est inférieur au prix de Smatch. Ceci, parce que nous alignons nos prix sur ceux du marché mondial, chose que la STC n’a pas faite. Le prix de l’huile a baissé sur le marché mondial mais le prix de Smatch est resté à Rs 75.
■ Comment se positionne Agiliss sur le marché ?
À ce jour, Agiliss représente 25 % du marché de l’huile comestible à Maurice. Nous sommes collectivement le plus gros distributeur de denrées de base, telles que le riz, les grains, le lait en poudre, les conserves ou encore l’huile comestible.
■ Dans votre demande en cour, vous évoquez de grosses pertes et même une situation de faillite. Comment se porte la compagnie ?
Au fil de ces dernières années, nous avons dû braver, comme beaucoup d’entreprises, les effets de la pandémie, et plus récemment la guerre en Ukraine. En même temps, nous avons le devoir de soutenir le pays, responsabilité que nous avons pleinement assumée pendant le confinement. Lorsque tout le pays était à l’arrêt, nous étions en train d’œuvrer pour subvenir aux besoins de la population en termes de denrées de bases, à perte pour l’entreprise, et nous continuons aujourd’hui à le faire.
Ce qui a caractérisé Agiliss, c’est sa résilience envers ces défis majeurs, et son sens de la responsabilité envers le bien commun. Aujourd’hui, cette résilience a elle-même été mise en danger. Avec le contrôle du maximum markup, nous nous retrouvons à travailler à perte sur certains produits tels que les grains secs que nous devons quand même continuer à fournir vu la demande et sa place dans les ménages mauriciens. Avec les entrées en marché des produits de la STC, tels que l’huile ou les grains secs, nous faisons encore face à une concurrence biaisée.
Comment se porte Agiliss aujourd’hui ? Elle se défend, oui, mais sans loyauté sur le terrain, sa pérennité, comme celles d’autres opérateurs, est remise en cause.
■ Quelles mesures, selon vous, l e gouvernement aurait dû adopter pour aider les importateurs ?
Nous souhaitons voir venir des autorités une politique gouvernementale de soutien qui est inclusive, une politique qui s’applique de manière équitable et juste à toute l’industrie. La formule de subvention précédente, où c’est le produit qui est subventionné et non l’opérateur, était équitable. Avec une subvention appliquée à toutes les marques, nous éviterions des confusions, ou des limitations de deux bouteilles par consommateur, et ce dernier en aurait mieux profité encore : on aurait vendu l’huile à moins de Rs 75.
Aujourd’hui, les signaux sont positifs, du côté de l’Égypte, de l’Ukraine… On ne va jamais retrouver l’huile à Rs 40, mais le prix va potentiellement baisser. Je pense que nous pouvons travailler ensemble à une meilleure façon de servir les intérêts du consommateur et un approvisionnement régulier et abordable de l’huile pour tous. Il est encore temps de rétablir la situation et d’offrir un «level playing field» à tous les opérateurs.
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