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Georges Li Ying Pin: «En 1971, le karaté n’était pas un sport pour nous»

15 juillet 2023, 08:04

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Georges Li Ying Pin: «En 1971, le karaté n’était pas un sport pour nous»

Cela fait 52 ans que le Kyoshi Georges Li Ying Pin a officiellement fondé le premier dojo de karaté à Maurice. A quelques semaines des Jeux des Iles à Madagascar, où le cette discipline sera au programme de cet évènement indianocénique, il se confie sur ses débuts dans le karaté et nous partage son regard sur l’évolution de cet art martial depuis plus d’un demi-siècle et sur la philosophie qui y est attachée.

Georges Li Ying Pin (2e à dr) auprès de Brian Burns (dr), sensei du dojo de karaté de Grand Baie ainsi que du Japonais Toru Kanzaki (à g.)et du Grand Maître féminin Soke Hoshu (Ai) Ikeda en visite à Maurice le mois dernier.

En créant ‘Joshinmon Mauritius’ en 1971 vous avez implanté le karaté à Maurice. Confirmez-vous être le pionnier de cette discipline à Maurice ?
Certes, les 52 ans de ‘Joshinmon Mauritius’ coïincident avec les 52 ans du karaté mauricien. C’est un fait, mais ce n’est pas à moi de dire que j’en suis le pionnier. En vérité, j’ai commencé le karaté vers mai 1965. Un Mauricien qui travaillait pour la Royal Air Force (RAF) en Angleterre et qui était de passage dans l’île, faisait des exercices qu’il attribuait au karaté. Il montrait cela à quelques personnes. Il est resté à Maurice pendant une semaine et cela a été ma première expérience avec le karaté.

Comment avez-vous fait pour poursuivre votre apprentissage du karaté après le départ de cet employé de la RAF ?
Entre amis, on a continué à en pratiquer. Il y avait un petit local à la rue Desforges, appelé Blue and white. On pratiquait sur la terrasse en plein soleil à 17 heures. Quelque mois après, par chance, j’ai pu rencontrer Tsuneyoshi Nishi, General Manager d’une compagnie de pêche, le ‘Kaigai Kyogo Kaisha’. Originaire de kagoshima, non loin d’Okinawa, dans le sud du Japon, il y pratiquait le Kobayashi Shorin-Ryu. Il était 2e Dan de karaté. Il nous a entraînés, mes amis (Ndlr : le Grand Maître Mario Hung Wai Wing en faisait partie) et moi jusqu’en 1968, année de son départ de Maurice.

Qu’est-il arrivé au groupe qui s’entraînait avec Tsuneyoshi Nishi entre 1968 et 1971 ?
Quand Tsuneyoshi Nishi est parti, c’est moi qui ai dirigé le reste du groupe au local de Blue and white. Cela dit, entre 1969 et 1970, certaines choses se sont passée Au Japon, Tsuneyoshi Nishi avait fait des démarches pour que je puisse être inscrit au Shotokan JKA. Il m’avait fait comprendre que le shotokan présentait des similitudes avec le shorin-ryu tout en précisant que certaines choses étaient différentes. Presque à la même période, j’avais reçu une admission du côté du kyokushinkai. J’étais en correspondance avec Masutatsu Ōyama, fondateur de cette discipline. Il m’avait dit de venir au Japon un mois après son retour d’Hawaï.  Mais pour moi qui n’avait jamais voyagé et qui avais eu un enfant, il était impensable de quitter le pays en raison de problèmes financiers.

C’est donc tout seul, sans formation aucune, que vous avez fondé ‘Joshinmon Mauritius’ ici ?
Pas du tout, car je suis parti pour le Japon en juillet 1971. Mais quelque temps avant mon départ, j’avais entendu parler – par Henry Gipson, un Fidjien de passage à Maurice - de Soke Hoshu Ikeda, un jeune Japonais sortant de l’ordinaire, originaire de Kyushu du sud du Japon et  fondateur du Joshinmon Shorin-Ryu. En apprenant que le Fidjien allait s’entraîner avec lui au Japon, j’ai moi pris la décision de rencontrer Hoshu Ikeda qui allait m’entraîner directement. Je trouvais plus intéressant de le rejoindre, lui, plutôt que la JKA ou le kyokushinkai où cela allait être des sempais (élèves avancés) qui allaient s’occuper de moi.

Comment se sont déroulés les entraînements au Japon avec Soke Hoshu Ikeda ?
Par Henry Gipson j’avais appris que Hoshu Ikeda allait quitter son endroit pour venir concourir contre des adversaires à Tokyo. Je m’étais dit qu’il devait être quelqu’un de spécial pour faire un tel déplacement. C’est ce qui s’est avéré par la suite en compétition. Au Japon, je suis allé chez lui. De juillet à décembre 1971, quand il donnait des cours de karaté dans plusieurs contrées du Japon, je l’accompagnais. Pour ses démonstrations, je lui servais de partenaire. Et c’est le 25 décembre 1971 que je suis rentré à Maurice avec le titre de chief branch de Joshinmon Shorin-Ryu pour Maurice.

C’est donc en six jours après votre retour au pays que le ‘Joshinmon Mauritius’ a vu le jour ?
Quand je suis rentré, j’ai retrouvé mes amis du groupe qui s’entraînait dans le local du Blue and White à Port Louis. L’école qui s’appelait Blue and white a pris le nom de Joshinmon Mauritius. Car à mon retour en décembre 1971, dès les premiers jours d’entraînement, le Joshinmon s’est définitivement implanté à Maurice. J’avais 27 ans à ce moment-là et j’étais ceinture noire de karaté, 2e Dan. Dans le dojo, nous étions d’abord entre amis. Mais le 15 janvier 1972, nous avons ouvert nos portes à d’autres membres. L’école a alors commencé à s’agrandir.

Quel était votre regard sur le karaté à ce moment-là ?
D’une certaine façon, en 1971, le karaté était purement physique et plus martial. Cette année-là, ce n’était pas un sport pour nous. C’était une discipline qui servait à la self-défense. A cette époque, je ne pensais pas que le karaté allait devenir populaire. Et cette popularité a créé une certaine frustration dans certains quartiers de Port Louis. J’ai, certes, reçu des défis, mais j’étais dans une situation où je ne pouvais revenir en arrière. Je sentais que j’étais comme quelqu’un qui occupait une place que tout le monde convoitait. Il fallait que je fasse mes preuves. Les gens qui se lancent dans le karaté aujourd’hui ont de la chance. Ils n’ont pas connu les écueils qui se trouvaient sur ma route lorsque j’ai débuté cet art martial à Maurice.

Votre vision du karaté aujourd’hui est-elle la même ?
Ma vision du karaté du karaté a évolué mais j’ai moi aussi changé en tant que personne. Déjà, après 20 ou 25 ans d’implantation du karaté à Maurice, ma vision de cette discipline n’était plus la même. Et ce processus se poursuit. Le karaté sportif (Ndlr : comme aux JIOI) tel qu’il existe, est assez récent, même si, à la fin des années 60 des compétitions commençaient déjà à se développer. Ce karaté sportif est indispensable pour les jeunes. C’est une étape importante dans leur cheminement. Mais en évoluant on se rend compte que le côté métaphysique prime. Après plusieurs années de pratique, le karaté tel qu’on le perçoit initialement dans la vie ordinaire devient le Karaté-Do. (Ndlr : le Do, en japonais, marque la voie). C’est le karaté authentique autrement dit le karaté traditionnel. Lequel n’a pas le même objectif que le karaté sportif.

Qu’entendez-vous par karaté traditionnel ?
Le karaté traditionnel a quatre composantes: le comportement psychique, l’alimentation, la respiration et la méditation. Ces quatre éléments vont se greffer sur la technique gestuelle. Et cela devient un art de vivre. En amont, nous avons des exercices physiques, des techniques gestuelles, en somme des exercices préparatoires. En aval nous avons une approche et la manière de récupérer. C’est un véritable art de vivre. La finalité de cette pratique est d’accumuler l’énergie tant mentale que physique. La force, la posture, la respiration, ces choses visibles vont refléter l’invisible. Cela créé un certain charisme qui émane de l’être. Le karaté traditionnel ou authentique, c’est savoir marcher, se tenir, s’adosser ou s’asseoir. Tout cela est relatif à l’attitude. Je montre aux élèves ce qu’ils doivent éviter de faire ainsi que les conditions nécessaires pour créer la bonne attitude.

Le karaté traditionnel aurait-il, à long terme, une portée spirituelle ?
Nous n’accordons pas d’importance aux choses matérielles et temporelles. La pratique du karaté  doit aider chacun à devenir une meilleure personne. Le Karaté-Do permet d’abord de se focaliser sur la quête de soi afin d’avoir, par la suite, un regard neutre sur le monde. Sur le plan physique, il faut veiller au bon alignement corporel et que cela soit fait en harmonie avec le développement spirituel. Mais attention, au Joshinmon Mauritius, on met l’accent sur le karaté traditionnel sans pour autant négliger les jeunes.

Quelle est votre opinion du karaté mauricien aujourd’hui ?
Ce que j’apprécie ce sont les karatékas mauriciens qui sont sincères dans leur approche et dans leur quête de progression en karaté. Et ce, même si leur niveau technique laisse parfois à désirer. D’ailleurs, pour accéder à la partie métaphysique du karaté, ils doivent maîtriser la partie physique d’abord. Mais ce que je déplore, c’est cette tendance obséquieuse qu’ont certains Mauriciens à l’égard de maîtres étrangers qu’ils invitent à Maurice. En tant que Mauriciens nous devons respecter les experts qui viennent de l’extérieur mais nous ne devons pas être sous leur emprise. Nous devons tous rester patriotes et croire dans les compétences mauriciennes.


Le Kyoshi Georges en bref

Nom : Georges Li Ying Pin

Age: 79 ans

Parcours professionnel: A débuté dès ses 18 ans et ce jusqu’à ses 50 ans, au Ministère des Finances, où il a été assistant ‘registrar general’ avant de prendre sa retraite.

Grades en karaté : 7e Dan en Joshinmon Shorin Ryu. Est passé du 5e au 6e Dan de 1981 à 1998, pour et du 6e au 7e, de 1998 à 2014. Dans ce style de karaté, la progression à l’échelle des Dans correspond à une ascension sur le degré de soi, sur l’échelle des valeurs humaines où la pratique du karaté et l’éthique doivent être au même niveau.

Art martial pratiqué enfant : Le kung Fu, de 7 à 13 ans, à China Town ou à la Citadelle, avec son père originaire de Chine.

Organisations d’art martiaux :

- Président pendant plusieurs années de la ‘Mauritius Martial Arts Federation, fondée vers 1975 qui regroupait les pratiquants de différentes écoles d’arts martiaux.

- Président pendant plusieurs années de l’All Mauritus Karate Federation (AMKF) fondée vers 1978-1979.

- Chairman du comité d’homologation et passage de grades des ceintures noires à Maurice.

Pour les débuts des célébrations du 52e anniversaire de ‘Joshinmon Mauritius’, plusieurs karatékas ont donné des démonstrations de karaté 
au gymnase Pandit Sahadeo le 25 juin dernier.
 

Georges Li Ying Pin décoré par le gouvernement japonais

Le 10 juillet 2019, Son Excellence Yoshiharu Kato, ambassadeur du Japon à Maurice, a organisé la cérémonie officielle de remise de décoration de The Order of the Rising Sun, Gold and Silver Rays à Georges Li Yong Pin, alors président de la ‘All Mauritius Karate Federation’ (AMKF). La réception a eu lieu à la Résidence de l'Ambassadeur du Japon, à Floréal. Cette décoration a été donnée par le gouvernement japonais en reconnaissance de la contribution de Georges Li Yong Pin à la promotion de l'amitié et de la compréhension culturelle mutuelle entre le Japon et l'île Maurice, à travers les activités de karaté.

Georges Li Ying Pin et Yoshiharu Kato, ambassadeur du Japon (à g) après avoir reçu la décoration de The Order of the Rising Sun, Gold and Silver Ray à la Résidence de l'Ambassadeur du Japon, à Floréal, en juillet 2019.