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Dossier │ Special Striking Team: échecs, zot mat…

2 juillet 2023, 17:00

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Dossier │ Special Striking Team: échecs, zot mat…

Elle essuie revers après revers. La «Special Striking Team» essaie souvent de frapper fort mais plusieurs opérations – avec parfois des scénarios incroyables mais vrais – finissent en eau de boudin, avec le judicaire qui lui met un coup de marteau sur la tête. Retour sur quelques affaires qui ont marqué les esprits.

Le premier coup d’éclat de la Special Striking Team (SST) a été l’arrestation d’Akil Bissessur et de sa compagne Doomila Moheeputh au domicile de cette dernière à Palma le 19 août 2022. L’opération est suivie en direct par des internautes à travers un live effectué par l’avocat. La SST avait-elle aussi filmé la descente, comme le demandent depuis longtemps plusieurs avocats ? Oui, car pour convaincre la population de la justesse de l’opération, plusieurs séquences avaient fuité sur les réseaux sociaux. Notamment la partie où Akil Bissessur a en sa possession un sac. Or, la totalité des images n’a jamais été rendue publique. Le couple obtiendra la liberté conditionnelle par la suite et Akil Bissessur obtiendra un non-lieu, alors que sa compagne attend toujours une décision du tribunal.

Quelques mois plus tard, le 4 novembre 2022, ce sera l’arrestation de Bruneau Laurette et de son fils qui sera d’ailleurs très médiatisée. Certains soutenaient alors que la SST cherchait surtout à discréditer l’activiste aux yeux des Mauriciens. Cependant, la demande de remise en liberté conditionnelle des Laurette est agréée par la magistrate Jade Ngan Chai King le 22 février 2023. (NdlR: pour rappel, la magistrate s’attirera d’ailleurs les foudres du Premier ministre lors d’une réunion politique à Surinam par rapport à cette libération). Lorsque le Directeur des poursuites publiques (DPP) n’y objecte pas, surtout face au manque de preuves, beaucoup vont penser que la thèse de planting à l’encontre de la SST n’était finalement pas si farfelue.

L’avocat Rama Valayden est, lui, appréhendé chez lui, tôt le matin du 12 mai dernier, toujours par la SST, devant ses enfants et son épouse. Pourquoi ? Il est accusé d’entrave à la justice, après avoir fait des commentaires sur le planting sur une radio privée, ce qui n’avait pas plu à la SST. Le lendemain, coup de théâtre, le DPP intervient en cour et demande lui-même la radiation des charges contre Rama Valayden. Il profite de l’occasion pour demander à la police, dans un communiqué, de solliciter son avis avant de procéder à des arrestations intempestives.

Cette directive du DPP à la police sera visiblement tombée dans l’oreille d’un sourd puisque le 29 mai suivant, c’est au tour de Sherry Singh et de son épouse d’être arrêtés par la SST, toujours dans des circonstances très médiatisées. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de drogue, mais d’une vieille affaire de vente de cuivre. Le couple retrouvera la liberté provisoire après avoir passé deux nuits en cellule policière. Cette semaine, le bras de fer entre le DPP et le CP monte d’un cran quand, dans cette affaire, la police informe le tribunal qu’elle n’aura pas recours aux avocats du bureau du DPP et qu’elle a retenu les services de Me Ammar Oozeer pour la représenter. Le représentant du bureau du DPP, Me Damodarsing Bissessur, s’oppose à cette démarche.

Le 20 juin, retour sur Akil Bissessur et sa compagne Doomila Moheeputh sont arrêtés une deuxième fois, toujours pour trafic présumé de drogue. Le frère de l’avocat, Avinash Bissessur, est lui aussi arrêté ce jour-là. Ils sont tous trois libérés le 26 juin, après l’intervention du bureau du DPP qui informe le tribunal que la DPP suppléante n’objecte pas à la demande de liberté provisoire des trois accusés. Même si le représentant du DPP n’a pas motivé sa décision, cette démarche a outré le SP Dunraz Gungadeen qui paraissait pour la police. Il faut dire que cette descente de la SST, encore une fois retransmise en direct par Akil Bissessur, paraissait plus comme une opération de planting, ou plutôt de posting, ratée. Maintenant le commissaire de police, Anil Kumar Dip, conteste la libération provisoire des trois suspects, tout comme il l’avait fait dans le cas de Bruneau Laurette. Ces arrestations paraissent être plus motivées par la politique et un règlement de comptes personnel que par la lutte contre le trafic de drogue, semblent dire plus d’un observateur.


Conflit judiciaire-police : Le DPP, un rempart

La police qui a toujours travaillé en collaboration avec le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) veut aujourd’hui se passer de ses services car elle estime qu’ils ne sont plus sur la même longueur d’onde. Pourtant, le rôle du DPP en matière d’enquête est primordial. Les récents cas de charges provisoires rayées ou de suspects en liberté provisoire malgré l’objection de la police témoignent de l’importance du DPP comme un rempart contre des abus. À travers ses décisions, il peut remédier à l’injustice potentielle envers une victime par un enquêteur «mal averti, négligent ou malhonnête».

L’ancien DPP, Me Satyajit Boolell, l’a dit à maintes reprises dans le passé : «Il y a beaucoup d’attentes du DPP. Les victimes veulent que la justice soit rendue, les accusés veulent un procès équitable, respectueux de leurs droits,et la communauté veut une bonne administration de la justice.» C’est ainsi que par les pouvoirs que lui confère la Constitution, un DPP est appelé à exercer le contrôle judiciaire d’une enquête policière pour éviter des abus. La police enquête dans les affaires criminelles et dispose d’une entière liberté dans ses investigations. L’enquête bouclée, le dossier est transmis au bureau du DPP, qui peut demander un complément d’enquête ou signaler au commissaire de police (CP) les méfaits des enquêteurs. Mais qu’adviendra-t-il aux erreurs commises durant une enquête si le bureau du DPP n’est pas de la partie ? Comment garantir une bonne administration de la justice sans contrôle judiciaire ?

«Too many abuses»

Dans son message avant de partir à la retraite en décembre dernier, Me Boolell évoquait une fois de plus son souhait de voir une véritable refonte des procédures pénales. Le DPP s’attardait aussi sur la nécessité d’introduire une Police and Criminal Justice Act (PACJA) afin de prescrire des délais de détention et éliminer les abus potentiels de l’arrestation. «A person cannot be kept indefinitely under arrest without a formal charge. A provisional charge is the source of too many abuses. The court can be informed of the arrest of a suspect and the reasons of the arrest without the need for a meaningless provisional charge.»

L’arbitre

Son successeur, Me Rashid Ahmine, partage les mêmes convictions. D’ailleurs, à sa nomination, il l’avait dit : parmi ses priorités – changer le système afin que les enquêtes policières prennent moins de temps, mais aussi s’attaquer à l’épineux dossier des charges provisoires. Ceux-ci n’auront pas été de vaines paroles. Me Ahmine fait un premier pas dans ce sens à la suite de l’arrestation de Me Rama Valayden par la Special Striking Team SST pour entrave à la justice, quand il intervient pour demander l’abandon des charges provisoires. Me Ahmine prend aussi position en demandant au CP de ne pas recourir aux charges provisoires dans tous les cas et de consulter son bureau au préalable.

La semaine dernière, dans une même démarche pour éviter des abus, Me Anjali Ramdin, DPP suppléante en l’absence de Me Ahmine du pays, intervient au tribunal de Mahébourg pour que les frères Bissessur et Doomila Moheeputh obtiennent la liberté provisoire. Dans cette perspective, le DPP serait non seulement l’arbitre de la poursuite mais aussi le conseiller de l’enquête pour éviter tout abus potentiel. Donc, que se passera-t-il si le bureau du DPP ne fait plus partie d’un procès pénal ? Comment un avocat du privé, qui ne détient aucun pouvoir de mettre un terme à une poursuite, pourra-t-il veiller à la bonne administration de la justice ? Dans tous les cas, le DPP agit comme un rempart contre des interpellations faussement justifiées, discriminations et abus de la part de policiers ou violations graves de la Constitution. Le bureau du DPP dans un procès pénal, conclut un Senior Counsel, est «l’autorité chargée de veiller, au nom de la société et dans l’intérêt général, à l’application de la loi [pénale], en tenant compte, d’une part, des droits des individus et, d’autre part, de la nécessaire efficacité du système de justice pénale».


Comptes gelés : Le chaud et le froid

Les biens de personnes faisant l’objet d’une enquête de l’Independent Commission against Corruption (ICAC) se retrouvent sous le coup d’attachment orders délivrés par la Cour suprême. Cela peut aboutir à la saisie de leurs avoirs. En même temps, l’ICAC peut demander le gel des comptes bancaires pour contrôler si l’argent provient d’activités illégales. Le dernier cas en date est celui de Vimen Sabapati. Pris au dépourvu par cette action légale, ceux concernés doivent alors faire une demande en Cour suprême afin d’avoir accès à une partie de leur argent pour assurer leurs besoins urgents.

Dans la majorité des cas, l’autorité qui demande un gel de vos comptes bancaires ne vous aura pas donné d’avertissement qu’elle tente de le faire geler. Cela, pour éviter que vous ne vous précipitiez à votre banque pour retirer votre argent. Le principal concerné est informé, une fois l’ordre de la Cour obtenue et les démarches enclenchées auprès des institutions financières. Pour plusieurs personnes, cette situation représente un réel cauchemar financier.

La Cour suprême avait émis en mars un ordre de gel des biens de Sherry Singh et de son épouse Varsha à la demande de la Financial Intelligence Unit (FIU). Cependant, l’ancien CEO de Mauritius Telecom et son épouse souhaitant faire des retraits de Rs 700 000 de leurs comptes bancaires gelés pour subvenir à leurs besoins ont logé une demande en Cour du dégel de leurs comptes. Une décision est toujours attendue.

Ainsi, quand un compte est gelé, le principal concerné jure un affidavit pour demander la révision de cet ordre. Le demandeur doit justifier, documents à l’appui comment l’interdiction d’accéder à son argent lui porte préjudice et qu’il doit subvenir aux besoins de sa famille. Une demande peut aussi être logée pour obtenir l’autorisation de retraits mensuels d’un montant spécifique pour des dépenses. Les institutions qui ont demandé le gel objectent dans tous les cas mais il revient aux juges de décider d’accéder à la demande ou pas.

Pour les biens saisis, il s’agit de saisies conservatoires, dites temporaires, jusqu’à ce que l’enquête soit bouclée. En fonction des retombées, par exemple, si l’accusé a pu expliquer la provenance de ses biens, ceux-ci lui seront retournés. Alors qu’en cas de poursuite de l’enquête, les biens seront référés au bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) sous une accusation de blanchiment d’argent. Si l’accusé est condamné, les biens seront vendus et l’argent encaissé par l’État.

Le Parti travailliste

Le Parti travailliste (PTr) avait présenté une motion en février 2022, demandant à la Cour suprême de révoquer l’ordre de gel du compte bancaire «du PTr» à la Mauritius Commercial Bank (MCB), émis le 15 mai 2015 par le juge Iqbal Maghooa, siégeant en référé, à la demande du bureau du DPP, qui a depuis passé ses fonctions de recouvrement des biens mal acquis à la FIU après un amendement à la loi. La FIU, représentée par Me Sultan Sohawon s’est opposé à la motion. Le président du PTr, Patrick Assirvaden, avait fait valoir dans son affidavit que depuis six ans ce compte est bloqué et que le PTr a un «besoin urgent» des fonds de ce compte pour régler ses frais administratifs. La justice n’a toujours pas tranché.

Les filles Rawat

Dix-sept semaines après des Freezing and Disclosure Orders obtenus en Cour suprême à la suite de motions de l’Assets Recovery Unit du bureau du DPP, les deux filles du Chairman Emeritus de la BAI, Adeela Rawat-Feistritzer et Laina Rawat-Burns, avaient obtenu l’autorisation de la Cour suprême en 2015 d’accéder à leurs comptes en banque sur une décision de l’ancien chef juge Keshoe Parsad Matadeen. Elles avaient logé une motion réclamant la levée du gel sur une partie de leurs comptes bancaires pour qu’elles puissent payer leurs hommes de loi et subvenir à leurs besoins quotidiens, car elles étaient sans emploi. En 2018, leur sœur Kerima Rawat avait aussi obtenu l’autorisation de la Cour d’accéder à ses comptes bancaires. Toutefois, leurs biens mobiliers et immobiliers sont toujours gelés.


Me Yuvir Sharma Bandhu, 27 ans : «Les Avengers sont une super équipe mais ça ne coûte rien à Superman d’aider…»

Le jeune avocat entouré de sa mère et de ses deux frères.

IL s’est récemment fait remarquer lors d’une conférence de presse après la remise en liberté d’Akil Bissessur. Me Yuvir Sharma Bandhu, âgé de 27 ans, était aux côtés de ténors comme Mes Rama Valayden et Sanjeev Teeluckdharry, entre autres, ainsi que d’autres jeunes avocats du barreau, dont Mes Saud Peerun, Pravesh Nuckchedd. Est-ce donc la prochaine génération d’«Avengers» ?

En tout cas, Yuvir Sharma Bandhu a prêté serment en septembre 2022 et n’hésite pas d’ores et déjà à dénoncer, au nom de ses clients, les persécutions policières si tel est le cas. Ayant étudié le LLB (Hons) à distance à l’université de Northumbria en 2015 tout en travaillant à temps plein, il a effectué son stage chez les grands noms du barreau, notamment Mes Antoine Domingue, Senior Counsel, et Gavin Glover, SC. Avant de prêter serment en tant qu’avocat, Me Yuvir Sharma Bandhu a également effectué un stage au bureau du Directeur des poursuites publiques ainsi qu’au bureau de l’Attorney General. À 27 ans et ayant dû poursuivre ses études pendant la pandémie de Covid-19, il a dû surmonter de nombreux obstacles; mais cet habitant de Solitude-Triolet est désormais titulaire d’une maîtrise en International Human Rights Law.

«Pour moi, porter la toge a toujours été mon rêve d’enfant et, pour moi, c’est ma tenue de Superman…» confie le jeune homme. Quant à sa décision d’aider les Avengers lors de la détention de son confrère Akil Bissessur, il explique : «J’ai choisi d’apporter mon soutien face au harcèlement continu des avocats, en particulier mon collègue Akil Bissessur. J’entretiens d’excellentes relations de travail avec tous les avocats et j’ai décidé de les aider dans ce cas particulier. Tout comme Shakeel Mohamed qui a aidé dans l’affaire de Bruneau Laurette et Roshi Bhadain dans l’affaire Kistnen.» Cela fait-il de lui un Avenger ? «C’est moi qui les ai contactés pour les aider. Mais comme je le dis : les Avengers forment une super équipe, mais il ne coûte rien à Superman de prêter main-forte!»

Me Bandhu représente en outre un septuagénaire accusé d’avoir fait une fausse dénonciation dans le cadre de mesures de précaution prises contre la fille du commissaire de police. Il a dénoncé une persécution policière devant la cour. Il a également plaidé devant la cour d’appel sur une question d’outrage au tribunal et, au cours de sa première année en tant qu’avocat de la défense, il a plaidé dans une affaire d’extradition.

Commentant l’affaire Bissessur, il estime que le but de l’arrestation d’un accusé est de porter des accusations formelles à la lumière des preuves et de l’enquête. Cependant, s’il estime que l’enquête et les preuves elles-mêmes sont douteuses, il est peu probable que des poursuites aboutissent. «C’est pourquoi la police doit changer son orientation et son état d’esprit», soutient l’homme de loi qui attribue son succès à sa maman et à sa famille, dont ses deux frères.

Nous avons également sollicité l’avis de Me Rama Valayden, qui a travaillé avec lui. «Il est brillant et excellent dans la recherche. Les ‘diamants bruts’ ont besoin d’être polis, car il s’agit d’un long marathon, et Me Bandhu, qui est très cultivé et demande conseil à ses aînés, est sur la bonne voie…» Me Sanjeev Teeluckdharry le décrit comme un jeune homme inspiré par les autres Avengers pour combattre la persécution et l’injustice.