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Renga Veerapen: «Depuis la classe “first” en primaire, j’ai découvert que je ne peux me passer de lecture»

16 juillet 2023, 21:00

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Renga Veerapen: «Depuis la classe “first” en primaire, j’ai découvert que je ne peux me passer de lecture»

Il avait 25 ans quand le premier numéro de l’express est sorti, en 1963. Depuis, le journal fait partie de son quotidien, empli de lectures. Sortant de sa réserve, il a exceptionnellement accepté de se mettre en avant… afin de nous parler de son père et du livre qu’il lui consacrera. Entretien avec un personnage d’un autre temps, dont la simplicité et la connaissance forcent le respect.

Renga Veerapen, à 85 ans, vous venez de terminer le manuscrit de votre premier ouvrage. De quoi parle-t-il ?

Ce que mon père, Rajoo, a vécu de plain-pied au cœur des classes populaires, de sa naissance en 1906 à son décès en 1976, découle de son individualité que je souligne comme enserrée dans les particularités de son temps, dans le milieu où il a vécu, du racisme d’instinct de tout Mauricien (ou faut-il le nuancer de «presque» ?) inavoué et inavouable, en doses diverses. Sur la présentation de tels faits a présidé mon penchant où s’entremêlent l’anti misérabilisme et le refus d’encenser ou de culpabiliser à tort ou à travers quoi que ce soit allant des époques de l’histoire mauricienne aux collectifs ethno-religieux et personnages.

Ces quatre facteurs ont forgé et animé tout dans l’articulation singulière de son quotidien. D’abord et surtout qu’il appartenait au collectif noir avant d’être reconnu que ses humeurs relevaient des classes populaires, qu’il savait fort bien qu’il portait l’enseigne de son collectif ethno-religieux, qu’il arborait une scolarité indigente (sa fréquentation de l’école s’est terminée en troisième du cycle primaire) conjuguée à des réseaux sociaux organisés en enclos étriqué, qu’il était gagné à ses gagne-pain, l’amitié, distractions particulières, que sa famille vivait de dévouement inné.

Commençons par l’individualité de Rajoo…

…que j’entends comme étant le degré du dynamisme ou non-dynamisme de son centre nerveux central. Pour son sens de l’individualité, j’ai compté sur trois modèles, lesquels d’ailleurs s’entrecoupent :

  1. le premier tient du professeur Pascal de Sutter dans son exposé porté sur son recours au modèle Millon-Immelman pour dégager le profil psychologique de François Hollande dans l’ouvrage Dans la tête des candidats ;
  2. (ii) arrive ensuite Richard Davidson, aux frontières des neurosciences aidé par Sharon Begley, expliquant la chimie fondant le style émotionnel ; et
  3. (iii) en conclusion, s’affiche Daniel Nettle, du personnel enseignant de psychologie à l’université de Newcastle, proposant l’ouvrage Personality dont je voudrais citer deux propos, en tant qu’essence de sa démarche : «At every single moment of one’s life one is what one is going to be no less than what one has been» et «I do not plead guilty to a shallow view of human nature, when I propose to apply, as it were, a foot-rule to its heights and depths».

En tant qu’individu, Rajoo n’échappait pas à l’impact puissant de son temps. Il y eut deux époques pour marquer sa vie : à ma connaissance, les faits des années 1906 à 1947 s’assimilent pour une part décisive à ceux des années 1810 à 1947 de sorte que mon père doit être considéré comme ayant connu le dix-neuvième siècle. Les vingt-neuf dernières années de sa vie, 1948 à 1976, il les a vécues en découverte inimaginable d’un pays de transition pour se situer finalement aux exigences du vingtième siècle. Ces deux moments avaient installé en son esprit deux perceptions bien distinctes.

Pour l’époque 1906 à 1947, le sens qu’il accordait à la réalité provenait de sa scolarité indigente et de son appartenance au milieu populaire, ce qui faisait du concret et de l’immédiateté son seul et unique abreuvoir. La réalité authentique ne pouvait se mettre à sa portée.

Ce que furent les actualités du temps de mon père est révolu. Y jeter le même regard que celui que nous accordons au premier quart du vingt-et-unième siècle, c’est outrager la réalité. J’ai pu, je le crois, m’en garder.

Quid de la Constitution…

La Constitution de 1886, en vigueur jusqu’à 1947, avait été calculée pour sauvegarder le pouvoir Blanc, de sorte qu’il se trouvait encore en 1947 des personnages du genre Philippe Raffray pour déclarer en pleine session de la législature sous le regard impassible du Gouverneur d’alors et en l’absence du moindre sursaut de Seewoosagur Ramgoolam, alors membre nommé : «We are we and they are they.» Dans un autre registre, comment ne pas rappeler que la bourse d’Angleterre, le prédécesseur du HSC et abolie en 1948 ou 1949, comptant parmi ses derniers lauréats le docteur Philippe Forget, était baptisé d’un programme d’études d’une étendue et d’une profondeur à déconcerter et parents et enseignants et élèves de nos jours tant il avait été conçu pour produire une élite, non seulement entendue comme authentique, mais aussi ostensible comme telle.

Comment, pour ne pas être en reste, ne pas laisser entendre que le vocabulaire sévissant alors se départait bien de celui de nos jours. Une instance suffit pour ne pas trop bouleverser les bien-pensants – encore ceux de nos jours. Après 1960, le mot «hindou» est arrivé à prendre une acception radicalement nouvelle par rapport à celle des temps antérieurs. Ce fut à l’imagination, à l’œuvre, à la stratégie du Parti Mauricien Social Démocrate que revient l’implantation de ce nouveau sens du mot hindou, auquel les résultats des élections générales de 1948 et 1953 avaient préparé et que ceux de 1959 avaient porté à l’autel du peuple mauricien. Auparavant, rappelons-le, le parler mauricien faisait appel dans son usage quotidien et naturel aux collectifs kalkita, madras, bombay et koringi, reconnus alors et de nos jours aussi religieusement comme hindous !

En sus, comment ne pas éviter de faire l’impasse sur ce que l’évolution du capitalisme mauricien tant en son expression qu’en son étendue a modifié le racisme que mon père et ses semblables avaient connu.

Sur le même plan encore, comment ne pas indiquer que Cure pipe où mon père avait vécu, était par excellence le pays des Blancs. Dans les années 1910, parmi les voisins de la famille de mon père, un tailleur du nom de Georges délaissa son métier de tailleur pour se mettre comme domestique au service d’une famille blanche.

À votre âge, est-ce un besoin d’écrire ou une envie ? Ou les deux ?

En 1982, tout juste après l’installation du premier cabinet d’Anerood Jugnauth, j’ai décrit sur papier un ensemble plutôt grand des faits s’y rapportant. Il y a eu le portrait de chacun des membres élus et nommés, la situation économique, la campagne électorale, toute l’histoire des visions des partis politiques. Jusqu’à l’heure, cette description conserve son rôle de référence pour ma famille.

C’est pourquoi aussi pour disposer des faits nécessaires à la compréhension de la société mauricienne, j’ai pu, avec l’aide d’un de mes frères, titulaire d’un doctorat en statistiques de l’Université de Warwick en Grande-Bretagne, rendre compte en écrit (pour l’usage personnel de notre famille) de l’identité des diverses classes socioéconomiques du pays, de leur nombre, de la proportion qu’occupe chacune d’elles dans le pays. La méthode utilisée ne s’inspire pas de celle en usage familier à Maurice et ailleurs.

Je dispose aussi bien d’autres textes couvrant des faits mauriciens, y compris ceux ayant trait à ma famille. Ils sont nécessaires à la compréhension de notre identité mauricienne et le caractère mauricien lui-même. Le besoin est bien là mais je n’y réponds pas de manière constante.

Votre livre sera, au-delà de l’histoire de votre père, un récit de l’époque qui a vu naître et grandir une famille dont vous êtes l’aîné. Est-ce un roman historique ou un livre qui prend quelques libertés avec les faits historiques ?

Soyons clair. Le sens conféré à tout fait par un cadre restreint ne peut être le même que celui que lui apporte une large perspective. Je place la partie de la vie de mon père de 1906 à 1947 au dix-neuvième siècle parce que le caractère de ce siècle se prolonge de façon décisive dans l’époque 1906 à 1947. C’est dans une large perspective également que je place le reste de sa vie de 1948 à 1976 : il appartient à un moment de la transition du pays vers le vingtième siècle. Ce livre-roman ne viole aucunement l’histoire, il porte la marque de roman historique.

Vous avez été un pédagogue de carrière et vous avez toujours dévoré des livres sur tout plein de sujets. Quelles sont vos références en littérature, en histoire et autres ?

Depuis la classe «first» en primaire j’ai découvert que je ne peux me passer de lecture. Hormis mes proches, personne n’a été conscient de cet attachement. Très tôt, j’ai découvert qu’apprendre à décoder de mieux en mieux l’écrit relève d’une aventure personnelle, intime, sans fin : «the sky is the limit».

En Form 2 au Collège Royal de Curepipe, j’avais tout lu de la Junior Library. En Form 6, j’ai lu avec passion Les Fourmis de l’entomologiste Fabre alors que la biologie n’était pas inscrite à mon programme d’études, il se pourrait que la démarche en minutie de l’ouvrage ne m’a pas quitté. À côté de cette expérience s’est tout bonnement placé le sens de la grande étendue, de la grande profondeur sous forme de l’épopée. Ma lecture de Paradise Lost, entre autres, a reçu un grand coup d’acuité quand, à l’université de Montpellier, j’ai découvert qu’il existe une traduction de cette œuvre en vers français sous la plume de Chateaubriand.

À ma connaissance, les faits des années 1906 à 1947 s’assimilent pour une part décisive à ceux des années 1810 à 1947 de sorte que mon père doit être considéré comme ayant connu le dix-neuvième siècle pour y a avoir vécu. Les vingt-neuf dernières années de sa vie, 1948 à 1976, il les a vécues en découverte inimaginable d’un pays en cours de transition pour se situer finalement aux exigences du vingtième siècle.

Depuis ma retraite, je lis quelquefois plus d’un livre à la fois et je garde l’habitude de relire et relire les mêmes livres et poèmes.

Au fil des années, bien de mes références ont changé, probablement parce que je dispose maintenant de plus de loisir pour examiner et choisir, bien que la tendance demeure la même.

Jusqu’aujourd’hui la poésie de l’Américain Robert Frost me passionne. Un exemple : son poème Stopping by Woods on a Snowy Evening se termine ainsi :

The woods are lovely, dark and deep,

But I have promises to keep,

And miles to go before I sleep,

And miles to go before I sleep.

Savez-vous que l’expression «promises to keep» a été puisée de ce poème pour servir de titre à la biographie de Sookdeo Bissoondoyal écrite par son fils Uttam et que l’ensemble de ces quatre vers dûment encadré faisait figure de divinité sur le bureau de Jawaharlal Nehru ?

Le réconfort me vient encore des ouvrages portés sur l’histoire dont

(a) Histoire Mondiale du XXe siècle sous la direction de Nicolas Beaupré et Florian Louis

(b) Histoire du XXe siècle en quatre volumes sous la direction de Serge Berstein et Pierre Milza

(c) The Silk Roads de Peter Frankopan

(d) The Origins of Political Order de Francis Fukuyama En cet instant même, pour la énième fois, les romans m’occupant l’esprit se nomment Sons and Lovers de D. H. Lawrence et La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel.

Quels sont les auteurs qui ont influé sur votre façon de voir et de concevoir le monde ?

C’est en sanctuaire que s’édifie l’ensemble des livres romans et autres, que j’ai lus. En ce sanctuaire, j’ai appris à comprendre et à contempler le monde pour forger la vie de ma famille d’une façon qui tranche avec celle que je vois le plus souvent tout autour de moi. Si je mentionne au hasard certains auteurs tels que Charles Péguy, Simone Weil, Alex Haley, Piaget, Klaus Swab, Thomas Kuhn ou Odon Vallet plutôt que d’autres, c’est que leurs écrits autant que leur vécu m’ont plus fortement touché par leur sens de responsabilité, leur quête du vrai, leur témoignage de l’humanisme et de son contraire.

En ce moment, je suis engagé dans la troisième lecture de l’ouvrage magnifique de Danielle Palmyre : Culture Créole et Foi Chrétienne. J’ai aussi lu son entretien sur son identité et son sens de mission.

Il se passe rarement un jour sans que je ne lise quelques pages d’un auteur mauricien. L’âme de Maurice en son essence se vit beaucoup dans les romans mauriciens et j’ai pu en goûter le charme à travers des ouvrages dont

À l’autre bout de moi de Marie Thérèse Humbert

• Le Bal du Dodo de Geneviève Dormann

Hier Encore de Karl Mülnier

Bien sûr, ma façon de voir et de concevoir le monde doit beaucoup à mes études universitaires : celles-ci s’appellent «Mathématiques» au Pays de Galles.

En termes d’écriture, de style, quelles sont les plumes auxquelles vous rêvez le plus ?

En toute conscience, Gustave Flaubert, Marcel Pagnol, John Conrad et D. H. Lawrence.

Vous aimez dire que vous êtes l’époux de Jaya Veerapen (ancienne Senior Chief Executive à la Santé). Cultivez-vous la discrétion ? Ou pensez-vous que derrière chaque homme, il y a une dame ?

Ces deux formules ne se posent pas. J’ai vécu en deux milieux : celui des classes populaires et celui d’une certaine éducation à l’occidental fondée sur la mesure. C’est presque d’instinct que j’ai été poussé par ces deux milieux à me laisser habiter par le sens de réserve.

Quelle est la part qu’occupe l’enfance dans l’imaginaire de l’écrivain Renga Veerapen ?

Dans la biographie de mon père, je fais ressortir ce que l’informel, en milieu populaire de l’époque, apportait d’interdépendance du jeu et de l’apprentissage à la croissance psychique et physique. Naturellement, c’était insuffisant. Il fallait y avoir du formel, du non-formel et de l’informel, en entité organisée.

Faute de ressources, la culture mauricienne ne s’affirme pas tout à fait sensible à ce principe d’interdépendance du jeu et de l’apprentissage.

«Le parcours de mon gagne-pain»

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	<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="330" src="/sites/lexpress/files/images/article/debat_19.jpg" width="620" />
		<figcaption>Le couple Jaya et Renga Veerapen.</figcaption>
	</figure>
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<p>J&rsquo;ai vécu le travail dans des milieux très distincts même si généralement ils ne sont pas considérés comme tels.</p>

<p>J&rsquo;ai débuté au collège New Eton de Rose-Hill avant de me joindre deux ans plus tard à la fonction publique comme <em>Clerical Officer.</em> Encore deux ans plus tard, je suis retourné au collège New Eton.</p>

<p>En septembre 1963, je suis parti pour des études universitaires au Pays de Galles. À mon retour en 1968, j&rsquo;ai enseigné au collège Mauritius pendant environ deux ans après quoi je me suis joint au Couvent de Lorette de Port-Louis. Quatre ans plus tard, le <em>Mauritius College of the Air</em> m&rsquo;accueillait pour cinq ans. De 1978 à 1998, j&rsquo;ai servi le <em>Mauritius Institute of Education.</em></p>

<p>Ces divers établissements se distinguaient très nettement par leur intérêt au savoir et l&rsquo;effet de la culture mauricienne sur l&rsquo;administration. Cela m&rsquo;a aidé à comprendre la société mauricienne.</p>

<p><strong>Famille </strong></p>

<p>Renga se marie en 1969 à Jaya et il est père de deux enfants: Reuben et Nalini. À son tour, Reuben se marie à Karine en 2000. Union qui lui a donné deux petits-fils à Renga : Samy et Lucas.</p>