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Tamarind falls: descente au septième ciel
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Tamarind falls: descente au septième ciel
Comme le Pieter Both, les Sept Cascades de Tamarind Falls représentent un site mythique qui stimule l’imagination des randonneurs : un mystère à percer, une dernière frontière à franchir et une conquête à réaliser pour en parler avec fierté. Une fierté légitime pour moi en ce 11 juin 2023, tout comme cela fut le cas le 11 juin 1982 lorsque nous avons remporté les élections législatives. Car on y retourne après une plongée dans un précipice vert de plus de 350 mètres. Et on aime se prendre un peu pour le Professeur Otto Lindenbrock dans «Voyage au centre de la Terre» de Jules Verne.
Est-il possible de faire les Sept Cascades en une seule fois ? «Oui», disent les guides expérimentés en la matière, en commençant à 8 heures du matin et en terminant à 16 heures sans de longues interruptions, avec une courte pause pour le déjeuner. Inutile de préciser qu’il faut être en excellente condition physique pour réaliser cette performance qui relève presque de l’exploit. C’est un itinéraire apprécié par les touristes-randonneurs. Mais pour les autres, les randonneurs du dimanche, une exploration en deux étapes peut être à la portée de tous ceux qui en ont l’habitude : la première consiste à descendre jusqu’à la quatrième cascade puis à remonter jusqu’à la première avec une baignade à la deuxième. Le tout de 9 heures à 13 h 30, y compris la baignade. La seconde étape est réservée à la septième cascade, celle qui défie, qui excite et qui est, par définition, la dernière. Elle est donc la plus difficile d’accès, avec une descente de 350 mètres de dénivelé. Autant dire qu’il serait imprudent de s’y aventurer sans guide, car le terrain est hostile et dangereux.
Depuis Henrietta, la piste qui amorce déjà la descente est étroite, boueuse (en cas de pluie) et extrêmement glissante, avec d’un côté souvent le précipice. La moindre glissade peut être dangereuse, surtout si les chaussures ne sont pas adaptées. «Nous avons emprunté des sentiers boueux et glissants, parsemés de rochers et de pierres, et surtout envahis par la plante ‘laliane cerf’’. Le spectacle était également au rendez-vous, avec des troncs couverts de mousse et des champignons tapissant le sol», décrit Stephan A. Lucchesi, habitué des sentiers. Ces troncs obstruant le sentier, il faut soit les enjamber, soit passer en dessous, comme dans une limbo dance inversée. Presque à mi-chemin de cette descente, une halte s’impose car elle surprend : une grotte de la Vierge du Grand Pouvoir, dont on peut imaginer la difficulté de son aménagement. La descente ne devient pas plus facile pour autant, elle se corse même. Elle devient plus sinueuse, plus difficile, parsemée de pierres, de mousse et de branches pourries. Relâcher sa vigilance est dangereux.
Installations hydro-électriques
La deuxième halte se situe à la centrale hydroélectrique du CEB au fond de la vallée, à environ 300 mètres plus bas, avec d’énormes installations pour la production d’électricité. On a l’impression qu’elle représente les intestins, les conduits métalliques de la vallée. Selon Mahen Bholah, ingénieur principal du CEB, cette centrale est alimentée par les turbines du réservoir de Tamarind Falls qui a une capacité de 2,25 millions de mètres cubes d’eau, contribuant ainsi à 1 % de l’électricité du réseau national. «Quatre turbines avaient été installées à l’époque. On peut imaginer à quel point il a été difficile d’acheminer tout ce matériel au fond de la vallée. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’y être présent tous les jours, la centrale est contrôlée à distance», précise Mahen Bholah. Cette centrale privée, créée par Sylvio Fannucci et Henri Adam, deux véritables pionniers de la production électrique à Maurice en 1900, est devenue opérationnelle en 1903. Les deux hommes ont fondé la General Electric Supply Co. Ltd et ont acquis une sucrerie à «Sept Cascades Tamarin». Ce n’est qu’en 1952 que le CEB a été créé. En 2003, la centrale hydro-électrique a célébré ses 100 ans. Le production manager de l’époque, Gérard Hébrard, précisait qu’il s’agissait de la première centrale hydraulique à Maurice et qu’avec les huit autres stations existantes, elles produisaient 20 % de la production annuelle d’énergie hydraulique. Toujours en 2003, Maurice comptait (et compte toujours) 10 centrales hydrauliques installées à proximité des cascades. En avril 2022, le CEB a annoncé le remplacement de deux turbines datant de plus de 70 ans de cette station, avec l’ambition de produire de l’énergie propre, notamment grâce aux éoliennes.
Après cette halte, les randonneurs reprennent leur route pour descendre encore plus bas, toujours par des sentiers sinueux et boueux, avec cette fois-ci une rivière à traverser, sans que cela ne ressemble à un retour sans issue, comme dans le film La rivière sans retour (1954) d’Otto Preminger avec Marilyn Monroe et Robert Mitchum. Mais cette traversée présente une difficulté particulière : les rochers sont glissants comme du savon, et la traversée est délicate, lente et difficile. Grâce aux bras solides de Kersley Yardin (professeur d’éducation physique), assisté de Joey JeanJacques Sauzier dans l’eau, tout le monde parvient à passer en file indienne. Il en est de même pour le retour. Joey, malgré sa victoire au sommet du Pieter Both avec sa femme, Zohra Fatema, joue modestement le rôle de sherpa. Cependant, nous n’avons pas encore terminé notre périple : il reste encore plus de 50 mètres de gros rochers à parcourir avant d’atteindre notre objectif.
Spectacle à couper le souffle
Le spectacle qui s’offre à nous est tout simplement grandiose. Nous pouvons admirer plusieurs cascades, grandes et petites, des jacuzzis naturels et des piscines, des parois lisses, des falaises, et en face de nous, un immense canyon vert qui s’étend à perte de vue. Un ciel d’un bleu azur et un soleil bienveillant nous accompagnent. Mais surtout, c’est le bruit des cascades qui nous enveloppe. À la sortie de la forêt, nous retrouvons le grand air. Le septième ciel, au fond de la vallée. Pierre Argo, artiste-peintre et photographe professionnel âgé de 82 ans, le doyen de l’expédition, fouille dans son sac à dos de sept kilos et en sort appareils photo, caméras et drone pour capturer des images. Il a déjà effectué cette descente plus de cinq fois et se sent chez lui. Nous avons dû nous battre avec lui pour qu’il confie son sac à dos à Raj Appalasawmy, un autre habitué des sentiers. Les jumeaux Mootoosamy JeanLuc et Jean-François (48 ans) retrouvent leur enfance et s’amusent sous une petite cascade avant de rejoindre Sharin Salesse et Saira Easton dans une ‘piscine’. Cette dernière, auteure du livre intitulé Evolve et spécialiste du yoga, se transforme en femme-araignée et escalade une paroi abrupte avec une facilité déconcertante, sous le regard attentif d’Arnaud Godère et de Meenakshi Putty de Netwalking.mu. Catherine Ahnee est déjà à genoux, épuisée.
Nous profitons de cette nature pendant 90 minutes avant de reprendre le chemin du retour. Marcel Lindsay Noë (78 ans), capitaine du Zero pollution E-Boat, n’a pas seulement le pied marin. Il prend résolument la direction de la remontée, s’appuyant sur les épaules de Kersley Yardin, tout en racontant en détail l’histoire de Matthew Flinders lors de son séjour à l’île de France (navigateur, explorateur et cartographe qui a donné son nom à l’Australie) en tant que prisonnier du gouverneur Decaen de 1803 à 1810. Flinders, grâce à une certaine bienveillance, a pu séjourner dans les environs de Henrietta et a ainsi pu explorer la vallée et ses trois cascades de l’époque. Il avait prédit que, avec l’érosion et les fortes pluies, les cascades se multiplieraient. Philippe La Hausse de La Louvière, président de la Société d’Histoire de l’Île Maurice, lui a consacré un monument à Baie-du-Cap, inauguré par le prince Edward le 20 septembre 2003. Marcel Lindsay Noë prépare actuellement un film sur ce personnage haut en couleur, tandis qu’en 2010, l’artiste Khalil Muthy lui a consacré une bande dessinée.
La remontée m’a pris plus de temps que la descente, mais elle fut agréable, avec des pauses pour reprendre mon souffle et admirer le paysage. Je suis heureux de l’avoir fait et reconnaissant envers les guides qui nous ont accompagnés tout au long du parcours. Les Sept Cascades de Tamarind Falls resteront à jamais gravées dans ma mémoire, une expérience unique à partager avec d’autres aventuriers.
Credit photos/Drone : Dr. Zbigniew Sedzimir, un Pololais dans l’expédition. Stephane Luchessi, Jean-Luc Mootoosamy, Raj Appalaswamy, Sharin Salesse.
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