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Catherine Giraud: «On veut défigurer la campagne par le béton»
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Catherine Giraud: «On veut défigurer la campagne par le béton»
Bétonner un écosystème fait-il partie de la croissance ? Avoir encore des magasins, des «food courts» équivaut-il à du développement ? Telles sont, entre autres, les questions que se pose cette habitante du village, chef d’entreprise mais également engagée dans le social, dans le sillage du projet de «smart city».
Pourquoi êtes-vous contre le projet de «smart city» à Roches-Noires ?
Tout d’abord pour des raisons écologiques, car le projet détruira un écosystème fragile vital pour l’endroit et pour tout le pays. Deuxièmement, parce que ce projet va changer toute la dynamique sociale paisible de Roches-Noires.
Cependant, les promoteurs ont promis de préserver les grottes, le barachois, les mangroves, les arbres et restaurer les plantes endémiques. C’est bon, non ?
Les mangroves et les palétuviers qui font le tour du barachois devront être enlevés pour que les bungalows de l’hôtel aient une vue sur le barachois. Des dégâts irréversibles seront faits à cette nature, aux cavernes, aux zones humides qui seront forcément détruites par endroits y compris la vie animale qui y existe. Le promoteur dit qu’il va «restaurer les plantes endémiques». Donc, ils vont commencer par la déforestation d’un environnement pour après le restaurer ! La bonne blague ! Mais il y a aussi les plantes non endémiques, telles que les eucalyptus, dont les fleurs nourrissent les abeilles. Ces promoteurs essaient de justifier la destruction de ces trésors naturels en rassurant la population, mais comme l’a dit un des promoteurs lui-même à la réunion du 24 avril à Roches-Noires, «on ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs».
Mais les experts ont donné leur garantie…
Les experts qui sont payés par PR Capital ? Il est essentiel qu’il y ait des experts neutres et avec les compétences requises qui fassent le point. Le gouvernement devrait aussi s’assurer d’avoir un autre avis d’experts en écologie, aptes à apporter un autre regard sur ce projet. Le gouvernement exige un certificat d’Environmental Impact Assessment (EIA) pour tout le projet. Mais comment faire un EIA pour un projet en trois phases qui s’étale sur dix ans, sans prendre en compte la dégradation graduelle de l’écosystème ? Un de leurs experts confirme qu’une quarantaine de carottages ont été effectués sur un terrain de 800 arpents pour vérifier la nature du sol… cela ne me semble pas très représentatif de la réalité. Concernant la zone tampon promise, mesure-t-on vraiment l’impact destructif sur tout cet écosystème ? J’ai de sérieux doutes.
Une «smart city» dans cette région somnolente, c’est bon pour la croissance…
Que veut dire le mot croissance, ou développement, comme certains le disent ? Est-ce que bétonner un écosystème fait partie de la croissance ? Avoir encore des magasins, des food courts équivaut-il à du développement ? Rien qu’en pensant aux ressources en eau dont aura besoin ce projet que ce soit pour sa construction ou pour ses habitants avec leur piscine et immense golf me fait frémir. Pompera-t-on encore les nappes phréatiques ? Que fait-on des eaux usées de ce projet ? Encore une fois, les promoteurs se veulent très rassurants mais qu’en sera-t-il de la réalité ? Économiquement parlant, ce projet ne servira qu’à enrichir les promoteurs, pas la communauté. Donnez-moi un seul exemple où ce genre de «développement» a profité aux habitants.
Il y a eu une consultation citoyenne, n’est-ce pas ?
Les promoteurs ont préparé leur projet et fait la demande du certificat EIA depuis des mois. Comment ceux qui s’opposent à ce saccage n’aient que trois semaines pour monter un dossier afin de donner la réplique ?
Qu’attendez-vous des autorités ?
Il faudrait que les instances gouvernementales n’oublient pas que nous avons signé la convention RAMSAR à Maurice le 30 septembre 2001, qui est une Convention On Wetlands, qui sera aussi bafouée si ce projet va de l’avant. D’autre part, nous essayons de projeter aux touristes une image d’un pays conscient et respectueux de sa nature. Nous avons adopté le branding «sustainbility Mauritius», le fameux SUS MAURITIUS, financé par l’Union européenne. Comment pouvons-nous aller à l’encontre de ce que nous prônons ? En tant que citoyenne mauricienne, habitante de l’endroit, je suis totalement contre ce projet, comme la plupart des villageois, et j’espère que le gouvernement, qui est le gardien de notre île et de sa nature, saura entendre notre voix devant un tel saccage.
En tout cas, il y aura des emplois créés.
Julien Ridon a promis 2 000 emplois de travailleurs qualifiés ! D’où viendront-ils, ces travailleurs qualifiés ? Cela m’étonnerait qu’il puisse les trouver à Roches-Noires. Et pour un chantier de cette envergure, il y aura certainement de nombreux employés étrangers qui seront recrutés et logés sur place et cela déstabilisera encore plus la tranquillité sociale de Roches-Noires. Et puis, il n’y a pas de problème d’emploi à Maurice en ce moment. Les hôtels, les restaurants, les magasins, les usines, entre autres, sont à la recherche de personnel et n’en trouvent pas. Ceux qui ne travaillent pas à Maurice en ce moment, c’est probablement par manque de formation ou parce qu’ils ne le veulent pas. Pourquoi fait-on venir des étrangers s’il n’y a pas de demande ? Encore un mauvais argument de la part de ces promoteurs : on veut résoudre un problème qui n’existe pas.
Mais les habitants auront un ou des supermarchés…
Et les petits commerces familiaux existants ? Les boutiques létan lontan qui fournissent tout ce qu’il faut ? Personne ne meurt de faim à Roches-Noires faute de pouvoir s’approvisionner. Il y a déjà de grands supermarchés à Rivière-du-Rempart et à Flacq juste à côté. Et bientôt Azuri aura aussi sa smart city à trois minutes de Roches-Noires. Est-ce que vous croyez sincèrement que les promoteurs vont faire un supermarché pour attirer la population dans leur zone touristique ?
Il y aura aussi un «shopping centre».
Pour que les habitants y fassent du lèche-vitrine en admirant les produits de luxe qu’ils ne peuvent se payer ? Et consommer du fast-food.
On parle d’un ATM…
S’il faut détruire tout un écosystème sur 800 arpents et bétonner pour permettre aux habitants d’aller à un ATM…
Vous aurez une ville intelligente, c’est très tendance non ?
Roches-Noires n’a pas besoin d’une deuxième Smart City, d’ailleurs ce mot ne correspond pas à la réalité, dites plutôt Béton City.
Il y aura un boulevard.
Un boulevard ! On se croit à Miami ou à Singapour ? Un boulevard à Roches-Noires ! Détruire la nature pour faire un boulevard… quelle calamité !
Vous êtes anti-développement !
Cela dépend de ce que vous entendez par développement. Si c’est pour enrichir une poignée de personnes au détriment de la population, je dis non. J’ai parlé à beaucoup de gens de l’endroit depuis que ce projet a été réactivé, ils sont tous contre. Même ceux qui ont été manipulés par les promoteurs commencent à voir clair dans leur jeu . Les pêcheurs craignent pour l’environnement qui les fait vivre. Le lagon risque de voir défiler des activités nautiques, alors que les promoteurs promettent de faire venir des touristes qui n’aiment pas la mer… encore un autre big joke… Les touristes qui viennent à Maurice pour ne pas profiter de la mer ! (Rires)
Disons alors que vous êtes contre l’urbanisation.
Faut-il tout urbaniser ? Qu’est-ce qui fait la beauté de notre île ? Qu’est-ce qui attire les touristes ? Nos buildings, nos embouteillages ? Regardez ce que deviennent nos villes, Quatre-Bornes, Rose-Hill, Curepipe, etc., défigurées par le béton. Maintenant, il faut bétonner la campagne aussi… Quel héritage laisserons-nous à nos enfants ? Notre jolie île transformée en un bloc de béton et déshumanisée ! À Maurice, on veut une colonisation urbaine de la campagne. Savez-vous qu’il existe en Europe des lois et des organisations pour protéger la campagne, comme The Campaign to Protect Rural England en Grande-Bretagne, «aiming to promote the beauty, tranquillity and diversity of rural England by encouraging the sustainable use of land and other natural resources in town and county». Pourquoi à Maurice ne préservons-nous pas notre patrimoine naturel ?
Les opposants au projet ont remis en question la capacité financière du promoteur. Pourquoi ?
Nous avons vu de nombreux articles dans la presse française sur ces deux promoteurs, articles très peu élogieux, signalant leurs difficultés à terminer leurs projets, des retards de paiement aux fournisseurs, des projets à l’abandon etc. D’ailleurs, nous n’entendons et ne voyons que l’un des deux. L’autre serait-il occupé à gérer toutes ces galères à l’étranger ? Comment faire confiance à des promoteurs ayant déjà de nombreuses casseroles ? Comment pouvons-nous accepter que des promoteurs étrangers puissent endommager irréversiblement notre nature et puis quitter probablement dans quelques années en laissant tous ces dégâts derrière eux ? Quant aux Mauriciens qui se sont associés à ce projet, shame on them.
Les promoteurs ont pourtant déjà à leur actif un projet semblable à Tahiti…
Je ne vous cite qu’une phrase du député vert Jacky Bryant à propos du projet de Tahiti : « On détruit nos richesses naturelles pour les intérêts d’un groupe immobilier.»
Les opposants aux opposants du projet de Roches-Noires reprochent à ces derniers de ne défendre l’environnement que lorsqu’il s’agit de leur «backyard». Bref, de faire du NIMBYsme.
Eh oui, malheureusement on ne peut s’occuper du bétonnage qui touche toute l’île actuellement. Mais personnellement, j’ai déjà pris part à d’autres manifestations contre le saccage de notre nature, comme à Anse-la-Raie où ils voulaient abattre les arbres pour faire plaisir à un promoteur.
Mais pourquoi vous, les «nantis», êtes-vous les plus remontés contre ce projet ?
Encore une fois, attaquer pour mieux se défendre ! Pourquoi essayer de diviser les habitants ? Les villageois sont aussi remontés contre ce projet que ceux qui vivent sur la côte. Ils seront ceux qui payeront le plus les pots cassés de cette construction. Il y a quelques années, d’autres promoteurs avaient essayé de bétonner l’endroit et avaient construit un mur d’entourage. Ce mur a dû être démoli en certains endroits car des maisons de villageois avaient été inondées. Qu’en sera-t-il quand la zone sera bétonnée en grande partie ? Nous vivons en harmonie à Roches-Noires, il ne faut pas inventer des conflits bidon.
On reproche aussi aux riverains de laisser la zone crouler sous les détritus…
Nous organisons régulièrement des ramassages d’ordures, mais on ne peut être tenus responsables de l’incivisme de certains Mauriciens. Il y a une police de l’environnement n’est ce pas ? Alors, que fait-elle pour empêcher que des gens jettent des saletés dans cet endroit ?
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