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60 ans│«L’express: femme et maîtresse à la fois»

4 juin 2023, 17:59

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60 ans│«L’express: femme et maîtresse à la fois»

Toute une vie au service de l’express. De juin 1963 à mars 2002. Ayant débuté à temps partiel comme dactylographe, puis employé comme correcteur à plein temps, Luc Olivier a bouclé son protocole avec La Sentinelle au poste de secrétaire général à la rédaction. Rarement absent, la compagnie a pu compter sur lui en toutes circonstances, dont lors du 50e anniversaire du journal.

L’express a-t-il été votre premier employeur ?
La Sentinelle a été, à mon sens, mon premier employeur. Nonobstant le fait que j’ai fait des petits boulots après mes études secondaires et que j’ai intégré l’étude de l’avoué Claude Moutia comme clerc en 1962. Ce dernier me propose, en mai 1963, d’offrir à temps partiel un service de dactylographie à l’express. Je dois y être les après-midi, de 16 à 19/20 heures. Il s’agit de faciliter le travail des typographes qui rencontrent des difficultés à déchiffrer les manuscrits de certains journalistes. Les machines à écrire sont peu utilisées.

Je fais la connaissance de Guy Balancy, le rédacteur en chef, et de ses plus proches collaborateurs, Jean Roland Delaître, qui va me dicter ses textes, et le Dr Philippe Forget. Le travail fourni satisfait tellement qu’à la fin du mois, on m’offre le double de ce qu’on m’avait proposé comme rémunération. Le mois d’après, tombe l’offre du poste de correcteur à plein temps – secrétaire de rédaction –, diton actuellement.

C’est qu’à la fin du travail de dactylo, je chausse les souliers des correcteurs – ceux qui prennent le relais à 16 heures pour terminer souvent à 3 ou 4 heures du matin le lendemain. Mon apport permet de ramener ce temps à des heures plus raisonnables. Mais un dilemme cornélien me pend au nez; j’avais été prévenu : à plein temps veut dire ne plus aller à l’étude de Me Claude Moutia ! À prendre ou à laisser. Il se montre compréhensif, j’accepte l’offre.

Quels ont été les temps forts de votre carrière à l’express ?
Suivant l’élection de Guy Balancy dans la circonscription no 3 (PortLouis Sud) au scrutin d’octobre 1963 et sa nomination comme secrétaire parlementaire à l’Éducation, puis ministre de l’Information, le Dr Forget lui succède comme directeur et rédacteur en chef. Sous son impulsion, l’express se lance résolument dans la bataille pour l’Indépendance qui divise le pays. À partir de 1965, suivant des discours incendiaires, il y a plusieurs accrochages, dont deux mortels, dans le Sud et à Saint-Jean. On déplore encore les bagarres raciales de fin 1967/début 1968, la cause de plusieurs morts et de déplacements forcés de population. Pendant cette période il y a aussi une émigration massive de ceux qui craignent l’avènement de l’Indépendance dont fait partie une certaine élite.

«Je doute que l’avenir des journaux soit plein de promesses. Simple constat : le nombre de lecteurs périclite régulièrement.»

Le parti-pris de l’express en faveur de l’Indépendance n’a pas été une surprise pour moi mais il a sans aucun doute incité beaucoup de nos compatriotes à réviser leur jugement pour y adhérer à leur tour et la victoire est acquise à la consultation y relative le 7 août 1967. L’équipe de journalistes chevronnés ayant participé à cette lutte, dont René Rivière, va faire place à des recrues plus jeunes. Que sont Percy McGaw, Gilles Forget, Sulaiman Patel, Lindsay Rivière, Sydney Selvon, Jean Claude de l’Estrac, Bijaye Madhou, Finlay Salesse, Alain Barbé, Jean Balancy, Renaud Marie, Patrick Michel, Bernard Saminaden, Jean Joseph Permal, Yvan Martial, Jean Marie Richard, Gilbert Ahnee, Conchiano Mootoosamy et d’autres encore. Sulaiman Patel et Patrick Michel ont été, à mon humble avis, deux des meilleurs journalistes que j’ai eu l’honneur de côtoyer.

La gent féminine fait son entrée à l’express pendant l’ère du Dr Forget avec les Geneviève Flore, Florelle Ahtion, Annie Cadinouche, nommément. Dans d’autres départements, à l’administration, la correction aussi. N’oublions pas les photographes Vèle Kadarasen, Naden Chetty, Bouck Pillay Vythilingum. Que les autres que je n’ai pas cités ne me tiennent pas rigueur.

Une mention spéciale pour Pierre Renaud, parti trop tôt vers l’au-delà en 1978. Un hypocondriaque endurci, il avait le cœur à la main et s’avéra un guide incroyable de son vivant. C’est lui – tout comme le Dr Forget – qui, en m’interrogeant à tout bout de champ, me donne le goût de consulter le dictionnaire pour m’assurer que le terme à utiliser est le bon, que le superlatif doit être évité car surviendra bien une amélioration future. C’est lui également qui inaugure, sous le pseudonyme Jean Marie Michel, une «page des jeunes» dont Jean Joseph Permal allait prendre la relève pour la porter à de plus hauts sommets.

Cordon ombilical entre atelier, rédaction et journalistes, le correcteur est souvent le souffre-douleur de tous. Quand les journalistes tardent pour remettre leurs textes à la rédaction, celle-ci ne peut les transmettre à temps à l’atelier pour la composition typographique. Finalement, tous les textes se retrouvent presque en même temps à la correction ! Mais tout ce beau monde s’entend ou presque comme larrons en foire et les récriminations du début bien vite s’estompent grâce aux plaisanteries qui fusent jusqu’au transfert des pages montées du marbre à la presse.

Ce rituel immémorial s’appliquait du temps de la composition manuelle, à la composition mécanique à chaud mais il prend fin avec l’avènement de l’informatique, qui a renvoyé les typographes dans les limbes. Dans ce corps de métier, outre le chef d’atelier Roger Bonnafaire, citons Lewis François le taciturne, Claude François le braillard, Harry Saintas le troubadour, Clovis Fidèle, Antoine Cangy, Clency Jeannot, Yvon Rayeroux, Gérard Henrisson, Lélio Jules, Bassy, Judex Cantal, Hervé Rungapen, Cyril Bizela – ces trois derniers ont été voir si l’herbe était verte ailleurs. Et j’en passe.

«Deuxième président et véritable homme d’état qu’a été Cassam Uteem.»

Avec la composition à chaud nous avons eu aux manettes le facétieux Guy Naynapen, Sylvio Lucien, sans oublier le sérieux Karl Offman, qui, une année durant, allait occuper les fonctions suprêmes après le second 60/0 électoral de 1995. Il succédait au deuxième président et véritable homme d’État qu’a été Cassam Uteem, avant l’installation de sir Anerood Jugnauth. Nul besoin pour moi d’énumérer tous ceux que j’ai connus durant les 39 années passées à La Sentinelle. Ils me connaissent suffisamment.

Qu’est-ce qui vous a retenu durant toutes ces années à La Sentinelle ?
Tous on était liés par une camaraderie franche et sans pareille, qui resplendit lorsqu’on se rencontre parfois et qu’on se remémore le temps passé à la rue Brown-Séquard où une presse rotative était introduite en 1978 pour suppléer la presse à plat en service depuis 1963. Depuis mon premier jour en tant qu’employé à l’express je l’ai considéré – excusez l’association – comme femme et maîtresse à la fois, une situation inconcevable pour n’importe qui, sauf pour celle ou celui qui aime vraiment. C’est encore le cas aujourd’hui, 21 ans après. Comme un point d’orgue à mon sacerdoce à l’express, je dois dire que l’année précédant mon départ, j’ai rencontré Annette, celle qui partage ma vie aujourd’hui.

Des principaux événements m’ayant personnellement marqué je relève (i) la visite en 1972 d’une délégation officielle en Chine qui promet Rs 40 millions pour un nouvel aéroport; (ii) la découverte du Nordvaer au Chien de Plomb le 13 juin 1973 avec, à bord, des gens effarouchés, les Chagossiens, découvrant un monde inconnu, qui fait la Une du journal le lendemain ; (iii) le monde apprend le 3 avril 1984 l’arrestation de 44 journalistes dans une dépêche que j’ai envoyée à l’agence Reuter, puis le départ forcé du Dr Forget ; (iv) Nelson Mandela est libéré de Robben Island le 11 février 1990 ; responsable de la parution, j’y signais un billet le lendemain.

Comment entrevoyez-vous l’avenir de l’express et des journaux ?
Je doute que l’avenir des journaux soit plein de promesses. Simple constat : le nombre de lecteurs périclite régulièrement et je crains fort que cela ne s’applique aussi à l’express. J’aimerais être contredit. Le tirage quotidien du papier-journal passe de 2 000/4 000 copies dans les années 60 à 12 000/15 000 la décennie suivante – avec des pics de 25 000/40 000 lors d’événements majeurs dans les années 80/90 – comme l’arrestation de trois députés à l’aéroport de Schipol, Amsterdam, aux Pays-Bas. On se disait alors que si le tirage atteignait un certain plafond, on pourrait ne pas compter sur l’apport publicitaire, être plus indépendant. Mais tel n’a pas été le cas, surtout avec les gouvernements fermant le robinet. Je miserai que l’outil informatique a aussi aidé à faire régresser le tirage.
 

Quelques dates mémorables

<p><strong>12 mars 68 :</strong> Au Champ de Mars, le quadricolore remplace l&rsquo;Union Jack.</p>

<p><strong>Août 71 :</strong> La Special Mobile Force est réquisitionnée pour débarquer le riz suivant une grève des dockers.</p>

<p><strong>Novembre 71 :</strong> Azor Adelaïde est assassiné à Curepipe où Paul Bérenger échappe à un attentat.</p>

<p><strong>Mars 72 :</strong> Visite de la reine Elizabeth II et du duc d&rsquo;Édimbourg.</p>

<p><strong>Mars 73 :</strong> Sir Raman Osman, premier Mauricien nommé gouverneur général.</p>

<p><strong>Juin 73 :</strong> Le Nordvaer accoste au Chien de Plomb (Port Louis Waterfront actuellement) avec des Chagossiens expulsés de leurs îles à bord.</p>

<p><strong>Février 75 :</strong> Cyclone Gervaise.</p>

<p><strong>Mai 75 :</strong> Élèves et étudiants manifestent pour l&rsquo;éducation gratuite, qui devient réalité en janvier 77.</p>

<p><strong>Juin 82 :</strong> Premier 60/0 avec la victoire électorale de l&rsquo;alliance MMM/PSM.</p>

<p><strong>Mars 83 :</strong> Démission de 11 ministres et cassure de cette alliance.</p>

<p><strong>Avril 84 :</strong> Arrestation de 44 journalistes manifestant contre un projet de loi imposant une garantie de Rs 500 000 à la presse.</p>

<p><strong>Décembre 85 :</strong> Décès du gouverneur général et ancien Premier ministre sir Seewoosagur Ramgoolam.</p>

<p><strong>Août 87 :</strong> Deuxième Jeux des Îles de l&rsquo;océan Indien.</p>

<p><strong>Novembre 87 :</strong> Deux Mauriciens meurent dans l&rsquo;incendie et l&rsquo;explosion d&rsquo;un avion sud-africain dans l&rsquo;océan Indien.</p>

<p><strong>Mars 92</strong> :Le dernier gouverneur général du pays, sir Veerasamy Ringadoo, en devient le premier président.</p>

<p><strong>Juin 92</strong> : Cassam Uteem lui succède, mais démissionnera en février 2002, refusant d&rsquo;approuver une loi anti-terroriste.</p>

<p><strong>Décembre 95</strong> : Second 60/0 de l&rsquo;histoire.</p>

<p><strong>Octobre 96</strong> : Trois morts dans une fusillade à la rue Gorah Issac, Plaine Verte.</p>

<p><strong>Septembre 98 :</strong> Nelson Mandela visite Maurice.</p>

<p><strong>Février 99 :</strong> Émeutes suivant le décès en détention policière de Reginald Topize, dit Kaya.</p>

<p><strong>Mai 99 :</strong> L&rsquo;incendie de la maison de jeux l&rsquo;Amicale de Port-Louis fait sept victimes.</p>

<p><strong>Mars 2002 :</strong> Radio 1, première radio privée sur les ondes mauriciennes.</p>