Publicité
Centenaire de l’odyssée du «Trevessa»: la mer, source de vie… et de dangers
Par
Partager cet article
Centenaire de l’odyssée du «Trevessa»: la mer, source de vie… et de dangers
La Journée de la mer, célébrée conjointement chaque deuxième dimanche de juillet, par l’Apostolat de la mer et la Mauritius Sailor’s Home Society, coïncide cette année avec le centenaire du naufrage du «Trevessa». D’où le choix du monument à Bel-Ombre. L’occasion d’un hommage aux hommes de la mer – marins et pêcheurs – acteurs courageux de la vie économique souvent oubliés et négligés. Témoignages…
Questions à Jacques Goilot, capitaine en retraite: «La pêche, une source importante pour l’économie»
Héritier d’une tradition navale familiale remontant à plusieurs générations, le «Master Mariner» à la retraite, après une longue carrière, offre des conseils à l’industrie maritime. Il fut aussi assesseur de l’enquête sur le naufrage du «Sir Gaëtan».
Parlez-nous des dangers de la mer.
Le véritable danger de la mer est le mauvais temps. À Maurice, on est affecté par des cyclones et ailleurs par des typhons. C’était stressant pour la navigation dans le passé et on travaillait dans ces conditions difficiles mais maintenant avec les nouvelles technologies, c’est plus facile. La fonction de commandement et de direction est une haute responsabilité où un grand sens de la discipline est primordial. Il faut être disponible et avoir un esprit ouvert. Le fait de passer de longs mois loin de son domicile nécessite un grand sens de l’adaptation.
Quelle est la situation de la pêche aujourd’hui ?
La pêche est une source importante de protéines pour de nombreuses communautés tributaires du poisson pour leur sécurité alimentaire. Le secteur forme aussi une part importante du commerce mondial. La pêche intensive est une menace majeure car elle épuise les ressources et déséquilibre les écosystèmes. Elle continue pourtant d’être fortement subventionnée par les gouvernements. Au niveau mondial, depuis 1950, les prises ont plus que quadruplé. La surpêche est également source de dégradation des fonds marins, notamment par l’utilisation massive du chalut de fond, un vaste filet tracté par un navire.
Quels sont les risques de la navigation ?
Une multitude d’incidents peuvent survenir de nombreux facteurs tels que la météo, la vétusté du navire et surtout, l’erreur humaine qui peut aggraver les circonstances. De nombreux bateaux naviguent sur les zones côtières et hauturières, il faut donc garder un œil attentif au risque de collision entre navires en respectant le code maritime. Lors des tempêtes, les gros navires sont parfois contraints de se délester de leur cargaison potentiellement dangereuse et appréhender une collision qui pourrait entraîner la perte du bateau. Les navires sont plus performants et rapides et ne laissent parfois aucune chance aux animaux tels de gros cétacés qui, au contact, peuvent provoquer de gros dégâts à la coque. Un bateau peut couler, s’échouer, démâter, prendre feu ou exploser. Un bateau mal entretenu et vétuste peut à tout moment transformer votre aventure maritime en réelle détresse qu’il faut gérer à distance, parfois aggravée de blessés et malades à bord.
Comment restez-vous proche de la mer aujourd’hui ?
Mon frère et moi avons fondé une école de voile, Saint-Malo Sail Training and Yatching Association, à Baie-du-Tombeau, dans un esprit de transmission et de partage de cette riche expérience maritime acquise pendant des décennies. Nous offrons des cours de voile aux jeunes défavorisés de l’endroit sachant nager à partir de 12 ans. Tous les samedis, on leur donne des cours sur la navigation, les nœuds marins, comment survivre en mer et comment ramer. Certains sont avec nous depuis une dizaine d’années et aujourd’hui ils nous aident pour former les nouvelles recrues. Il y a aussi des jeunes filles qui ont rejoint le groupe pour apprendre les caprices de la mer et les techniques de navigation.
Le drame du Trevessa
En 1923, Bel-Ombre fut mêlé à l’histoire du tragique naufrage du Trevessa, bien que le drame ait eu lieu à des milliers de milles nautiques des côtes mauriciennes. Ce bateau à vapeur transportait une cargaison de concentré de zinc d’Australie à Durban, en Afrique du Sud. À 1 640 milles nautiques de Fremantle, il commença à prendre l’eau et coula si vite que l’équipage n’eut pas même le temps de s’habiller avant d’embarquer dans les deux canots de sauvetage que les courants entraînèrent loin des côtes australiennes. Ils furent séparés et les rations manquaient. Des marins auraient péri d’avoir absorbé trop d’eau salée. Un des canots dériva 23 jours avant d’atteindre Rodrigues. Quatre jours plus tard, l’autre canot était en vue des côtes mauriciennes. Sur les 44 marins sur les deux canots, 33 furent sauvées ; neuf moururent de privations, un tomba par-dessus bord, et un autre est mort peu après avoir atteint l’île Maurice.
L’Apostolat de la Mer: «Notre amie mais parfois notre ennemie»
L’Apostolat de la Mer, association d’église internationale, a pour mission le bien-être spirituel et matériel des marins, des pêcheurs et de leurs familles. Il dénonce le sort peu enviable de ceux travaillant à bord de chalutiers battant pavillon étranger et de navires de pêche interîles. Ce réseau s’occupe de 120 ports à travers le monde. Implanté dans les années 70, il aide beaucoup les marins étrangers en difficulté à Maurice et s’occupe des contrats des travailleurs marins. «Les plaintes des gens de mer se rapportent surtout à leurs conditions de vie et de travail à bord. Travaillant de longues heures, ces marinspêcheurs ne perçoivent pas un salaire décent et seraient même ‘battus et maltraités› par leurs chefs hiérarchiques, alors qu’ils occupent des cabines de couchage jugées inconfortables. Les barrières linguistiques freinent la communication entre marins-pêcheurs de différentes nationalités. On s’occupe plus des problèmes des marins locaux et étrangers quand il y a des naufrages et des problèmes avec les bateaux en leur donnant du soutien moral», explique le père Jacques-Henri David, aumônier de Stella Maris/Apostolat de la mer.
Par ailleurs, la mer restera toujours dangereuse. Cent ans après le naufrage du Trevessa, il y en a eu et il y en aura d’autres. «Le métier de marin et de pêcheur est dangereux. 90 % de notre consommation vient de la mer et par bateau et ces personnes travaillent dans des conditions difficiles pour nous apporter ce que nous consommons. Cette année, nous avons choisi la commémoration du centenaire de l’odyssée du Trevessa pour conscientiser les gens aux dangers de la mer.»
Le père David manifeste aussi son souci lié au changement climatique qui affecte notre île et reste un problème majeur pour la communauté maritime : «Les dommages causés à l’environnement marin affectent de manière disproportionnée les plus pauvres et les plus vulnérables de nos frères et sœurs, dont les moyens de subsistance sont même menacés d’extinction.» La célébration d’hier était, dit-il, l’occasion de prier pour les pêcheurs et les marins, qui, par leur profession, jouent un rôle primordial dans l’économie du pays.
La parole aux pêcheurs
<p><strong>France Andy, président de l’association des pêcheurs de l’île: <em>«Il nous faut une académie maritime»</em></strong></p>
<p style="text-align:center"><img alt="" height="330" src="/sites/lexpress/files/images/france_andy.jpg" width="620" /></p>
<p>Depuis l’âge de 14 ans, France Andy va en mer avec son père. Le président de l’association des pêcheurs de l’île indique que ce secteur est condamné à une mort certaine, si les autorités ne proposent pas d’alternative. «On a constaté un vieillissement de la communauté des pêcheurs. La moyenne d’âge est entre 55 et 60 ans. Il est primordial de susciter l’intérêt des jeunes. Il ne faut plus se contenter de la petite formation actuelle mais créer une académie maritime où les jeunes recevront une formation moderne et globale», avance France Andy.«Être pêcheur est un métier noble et il y a beaucoup d’opportunités. Pourtant, très peu de jeunes, aujourd’hui, veulent le faire». Il demande ainsi aux anciens de contribuer à créer un secteur de la pêche plus moderne et à encourager les jeunes à y adhérer. «Le secteur maritime a besoin de personnes qualifiées à tous les niveaux. Beaucoup de Mauriciens vont travailler sur des navires marchands, des bateaux de pêche hauturière ou des bateaux de croisière. Une académie offrirait une formation adéquate, en conformité avec les normes strictes qui régissent le travail en mer.» Avec le changement climatique, la mer est devenue plus dangereuse, dit-il. «Dans le dernier Budget, le gouvernement a dit qu’il remettrait 1 000 cartes de pêcheur, mais beaucoup de gens non-qualifiés prendront ces cartes juste pour l’allocation de mauvais temps.» France Andy explique que le travail de pêcheur n’est pas facile mais qu’on peut réussir. «J’en suis l’exemple.» Après avoir travaillé dur pendant tous ces années pour nourrir sa famille, il est heureux aujourd’hui de voir ses enfants réussir dans leur vie quotidienne.</p>
<p><strong>Entresol Louise Cyrano, président de l’association des pêcheurs du Sud-Ouest: <em>«Il y a un désintéressement des jeunes pour le métier»</em></strong></p>
<p style="text-align:center"><img alt="" height="330" src="/sites/lexpress/files/images/entresol_louise_cyrano.jpg" width="620" /></p>
<p><em>«Je suis pêcheur depuis 1987 et nous l’avons été de père en fils depuis des générations. Aujourd’hui mon fils ne veut pas suivre la tradition et me dit qu’il ne voit pas d’avenir dans ce métier car il a vu comment j’ai lutté pour survivre. J’ai acheté un bateau mais je ne sais pas si je devrais le vendre»</em>, explique Entresol Louise Cyrano. Les pêcheurs à l’intérieur du lagon sont une espèce en voie de disparition. En effet, ceux qui n’ont pas les moyens de se recycler dans un autre métier ou dans la pêche hauturière vivent un véritable cauchemar. <em>«Je mets au défi un pêcheur d’exercer son activité dans le Sud et de ramener ne serait-ce que dix kilos de poisson. La situation est telle que sur dix pêcheurs, neuf souhaiteraient une détérioration de la météo pour toucher l’allocation de mauvais temps.» </em></p>
<p>La pollution et le changement climatique ont presque détruit les coraux dans le Sud. <em>«Auparavant, nous pouvions pêcher des appâts, mais les récifs de la région sont morts. Nous devons acheter des produits frigorifiés, ce qui augmente les coûts d’opération que les recettes arrivent difficilement à couvrir.</em>» La situation devient insoutenable lorsqu’un moteur tombe en panne ou devient inutilisable. Un engin neuf à Rs 26 000 est au-dessus des moyens des pêcheurs. De plus, <em>«la communauté des pêcheurs est vieillissante. Le parcours du combattant pour recevoir une carte de pêche est une des principales raisons pour ce manque de relève. Tout cela décourage les jeunes</em>», déplore Cyrano. <em>«Nous sommes toujours dans un système artisanal alors que le monde a évolué. Nous avons toujours demandé qu’on ouvre une école, pour encourager la relève. Nos centres de formation ne sont pas suffisamment équipés en équipements et en expérience.» </em></p>
<p>Entresol Louise Cyrano estime que la formation est le maître mot pour qu’un changement s’opère dans le secteur.<em> «Les jeunes ne s’intéressent pas au métier de pêcheur parce qu’il n’y a pas de structure adéquate pour les accompagner. Il faudrait que des cours soient dispensés au MITD. Ce qui permettrait aux pêcheurs d’obtenir un diplôme et d’apprendre. Ce système a expiré, il nous faut évoluer. La pêche artisanale se compose de plusieurs facteurs qui ne sont pas pris en considération dans ces cours.»</em></p>
<div style="text-align:center">
<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="330" src="/sites/lexpress/files/images/sessions_de_travail_avec_les_membres_pour_la_messe_du_dimanche.jpg" width="620" />
<figcaption><strong>Sessions de travail avec les membres pour la messe du dimanche.</strong></figcaption>
</figure>
</div>
<p> </p>
L’accueil et le bien-être des marins
Lindsay Meyepa: «Être un centre d’excellence pour servir les marins»
La Mauritius Sailor’s Home Society (MSHS), organisme des secteurs privé et public, est un centre de bien-être des marins dans un bâtiment à Roche-Bois, appelé Trevessa House. Fondée en 1857, elle célèbre la diversité des confessions à travers le monde, comme en témoigne son accueil de marins de toutes origines et confessions religieuses. «La MSHS est une organisation non gouvernementale composée de représentants d’agences maritimes, de gens de mer et d’acteurs du monde syndical, associatif et de ceux qui apportent leur expertise spécialisée. Chaque membre a une voix dans la détermination de la direction et les objectifs de la MSHS. Nous travaillons avec de nombreuses ONG locales et internationales, ainsi qu’avec des gouvernements et autres partenaires, pour atteindre ses objectifs», explique son directeur, Lindsay Meyepa, qui a lui-même travaillé dans le port et les services d’opérateurs portuaires pendant 40 ans avant de prendre la direction du MHSH/Apostolat de la mer en 2017.
L’infrastructure a été construite grâce à un don de la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) Seafarers Trust – Londres et elle est financée par la MSHS en collaboration avec le diocèse de Port-Louis – Apostolat de la Mer. Elle reçoit une subvention mensuelle du Seafarer’s Welfare Fund opérant sous l’égide du ministère de l’Économie bleue, des ressources marines, de la pêche et de la navigation et elle est aussi financée par les cotisations et les dons des membres et autres partenaires. La MSHS est la seule organisation fournissant des services aux marins en transit, bloqués, abandonnés ou en situation difficile. Elle s’occupe également des services et de l’assistance aux marins mauriciens âgés et retraités. Le conseil d’administration et l’équipe de direction sont composés de PDG, directeurs de lignes maritimes et opérateurs portuaires. Dans sa mission de se conformer à la convention du travail maritime, la règle 4.4 - Accès aux installations de bien-être à terre, entre autres, la MSHS veille à ce que les gens de mer travaillant à bord d’un navire aient accès à des installations et des services à terre pour assurer leur santé et leur bien-être.
Elle offre également gratuitement hébergement et nourriture aux marins en détresse et abandonnés. «L’objectif de la MSHS est d’assurer le bien-être des gens de mer locaux et étrangers et d’aider les marins naufragés et en détresse aux conditions les plus raisonnables convenues avec les armateurs et agents maritimes. Il faut aussi établir et maintenir un réseau avec des institutions similaires dans d’autres parties du monde», souligne donc l’officier en charge.
Célébration dans la convivialité
Par une belle matinée ensoleillée sous un ciel sans nuage sur la plage de Bel-Ombre, l’Apostolat de la mer réunissait la communauté portuaire, les autorités de la marine marchande, et les acteurs de la pêche, le temps d’une réflexion dans la solidarité et la convivialité pour l’événement mondial qu’est le dimanche de la mer. Dépôt de gerbes au monument du Trevessa en hommage aux disparus ; bénédiction de la mer, des bateaux et des pêcheurs réunis avec leurs familles. Dans son homélie, le père Jacques-Henri David, aumônier des pêcheurs et des marins, a rappelé l’éternel danger de la mer en évoquant les naufrages célèbres sur nos côtes, avant le Trevessa – Saint Géran, Pieter Both, etc. et plus récents, Tayeb, King Fish IV, MV Benita et MV Wakashio – et comment chaque tragédie en mer nous rappelle notre fragilité. Mais, malgré tous ces dangers, a-t-il rappelé, nous avons besoin de la mer, et par extension de marins et de pêcheurs, dont il faudrait revoir la situation. Ce métier est menacé par trois choses. Le vieillissement des pêcheurs professionnels, qui ont la plupart plus de cinquante ans, et la difficulté à trouver la relève ; le changement climatique, qui entraîne la montée des eaux et des courants marins qui changent et perturbent le comportement des poissons dans le lagon ; et la drogue qui menace la survie d’un métier, qui a besoin de discipline, d’endurance, et de solidarité.
Publicité
Les plus récents