Publicité

Banque de Maurice | Comité disciplinaire: le pot de terre contre le pot de fer

26 juin 2023, 13:44

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Banque de Maurice | Comité disciplinaire: le pot de terre contre le pot de fer

Demain, la direction de la Banque de Maurice (BoM), organisme peuplé de nominés politiques payés rubis sur l’ongle, convoquera un jeune habitant de Mahébourg qui s’est mis en avant pour défendre l’intérêt des employés de la banque. Il s’appelle Chidanand Rughoobar, 30 ans, ancien président de l’union des employés de la BoM.

Ce week-end, aidé par ses collègues et des syndicalistes, il essaie de trouver un homme de loi qui ne va pas lui réclamer Rs 80 000, afin de l’accompagner au comité disciplinaire. Il sait que la partie ne sera pas facile : la direction, conseillée par le Senior Counsel Rishi Pursem, veut le sanctionner parce qu’il ose remettre en question, au nom des travailleurs, l’Option Form pour de nouvelles conditions de travail. Son négociateur Narendranath Gopee crie à l’injustice et a déjà alerté le Bureau international du travail.

Qui est Chidanand Rughoobar ?

Chidanand, ou Chid, est un jeune qui aimerait bien rester à Maurice et non pas mettre les voiles vers l’étranger, comme beaucoup de sa génération le font. Il est un habitant de Mahébourg, issu d’une famille modeste et dont les parents sont fonctionnaires. Il est l’aîné d’une fratrie de trois enfants. Il détient un Bachelor en économie et en droit, et a aussi une maîtrise en économie – peut-être pas de la London School of Economics comme certains s’en vantent –, mais il est dûment qualifié et bien formé, selon ses collègues que nous avons interrogés.

Chid n’est pas resté intellectuellement figé ; il a aussi fait d’autres études dans la finance et la taxation. Depuis tout petit, il a pris les devants pour prendre des postes de responsabilité, même de manière informelle, comme il a été le class captain à la Willoughby Government School, comme au secondaire. Il a aussi été prefect durant ses deux dernières années au collège.En 2010, il est élu président de l’Amnesty Club au Mahatma Gandhi Institute. Durant ses années à l’université de Maurice, il a été élu président de l’Economics Society de l’établissement. On apprend de ses professeurs que Chid Rughoobar a toujours été un enfant brillant et qu’il aimait participer aux activités extra-curriculaires. Il a décroché la troisième place d’une compétition organisée par la… BoM, en 2010, et a été sélectionné parmi les cinq finalistes, en 2011, sur la politique monétaire. C’est là qu’on se disait qu’un jour il travaillerait vraiment à la BoM.

Ses premiers combats sur le front de l’injustice

Les amis de Chid Rughoobar nous le décrivent comme une personne qui n’aime pas rester les bras croisés devant l’injustice et qui n’hésitera pas à apporter son soutien, même par vents et marées. Chid Rughoobar a été élu président du Syndicat Bank of Mauritius Employees Union (BOMEU), en 2020, et a occupé ce poste pendant deux ans. Il a succédé à son prédécesseur, Sameer Sharma. Il est parmi les plus jeunes à occuper ce poste au sein d’un syndicat qui date de 1976. Durant son mandat, les membres nous disent qu’il a restructuré le syndicat en lui donnant une identité visuelle ; il a aussi développé de bonnes relations avec le gouverneur. Il a même organisé une collecte de fonds pour les orphelins à Noël et a défendu corps et âme les intérêts des travailleurs – jusqu’à représenter, au comité disciplinaire, les employés qui n’avaient pas les moyens de le faire. Il a même réussi à faire changer la décision du management concernant les modifications des termes de travail des techniciens de surface. Il a aussi milité pour promouvoir les employés à plusieurs niveaux, y compris ceux qui n’ont jamais eu de promotion pendant leurs trentecinq années de service.

Le plus gros projet sur lequel il avait commencé de travailler, c’est la révision des conditions de service des employés qui était due depuis 2018. Il savait qu’il était jeune et qu’il pourrait être sujet aux critiques. Donc, pour promouvoir la transparence et comme le prescrit la loi, il a fait une demande pour établir un joint-negotiating committee – pour permettre à la fois aux représentants des employés et de la banque de discuter de cette révision. Or, la BoM a fait la sourde oreille à chaque fois que cette demande a été remise sur la table des négociations, après que la banque ait elle-même écrit au syndicat pour l’informer qu’elle agirait selon le Procedure Agreement prévu dans la loi du travail.

Dos au mur

C’est là qu’il s’est retrouvé face à une décision, prise unanimement par les membres du BOMEU lors d’une AGM pour recourir à l’Employment Relations Tribunal (ERT), pour émettre un ordre afin que la BoM respecte les provisions de la loi du travail. C’est à partir de ce moment que les ponts entre Chid Rughoobar et la direction ont été coupés. Il a fait l’objet de persécutions, selon ses collègues. Chid Rughoobar a alors prévenu le gouverneur que si le management ne respecte pas les lois et agit au détriment des travailleurs, il n’aura pas d’autre choix que de prendre les actions requises.

En 2022, Chid Rughoobar a alors décidé de se retirer parce que le management avait tenté de s’infiltrer dans le syndicat. Les syndiqués sont mal vus. La BoM a déployé une voiture et trois employés pour se rendre au domicile des membres du syndicat pour leur faire signer une lettre, afin de faire croire que le président n’avait pas le soutien de son exécutif et qu’il a agi de sa propre volonté en traduisant la BoM devant l’ERT.

«Combien de nominés politiques sont protégés et pourquoi veut-on faire partir un jeune ? Est-ce ainsi qu’on va retenir nos meilleurs talents ?», témoigne un membre de la direction, qui se dit dégoûté de la campagne contre le jeune syndicaliste. Un ancien cadre de la BoM, aujourd’hui émigré en Europe, ne cache pas sa colère : «The Bank of Mauritius not responding to the application of recognition is illegal. This is counter to Mauritian law and it is also counter to the treaties Mauritius has ratified. The interference of management to try to destroy the union and scare its members is also illegal.»

Pour rappel, la BoM a décidé de recruter un consultant afin d’entamer l’exercice de révision salariale, sans permettre au syndicat de faire des représentations. À la fin de cet exercice, la banque a émis un formulaire d’options pour implémenter de nouvelles conditions et a invité les employés à faire part de leurs intentions. À noter que la banque a limité l’accès au document à l’intérieur de la BoM Tower et que les employés n’avaient pas le droit de prendre des conseils ou de consulter des hommes de loi s’ils le souhaitaient.

Face à la détermination de la direction à lui mener la vie dure, Chid Rughoobar risque de perdre son emploi – ayant pourtant un contrat à durée indéterminée, contrairement aux consultants ou aux nominés qui sont payés des centaines de milliers de roupies –, face à un comité disciplinaire. Et ce, parce qu’il a eu besoin de plus de temps pour prendre la décision d’accepter les nouvelles conditions de service à la banque. Chid Rughoobar cherche toujours un avocat pour le défendre contre une option qui n’était pas une option. C’est la véritable histoire du pot de fer contre un pot de terre, un cas suivi avec intérêt par les employés, les syndicalistes et l’opinion.

L’express a plusieurs fois évoqué le cas de Chid Rughoobar avec le département de la communication de la BoM. On nous répond laconiquement : il faut laisser les procédures suivre leur cours.