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Vincent Montocchio: «L’appétit pour l’information a décuplé»
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Vincent Montocchio: «L’appétit pour l’information a décuplé»
La communication digitale commence à montrer ses limites. Victime de son succès, elle se retrouve noyée dans le brouhaha numérique. La publicité traditionnelle, à laquelle font davantage confiance les consommateurs, surtout imprimée, remonte. C’est positif pour la presse papier. Assoiffés d’info en continu, on souhaite aussi une mise en perspective et une validation du contenu. Les médias locaux devraient tabler sur leur force, leur accessibilité, face aux géants dématérialisés que sont les GAFA.
Partout dans le monde, la part du digital dans les investissements publicitaires est en forte croissance depuis les années 2000. Le Covid-19 a-t-il accéléré le mouvement chez nous ?
La communication digitale a différentes composantes et il est important de les distinguer. Au début des années 2000, on a d’abord vu émerger la publicité sur les moteurs de recherche. Pour la première fois, les annonceurs pouvaient s’adresser à leur public de manière précise, en fonction de mots-clés. Avec l’arrivée des réseaux sociaux, les vidéos ont commencé à susciter de l’intérêt et la pub a évolué vers le content marketing. Toutes ces possibilités ont fait que le digital est devenu un canal publicitaire majeur. À Maurice autant qu’ailleurs. Le Covid-19 est venu encore renforcer son importance. Cependant, la communication digitale est aussi en train de montrer ses limites. Il est évident aujourd’hui qu’une stratégie uniquement axée sur les réseaux sociaux et les sites web n’est pas toujours payante. La bonne formule, c’est une communication multicanale qui s’appuie sur la complémentarité des médias.
On note une tendance mondiale des marketeurs à revenir aux médias traditionnels, selon la «Harvard Business Review». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Depuis plus de dix ans, la communication digitale domine les budgets de marketing, avec une augmentation annuelle moyenne de 7,8 %. Mais cette tendance est en effet en train de s’atténuer. La pub traditionnelle n’a pas dit son dernier mot. En août 2021 et février 2022, les spécialistes du marketing prévoyaient que les dépenses de publicité traditionnelle augmenteraient respectivement de 1,4 % et 2,9 %. Avec une hausse de 10,2 %, cette augmentation serait, selon eux, plus significative pour les entreprises de services B2C. Ironiquement, ce sont les entreprises qui réalisent 100 % de leurs ventes via internet qui sont à l’origine de cette inflexion ; elles s’attendent à une augmentation de 11,7 % des dépenses de publicité traditionnelle au cours des 12 prochains mois.
Les raisons sont multiples. Les consommateurs passent la plupart de leur temps en ligne, mais sont de moins en moins réceptifs aux messages publicitaires conventionnels. Selon une enquête de HubSpot, 57 % des participants n’aiment pas que les publicités soient diffusées avant une vidéo et 43 % ne les regardent même pas ! Les spécialistes du marketing doivent donc constamment s’efforcer à imaginer de nouvelles méthodes pour toucher les acheteurs frustrés par l’approche push du digital et se démarquer dans le brouhaha numérique. Parallèlement à cette observation, l’enquête MarketingSherpa vient révéler que les consommateurs font davantage confiance aux formats publicitaires traditionnels : la publicité imprimée est jugée la plus fiable (82 %), suivie de la publicité télévisée (80 %), de la publicité directe par courrier (76 %) et de la publicité radio (71 %). Les spécialistes du marketing sont donc conscients que pour renforcer la crédibilité et la confiance de la marque, ils doivent aussi penser à la publicité traditionnelle.
Ces spécialistes semblent, en outre, sceptiques quant au rendement des médias digitaux. Selon une étude menée auprès des CMO (Chief Marketing Officers) du monde entier, ceux-ci se disent préoccupés par le fait que ces plateformes contrôlent à la fois le volume des publicités et la mesure de leur efficacité. Il y a donc le début d’une double perte de confiance, celle des consommateurs et celle des spécialistes du marketing.En se basant sur de nombreuses études, Harvard Business Review vient donc prendre à contrepied les experts qui avaient prédit la disparition de la publicité traditionnelle. Elle est toujours bien vivante et se prépare même à enregistrer, pour la première fois depuis dix ans, une belle croissance. Mais ce qu’il nous faut surtout retenir de cette évolution, c’est que, utilisés ensemble, les médias traditionnels et digitaux peuvent toucher plus de publics, renforcer et maintenir la confiance des consommateurs et au final encourager l’acte d’achat.
Le marché de la pub local reflète-t-il ce qui se passe sur le marché africain ?
Il est difficile de parler de «marché africain». Le continent est extrêmement varié et les investissements publicitaires par média varient d’un pays à l’autre. Par exemple, selon les données de PwC, le poids du digital varie entre 12 % (Maroc) et 20 % (Afrique du Sud) ; celui de la presse entre 6 % (Nigeria) et 14 % (Kenya). La constante reste cependant la forte popularité de la TV qui est, dans l’ensemble de ces pays, le média publicitaire recueillant le plus important investissement. La radio est également encore très forte.
À Maurice, nous pouvons mesurer les investissements traditionnels mais nous ne disposons pas de données pour les investissements digitaux, uniquement des estimations. À la différence des pays africains cités plus haut, le média star chez nous est la radio avec environ 46 % des investissements, suivie de l’affichage avec 28 % (source DCDM). Ces deux chiffres ne comprennent pas le digital dans le mix. On peut estimer que les dépenses des entreprises mauriciennes en digital représentent entre 15 et 20 % des budgets médias. Mais cela dépend vraiment des secteurs. Le secteur financier et celui des services misent beaucoup plus sur le digital, et certaines entreprises B2B ont des stratégies de communication orientées uniquement sur le digital.
Toujours selon la «Harvard Business Review», depuis 2017, la part de la publicité digitale est supérieure à celle de la télévision. Ainsi, en 2018, aux États-Unis, le support mobile a capté plus de budget publicitaire que la télévision…
En 2020, au niveau mondial, les médias digitaux captaient 50 % des investissements totaux. Pour l’Afrique, ils représenteraient 15 % en moyenne, avec des différences qui peuvent être notables entre pays. Il faut toutefois prendre ces chiffres avec du recul et les croiser avec d’autres recherches, portant notamment sur les médias qui inspirent le plus confiance et ceux qui captent le plus d’attention. Dans les deux cas, les médias traditionnels obtiennent de meilleurs résultats.
«Le rôle des journaux, dans ce nouvel écosystème, est donc plus que jamais pertinent pour guider l’audience, l’éclairer, lui donner du contenu plus riche, plus approfondi, vérifié, travaillé.»
Les annonceurs mauriciens suivent-ils les usages des consommateurs et l’émergence de «l’homo mobilus» ?
Le temps passé devant un support digital dépasse la télévision (dès 2013 aux États-Unis) et représente environ six heures par jour. C’est une évolution majeure, n’est-ce pas ? C’est en effet une évolution majeure. Mais la quantité ne fait pas forcément la qualité. Selon une étude de Statista en 2021, une personne passerait en moyenne 108 minutes/6 480 secondes par jour à faire défiler les pages sur les réseaux sociaux. Cela équivaut à 388 mètres par jour! Certes, l’audience va capter du contenu publicitaire, mais l’attention et le niveau d’impact ne seront pas toujours de qualité. Ce que l’analyse de ces nouveaux comportements nous apprend, c’est qu’il faudra de plus en plus d’efforts financier et créatif pour émerger dans un environnement aussi encombré.
Contrairement aux canaux traditionnels, comme la presse écrite, la publicité numérique «permet aux annonceurs de cibler leurs campagnes et d’éviter de dépenser leurs précieuses ressources sur un public non pertinent…» Mais en même temps, on note, durant cette ère post Covid-19 un regain d’intérêt pour la presse papier, particulièrement pour le «broadsheet». Comment expliquer ce phénomène «Back to the Roots» alors que les possibilités du web sont infinies ?
Il ne faut pas opposer l’un et l’autre, le numérique et le traditionnel. Ces médias sont complémentaires.En jouant intelligemment cette complémentarité, les marques augmentent la portée de leur message et maximisent leurs retours. La combinaison est gagnante. Il n’y a pas de doute que la communication digitale, quand elle est bien utilisée, permet des choses exceptionnelles, notamment grâce au ciblage. La publicité programmatique utilise une forme d’intelligence artificielle depuis plusieurs années déjà. Elle s’appuie sur des algorithmes pour acheter de la publicité sur des sites web, des applications mobiles et des réseaux sociaux en temps réel, en fonction du profil et du comportement de l’utilisateur.
Le regain de popularité du média traditionnel ne veut pas dire que le digital n’est pas efficace. Il démontre simplement ses limites. En somme, le digital est victime de son propre succès. Il est tellement encombré que les marques ont du mal à émerger. Le retour au traditionnel, au «réel», est une tendance qui ne touche pas seulement les médias. Partout émerge un besoin d’authenticité. Nous voyons, par exemple, la réapparition de la photographie Polaroïd, des vinyls, etc.
La pandémie a créé de nouvelles habitudes de consommation de l’information. Va-t-elle précipiter le déclin du journal papier dans un proche avenir ?
La confiance du consommateur dans la publicité traditionnelle, c’est assurément quelque chose de positif pour la presse papier. Et il y a mieux encore. Avec l’arrivée du numérique, les maisons de presse ont commencé à «shifter» leur modèle : elles ont réalisé qu’elles n’étaient pas dans le business du «journal papier», mais dans celui de l’information. La bonne nouvelle, c’est que l’appétit pour l’information a décuplé, grâce précisément au digital ! Nous sommes devenus de gros consommateurs de contenus, de divertissements autant que d’informations. Nous voulons un accès continu à l’actualité. Mais, plongés dans une masse d’informations, nous voulons aussi comprendre, mettre en perspective, trier le vrai du fake, nous voulons des sources vérifiées.
Le rôle des journaux, dans ce nouvel écosystème, est donc plus que jamais pertinent pour guider l’audience, l’éclairer, lui donner du contenu plus riche, plus approfondi, vérifié, travaillé. Les journaux ne sont-ils pas les experts par excellence du contenu de qualité? Leur défi reste de trouver des moyens de rentabiliser cette production de contenus pour préserver leur indépendance. L’instantanéité du digital, la force de la vidéo sont des opportunités fabuleuses… La publicité a certes un rôle à jouer pour le maintien d’une presse libre, mais cette dernière va devoir continuer à se réinventer pour trouver des sources de revenus qui lui permettront de créer l’information de qualité nécessaire à toute démocratie.
«Une personne passerait en moyenne 108 minutes/ 6 480 secondes par jour à faire défiler les pages sur les réseaux sociaux. Cela équivaut à 388 mètres par jour ! »
Peut-on lutter contre des géants comme Google et Facebook qui représentent 60 % des investissements publicitaires dans le numérique à l’échelle internationale ?
Les annonceurs seront toujours présents là où se trouve leur audience ! À mon sens, tenter de lutter sur le même terrain que ces géants ne sert à rien. Ils seront toujours plus forts. Ils ont d’énormes moyens en matière de recherche et développement et une force de frappe colossale. Les médias locaux devraient plutôt tabler sur leurs différences et en faire leur force. Les GAFA sont internationaux, vous êtes locaux ! On ne peut pas les avoir au bout du fil, vous êtes accessibles ! Ils sont encombrés, faites la part belle à la qualité et l’espace donné au contenu publicitaire ! Ils sont rigides, vous êtes agiles !
Vous êtes aussi l’un des dirigeants de l’Association of Communication Agencies of Mauritius, qui a pris le relais de l’Association of Advertising Agencies. Comme la presse, vous subissez de plein fouet les changements imposés par l’international.
Je ne vois personnellement pas les choses de cette manière. Le changement, soit on le subit, soit on en fait un formidable moteur pour innover. De même que la presse, les agences de communication ont leurs défis. L’arrivée de ChatGPT ou celle de Midjourney sont des occasions de se réinventer. Ils nous permettent de rappeler que notre métier, ce n’est pas le design ou la rédaction. C’est l’Idée, adaptée à l’ADN du client. C’est l’Influence, devenue un élément clé de différenciation des marques. Comme vous le faites avec les nouvelles plateformes d’information, nous choisissons de maîtriser ces outils pour décupler nos capacités créatives et rendre nos marques clientes plus fortes.
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